Plongée dans l’univers des peuples de la Bénoué


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Pour la première fois, l’art des peuples de la Bénoué, au centre du Nigeria, est présenté au musée du Quai Branly jusqu’au 27 janvier à travers une exposition de 150 pièces provenant du monde entier. Un voyage qui permet de mieux comprendre leur culture et mode de pensée. Visite guidée avec Hélène Joubert, la responsable Afrique du musée.

La plongée dans l’univers des peuples de la Bénoué est immédiate. L’ambiance est d’entrée intrigante. Notre ouïe est mise en éveil avec les sonorités typiques du balafon, du djembé, qui accompagnent généralement les danses funéraires très ancrées dans la culture de ces peuples issus du centre du Nigeria. Leur communauté est composée de 25 groupes ethniques établis dans les rives de la région, qui se découpe en trois parties : la haute Bénoué, la moyenne Bénoué et la basse Bénoué.

Pour la première fois, leur art est mis en lumière à travers 150 pièces par le musée du Quai Branly. La diversité artistique des différentes sculptures et masques interpellent au premier coup d’œil. Les œuvres sont confectionnées avec différents matériaux : bois, métal, fibre, céramique, cuivre. Elles peuvent prendre différentes formes : arrondies, rectangulaires, carrés, triangulaires. Une diversité qui montre la richesse des traditions des peuples de la Bénoué.

Chaque groupe ethnique a son propre langage culturel. Des différences qui se traduisent dans les divers styles proposés dans les sculptures. A travers les récipients en céramique, poteries, l’on reconnait d’ailleurs la signature artistique des ethnies Cham-Mwana, Longuda, Jen, Ga’anda, Bena, Yungur issues de la Haute Bénoué. Ces objets sont sacrés. Ils occupent une fonction très importante dans les différents rituels employés notamment pour guérir les malades, faire appelle aux esprits et protéger les chasseurs. Selon Hélène Joubert, la responsable Afrique du musée du Quai Branly, « ces récipients rituels sont sacrés car, pour la communauté, ils contiennent l’âme de chaque personne et le destin de chaque individu ».

La femme magnifiée

Deux pas plus loin, les masques horizontaux de forme hybride (mi-homme, mi-animal) ne passent pas inaperçus et intriguent par leur forme inhabituelles. Un style artistique original qui appartient aux peuples de la moyenne Bénoué, région la plus étendue de la Bénoué. L’exposition permet de découvrir les œuvres d’arts des différentes ethnies qui y résident : les Jukun, les Mumuye, les Chamba, les Wurkun , les Goemai, les Montol, et les Kantana. Les sculptures évoquent souvent des ancêtres, des défunts, des esprits de la nature. Les étonnantes ressemblances de ces différents objets d’art reflètent le partage d’une même histoire et les alliances rituelles établies entre peuples voisins.

La figure de la maternité, protégeant la fertilité humaine et agricole, est très présente chez les peuples de la basse Bénoué : les Igala, les Ebira, les Idoma, les Afo ou les Tiv. Ils se sont progressivement mélangés pour former de nouvelles communautés, permettant ainsi d’échanger idées et styles artistiques avec leurs voisins. La femme a un rôle très important au sein de la communauté. Elle est très représentée. Tantôt en train d’allaiter. Tantôt en train de mener des activités. Elle est la gardienne de la communauté. Elle est magnifiée avec des parures, le plus souvent avec des bracelets autour du poignet ou des colliers autour du cou. « La grossesse aussi, symbole de renaissance et de fertilité, est souvent mise en avant dans les sculptures », note Hélène Joubert. Il n’est pas rare aussi de voir des statues mi-homme mi-femme symbolisant l’harmonie essentiel entre l’homme et la femme. Pour Hélène Joubert, « c’est une façon de représenter l’harmonie vital pour l’équilibre de la communauté entre l’homme et la femme ».

L’invasion des peulhs

La conquête des Peulhs dans la première moitié du 19ème siècle qui ont établi des Etats musulmans a bouleversé le mode de vie des peuples de la Bénoué. Les peules de la moyenne Bénoué ont particulièrement ressenti les effets de ce changement. L’intensification du trafic d’esclaves suivie par de nouvelles perturbations venues de l’extérieur avec la colonisation britannique et l’arrivée des missions chrétiennes au début du 20ème siècle ont également eu un impact dramatique sur les différentes populations locales.

Dans les années 90, lors du conflit du Biafra, ce sont les œuvres d’arts de la Bénoué qui ont particulièrement été exposées. « Plusieurs objets ont été dérobés et vendus aux Occidentaux sur le marché noir de l’art », explique Hélène Joubert, qui insiste sur la difficulté qu’elle a eu pour réunir les 150 pièces de l’exposition, dispersés dans le monde entier. Aujourd’hui, une autre menace se profile pour les arts de la vallée de la Bénoué : la secte islamique Boko Haram. Hélène Joubert ne cache pas sa crainte : « Si cette dernière s’aventure dans les contrées du centre du Nigeria, où vivent encore les peuples de la Bénoué, elle pourrait détruire tous les œuvres d’arts et tous ce qui représentent leur culture et traditions ».

La modernisation de la société est aussi l’autre obstacle auquel sont confrontés les peuples de la région. Alors que les anciens tentent de préserver les traditions qui leur sont toujours chers, les jeunes sont, eux, beaucoup moins intéressés par tous leurs coutumes. « D’ailleurs, selon la responsable Afrique du musée, il arrive même qu’au sein de la communauté certains jettent ou détruisent les différents objets, affirmant qu’ils sont inutiles et ne les aident pas à régler leurs problèmes du quotidien ».

Toutefois, des cérémonies rituelles : danses avec les masques pour représenter l’esprit d’un mort, festivités pour symboliser le passage de l’enfance à l’âge adulte, sont toujours organisées. Même si la modernité gagne du terrain, le poids des traditions pèse toujours dans la Bénoué, confortant le charme de cette contrée unique vouée à se battre pour préserver la richesse de sa culture.

Musée du Quai Branly

37, quai Branly

75007 Paris

France

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