Les Amazighs se ruent sur Internet


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Drapeau Amazigh
Drapeau Amazigh

La relève des sites Internet amazighs est arrivée ! Après les militants de la cause amazighe, qui ont défriché le terrain du Net, une nouvelle génération Amazigh, née ou ayant grandi en Europe, se fait une place sur la Toile. Pour mieux comprendre et défendre leur culture millénaire.

Par Lahsen Oulhadj, à Montréal

En tapant le mot « amazigh » ou « berbère » dans un moteur de recherches, on se retrouve avec une foule de sites qui traitent, sous tous les angles, de l’amazighité. Les plus connus, et qui sont souvent les plus anciens, sont Kabyle.com, Mondeberbere, Tamazgha.nl ou encore Syphax ont été lancés par des Amazighs qui ont roulé leur bosse des années durant sur le terrain du militantisme amazigh.

Entre temps, d’autres sites amazighs (berbères), qui ne manquent aucunement de sel, ont vu le jour : Chez.com/asafu, Souss.com, Leschleuhs.com, Arifino.com et Asays.com. Ils ont en commun le fait d’avoir été lancés par de jeunes Amazighs, nés ou ayant grandi en Europe, et parfois même issus de mariages mixtes. Leurs origines régionales sont essentiellement le Souss et le Rif. Seul le Moyen Atlas manque à l’appel. Ce qui peut s’expliquer pour des raisons historiques, les gens de cette partie du pays n’ayant pas émigré aussi massivement à l’étranger que les Rifains et les Soussis.

L’appel de l’amazighité

On est en droit de se poser la question sur les raisons de ce phénomène, car rien ne prédisposait ces jeunes Amazighs, qu’on disait complètement assimilés, ou même « aliénés », à confectionner des sites sur leur culture. La plupart ignoraient même l’existence du Mouvement culturel amazigh (MCA). Exit donc une quelconque influence de la littérature militante sur ce mouvement ! Ce ne sont donc pas des militants amazighs purs et durs qui ont créé ces sites. Ce sont des étudiants ou des jeunes déjà dans la vie active dont le profil ne diffère en rien avec leurs camarades européens. Ils sont généralement informaticiens ou ingénieurs en informatique. D’où la facilité avec laquelle ils ont monté leurs sites.

En ce qui concerne leurs motivations, ils ont constaté un vide et, en pragmatiques qu’ils sont, ils se sont mis à le combler. Leur culture, l’une des plus anciennes d’Afrique et du bassin méditerranéen, ne mérite-t-elle pas d’être connue et reconnue ? Internet, dont l’accès se démocratise de plus en plus en Europe, et même au pays, est une aubaine extraordinaire. Conscients des énormes possibilités qu’offre le réseau et surtout de la liberté qui y règne, nos jeunes Amazighs n’ont pas laissé traîner les choses. D’ailleurs, comme l’explique Mohamed, d’Arifino.com, « Internet est le seul média accessible aux Amazighs. La télévision est condamnée et les journaux sont surveillés par les autorités d’Afrique du Nord ».

Quête identitaire

Selon, Lahcen, le webmaster de Leschleuhs.com, l’idée qui a présidé à la confection de son site est très simple. « J’ai remarqué, en procédant à une recherche sur le Web, que l’on parlait peu de nous, contrairement aux Kabyles. C’est là que l’idée du site a germé dans ma tête. » La motivation de Mohamed, le co-wembaster, avec son frère Majid, du site d’Arifino.com, diffère légèrement, même si la quête identitaire y est pour quelque chose. « J’ai été très surpris de découvrir que le tarifit – une variante de la langue amazigh – s’écrivait en consultant les pages d’un site Internet de Rifains résidant en Hollande. Cela a été pour moi un déclic qui m’a poussé non seulement à penser à faire de même, mais aussi à m’interroger sur mon identité culturelle ».

Diplôme d’informatique en poche, Lahcen n’a pas hésité à mettre les mains à la pâte en concrétisant son idée d’un site amazigh, Leschleuhs.com, le premier du genre. Mohamed-Ali Jallouli a suivi par la suite avec son excellent site, Sousss.com, l’un des plus engagés dans la défense de l’amazighité.

La découverte de soi chez les Amazighs

Une fois les sites lancés, le succès a été immédiat. Des centaines, voire des milliers, de « surfeurs » les visitent chaque jour. Souss.com compte plus de mille visiteurs par jour et des milliers d’inscrits. Sur ces sites, tous les sujets sont évoqués, mais la palme revient naturellement à l’amazighité. C’est un thème qui est de loin le plus important. Au début, ce n’était pas toujours évident. Des mois et des mois de débats très houleux ont été nécessaires pour ouvrir les yeux à beaucoup de jeunes sur la nécessité de la défense de la culture amazighe. D’ailleurs, des mises au point étaient souvent nécessaires. Dans Arifino.com, par exemple, l’antagonisme entre Islam et amazighité maintenu par certains Internautes, par ignorance ou à dessein, revient tellement que le webmaster, pour mettre les pendules à l’heure, a rédigé un texte au vitriol à l’adresse de ceux qu’il appelle les « imams amateurs ».

