Tunisie : halte aux réflexes benalistes!


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Cinq mois sans ben Ali, un certain changement de donne, quelques promesses tenues, déjà des déceptions et l’affaire Samir Feriani. Ce gradé du ministère de l’intérieur est détenu à la caserne militaire d’el Aouina depuis le 29 mai. Il venait de dénoncer dans une lettre adressée au ministre de l‘intérieur et par voie de presse, des faits commis dans le ministère le 20 janvier 2011, notamment la destruction d’archives relatives à l’Organisation de Libération de Palestine (OLP). Il avait aussi livré des noms de responsables impliqués dans les événements meurtriers durant la révolution. Il est écroué pour complot contre la sécurité de l’état.

L’arrestation de Samir Feriani renvoie un message : celui qui accuse une instance de l’état est dangereux, les faits dénoncés sont reléguées au second plan, le plus important est qu’il ait parlé et donc diffamé et touché à la sécurité de l’état. Mais que cherche-t-on à protéger en agissant de la sorte ? Pourquoi être si réactif face à des allégations et trainer autant sur des sujets autrement plus urgents tels que les snipers ? Les fauteurs de troubles dont on annonce l’arrestation par centaines ici et là, qui bizarrement n’indiquent toujours pas leurs têtes pensantes, ou peut être est ce encore à la discrétion de l’enquête qui s’allonge alors que les actes malveillants ne cessent pas ? L’efficacité est elle de mise seulement quand on touche le ministère de l’intérieur. Arrestation spectacle, chefs d’inculpation spectaculaires et immédiats, black out total malgré la supposé transparence, les appels des ONG, la mobilisation de blogueurs, de la famille et certains journalistes…

Le syndicat de la police joint par Afrik serait partie prenante dans l’affaire. M. Feriani l’ayant contacté après avoir alerté officiellement le ministère de l’intérieur par écrit. Le syndicat dit avoir réagi en formulant à son tour une requête auprès du ministère pour des investigations. Pour le syndicat, M. Feriani, est un collègue à défendre et sa sollicitation a été prise en compte. Le syndicat interviendra donc dans ce cas et travaille à se procurer les pièces du dossier d’accusation dont il ignore encore les circonstances exactes. Si les allégations s’avèrent fondées, le syndicat agira en tant qu’acteur pour veiller à poursuivre les personnes justement désignées et trouve la démarche de M Feriani courageuse. Dans le cas contraire il agira en défense de toute personne injustement lésée.

Pour Maitre Mohamed Abbou, avocat de l’accusé, l’arrestation de son client est incompréhensible. Il est incarcéré alors que ses révélations n’ont pas fait l’objet d’investigations en règle. Une petite enquête a bien été faite à la Ben Ali, dit-il, pour la forme, mais pour le reste personne n’a été inquiété, au contraire, il parait que le responsable que M. Feriani a nommément désigné vient d’être promu. Selon maitre Abbou, ce cafouillage pourrait s’expliquer par la présence au sein du ministère de l’intérieur ou d’autres instances officielles de gens qui se sentiraient menacés par ces révélations. Ce qui étonne Maitre Abbou, c’est que les archives détruites ne concernent pas directement les affaires tunisiennes mais une éventuelle collaboration ben Ali-Mossad. Or, le malaise ressenti montre que c’est bien plus compliqué que cela.
M. Feriani est détenu actuellement par l’armée, les charges lourdes pesant contre lui empêchent toute communication détaillée sur le dossier, les avocats ne pouvant même pas en avoir copie. Maitre Abbou a réussi à voir son client une fois. Aucune date de procès n’a été arrêtée à ce jour.