Ceci dit, le message amazigh passe de plus en plus. Beaucoup de jeunes découvrent, surpris et parfois carrément déçus, une autre facette de leur pays… Un pays où tout ce qui est amazigh est synonyme d’interdit. L’absence de l’amazighité dans les médias, l’interdiction des prénoms, l’arabisation des toponymes, les agressions inqualifiables d’étudiants amazighs un peu partout au Maroc, l’exclusion des régions amazighs sont autant de preuves qui ont fini par convaincre les plus rétifs.

Poètes d’hier… et d’aujourd’hui

Des pseudonymes, typiquement amazighs, voient le jour : les Yuba, les Yugurten, les Masnissa, les Tihya, les Tilila… Bien plus, on commence à revisiter le patrimoine culturel amazigh. Les proverbes, les contes, les légendes, les poèmes, les mots tombés en désuétude, l’Histoire et les anciens chanteurs sont des sujets les plus abordés. Tout y passe. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, des chanteurs-poètes morts depuis des décennies deviennent, comme par magie, des stars adulées. Hammou Outtalb, Omar Wahrouch, Said Achtouk, Mohamed Albensir, Bouakr Anchad, et tant d’autres, sont désormais des noms familiers pour nos Internautes.

Quant aux visiteurs non-amazighophones, ils sont de deux catégories : des non-Amazighs qui espèrent découvrir la culture, et des Amazighs déracinés qui se cherchent. Cet appel, diffusé sur Leschleuhs, d’une jeune fille amazigh ne parlant plus sa langue, est très révélateur d’une ardente recherche identitaire. « Au Maroc, je me sens complètement perdue. Tout ce qui se dit en tachelhite – une variante de la langue amazigh – m’est incompréhensible. Et c’est vraiment frustrant ! Je viens donc sur ce site pour connaître davantage la langue et la culture de mes parents », espère-t-elle.

Sus aux tabous !

Malgré leur ancrage régional, ses sites n’en célèbrent pas moins l’œcuménisme amazigh. Les frontières politiques et géographiques deviennent tellement abstraites qu’elles s’annihilent d’elles-mêmes. Point de différence entre un Kabyle et un Rifain ou encore moins entre un Soussi et un Chawi. On se surprend même à découvrir que des Amazighs canariens, libyens ou même égyptiens existent encore, et militent pour leurs droits.

Cependant, la particularité principale de ces sites, c’est de casser tous les tabous. L’esprit libre transparaît dès la lecture des titres des sujets. Tous les sujets sont abordés sans aucune autocensure. Souss a, par exemple, organisé un sondage, sur la possibilité d’un Etat fédéral au Maroc. Résultat : plus 63% de visiteurs du site ont voté pour l’autonomie de la région du Souss. Arifino a réalisé à peu près le même. Le résultat est presque identique.

En revanche, Leschleuhs a fait un sondage sur l’Institut royal de culture amazigh (Ircam). Le résultat ne doit certainement pas faire plaisir à nos chers académiciens amazighs. Il s’est avéré que cette prestigieuse institution, qui rassemble la crème de notre intelligentsia, n’est pas connue par plus de 46% des sondés et 23% pensent que c’est un gadget constitutionnel. Il faut peut-être que les Ircamistes pensent à changer leur communication, si jamais ils en ont une. Car jusqu’à présent, ils ont été on ne peut plus discrets.

Défense et promotion de la culture amazigh

Des débats houleux ont eu lieu sur la Constitution marocaine, sur l’appellation du Maghreb arabe, que plus de 82% des visiteurs de Souss.com considèrent comme raciste. On peut toujours gloser indéfiniment sur la crédibilité de ces sondages, mais ils ont le mérite, quoiqu’on dise, de révéler la pensée d’une frange de la jeunesse amazigh de la diaspora. Mais il n’y a pas que des sondages sur ses sites. Ils abordent la politique linguistique, la négation de l’amazighité, le cinéma amazigh, etc. Les thèmes ne dépassent généralement pas le cadre du Maroc et rarement l’Afrique du Nord. Ce qui est loin d’être le cas des sites arabo-marocains, dont les forums débordent plutôt de sujets sur le Moyen Orient.

Davantage de visibilité pour promouvoir l’amazighité serait la bienvenue. Ce qui ne peut se faire sans un accès massif aux média. La création d’une chaîne de télévision exclusivement amazighe à titre d’exemple. Sans oublier la satisfaction des revendications amazighes dont la principale est la constitutionnalisation de la langue amazighe. Rien n’échappe à cette jeunesse amazighe qui ne demande qu’à s’exprimer et à agir concrètement et positivement, pour le pays et sa culture amazighe. D’ailleurs, les membres de Souss et de Leschleuhs ont crée une association, Asays, pour la défense et la promotion de la culture amazigh. Et l’une des premières actions de cette nouvelle structure associative a été la collecte de fournitures scolaires pour les écoliers démunis du Souss. Tout cela est prometteur !

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