Pour Human Rights Watch « Les autorités tunisiennes devraient libérer l’officier de police Samir Feriani qui a tenté de dénoncer d’éventuelles exactions, abandonner toute accusation contre lui qui ne serait fondée que sur ses efforts pour alerter l’opinion »… « À un moment où de nombreux Tunisiens pensent que les responsables qui ont terrorisé la population sous Ben Ali conservent d’importants pouvoirs au sein de l’institution sécuritaire, le gouvernement provisoire devrait encourager ceux qui tirent la sonnette d’alarme, et non pas utiliser les lois discréditées du gouvernement déchu pour les emprisonner », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Pour Taoufik Bouderbala président de la commission d’investigation sur les bavures policières, cette affaire est sur son agenda le plus proche, il attend d’avoir les déclarations de l’intéressé pour communiquer sur ce cas. Il doit rencontrer M. Feriani dans les jours qui viennent, sa commission est compétente pour le faire. D’ailleurs il souligne qu’il a déjà entendu 9 responsables du ministère de l’intérieur qui font l’objet de poursuites judiciaires et, par extension, tous ceux qui peuvent fournir des informations utiles seront entendus. Il a reçu l’épouse de M. Feriani ce matin et prendra contact avec ses avocats aussi pour, dit-il, faire toute la lumière sur cette affaire.

Pour Mokhtar Trifi président de la ligue tunisienne des droits de l’homme, Samir Feriani n’aurait jamais du être privé de sa liberté, et la manière dont il a été arrêté est totalement inacceptable. La ligue alertée par sa femme et ses proches a, dès le début, appelé à la libération de M Feriani mais le ministère l’intérieur a répondu qu’il n’avait pas été arrêté, juste convoqué pour être interrogé sur la teneur de ses propos. Et depuis, plus de nouvelles.

Pour M. Trifi, le ministère public aurait du ouvrir une enquête pour investiguer sur ces allégations sans incriminer celui qui est à l’origine des révélations. On ne peut pas agir de la sorte avec quelqu’un qui tente d’alerter l’opinion publique. Si les informations qu’il donne s’avèrent fondées, on devrait le féliciter. Ainsi la ligue demande que les allégations soient vérifiées sérieusement et que les personnes désignées soient entendues. Ce sont des choses graves, dit-il et si elles ont bien eu lieu, on se sera attaqué à celui qui a dénoncé plutôt qu’a celui qui a agi. Il rajoute que ce n’est pas normal que les avocats ne puissent pas obtenir copie du dossier car aucune loi ne l’interdit quelques soient les charges. Il souligne enfin que la loi tunisienne permet d’entendre ce qu’on appelle les « dénonciateurs » dans les affaires criminelles et que M Feriani aurait pu être entendu dans ce cadre là.

Afrik, n’a pas pu recueillir malgré ses demandes de propos officiels du premier ministère, ministère de l’intérieur et ministère de la défense, concernant cette affaire.

Après 5 mois, le chantier reste inachevé, et par endroits même pas entamé. À l’image des journalistes qui font l’amer constat que le 14 janvier n’a pas apporté le changement escompté. Lors de leur congrès du 4 et 5 juin, et à la suite de houleuses discussions, il a été décidé d’établir une liste noire de tous ceux qui après avoir versé dans la délation durant 23 ans, opèrent encore. Le plus choquant c’est que des intervenants ont pris la parole pour alerter l’assistance sur la présence d’intrus faisant leurs rapports en direct par téléphone ! La commission qui aura la charge d’établir cette fameuse liste, devra accomplir un travail de minutie extrême pour éviter les dénonciations jalouses et les conflits d’intérêt. Mais ce travail reste salutaire et devra être étendu à d’autres instances, pour que les caciques de l’ancien régime soient au pire écartés, et au mieux jugés.

Sur le terrain, des jeunes et des associations tentent de mobiliser, à l’instar de l’initiative kelmetna ( notre parole) de Yassine ayari et autres mouvements d’associations qui s’impatientent et réclament des réponses claires et précises. Le gouvernement n’intègre pas que le manque de transparence nourrit les rumeurs et jette le discrédit sur les meilleures intentions. Foued Mebazza et Beji caid Essebsi voient-ils la même chose que les jeunes à qui pourtant ils doivent aujourd’hui leur place ? L’acuité de la vue est elle juste une question d’âge ou est ce beaucoup plus profond que cela ? Le fameux gouvernement de l’ombre dont tout le monde parle tout bas ?

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