Tunisie : Ben Ali à la chasse aux journalistes


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Le président tunisien traque le gros gibier. Après Taoufik Ben Brik, le journaliste libéré mardi après six mois de détention, c’est au tour de Zouhair Makhlouf et Fahem Boukadouf de tomber entre les filets de Zine el-Abidine Ben Ali.

Après avoir purgé l’intégralité de sa peine, le journaliste et opposant tunisien Taoufik Ben Brik est sorti mardi de la prison de Siliana, située à 130 km au sud-ouest de Tunis. Il avait été condamné à six mois de prison ferme en octobre dernier pour faits de « violence, outrage public aux bonnes mœurs et dégradation volontaires des biens d’autrui », à la suite d’une plainte déposée par une automobiliste. Des faits qu’il a toujours niés, se disant victime d’une « machination ». Une vision partagée par Jean-François Julliard, le secrétaire général de Reporters sans frontières qui a rappelé dans un communiqué, « que ces six mois de détention étaient six mois de trop, tant il est évident que Taoufik a été victime d’une affaire montée de toutes pièces, payant ainsi le prix de sa liberté de pensée ». De leur côté, les autorités tunisiennes soutiennent que cette arrestation ne relève pas d’une motivation politique.

« J’ai une âme plus tannée qu’une crosse de fusil »

Réputé pour ces prises de position à l’encontre du pouvoir tunisien et du président Zine el-Abidine Ben Ali, ce passage en prison n’aura pas calmé les ardeurs de Taoufik Ben Brik. A sa sortie, il a affirmé lors d’un entretien téléphonique avec RFI qu’il se sentait « plus que jamais déterminé ». « Ben Ali voulait carrément me casser l’échine. D’ailleurs il n’a que ça : la prison, les flics, pour casser l’échine de tous les opposants tunisiens. Et moi je lui dis que je sors avec plus de poils. Lui, il a la prison, et moi, le calame (le stylo) », s’insurge-t-il. Pour lui, pas question de renoncer à dénoncer les pratiques du régime : « j’ai une âme plus tannée qu’une crosse de fusil. Et il m’a cassé le bras, il a terrorisé ma famille, mais je lui dis que je ne partirai pas, monsieur le Président. Pour ça, il faut qu’il m’envoie une bombe H. »

Taoufik Ben Brik a l’intention de se rendre le 3 mars prochain à la Journée mondiale de la liberté de la presse en France, l’un des seuls pays à l’avoir soutenu. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui avait pris position pour le journaliste, s’est dit soulagé par l’annonce de sa remise en liberté. « Je me réjouis de l’issue d’une affaire que nous avons suivie de près au cours des derniers mois », a-t-il déclaré dans un communiqué, précisant avoir évoqué le cas du journaliste avec son homologue tunisien, Kamel Morjane, à l’occasion d’une conférence à Tunis le 16 avril. L’arrestation de Ben Brik avait suscité des tensions entre Tunis et Paris. Le Quai d’Orsay avait contesté cette décision, s’attirant les foudres du palais de Carthage, qui avait menacé de demander des comptes à la France pour la colonisation.

Journalistes tunisiens : attention espèce menacée

Si Taoufik Ben Brik semble être tiré d’affaire, ce n’est pas le cas de Fahem Boukadous, hospitalisé dans un état grave suite à une crise d’asthme, et dont le procès en appel devait reprendre lundi. Ce journaliste de 40 ans encourt quatre ans de prison pour «association de malfaiteurs» et «diffusion d’information de nature à perturber l’ordre public». Sa faute ? Avoir été l’un des seuls journalistes à rendre compte des émeutes sociales à Gafsa, dans le sud de la Tunisie.

Journaliste lui aussi, Zouhair Makhlouf a réalisé à l’automne dernier un reportage qui dénonce la pollution et la dégradation de l’environnement de la ville de Nabeul, située à une trentaine de kilomètres de Tunis. Suite à une plainte déposé par un artisan de la ville qui lui reprochait « d’avoir sciemment porté atteinte à son droit à l’image », il a été condamné à trois mois de prison ferme, 200 dinars (104 euros) d’amende et 6 000 dinars (3114 euros) de dommages et intérêts pour avoir «nui à un tiers au moyen d’un réseau public de télécommunication». Depuis sa sortie de prison, il fait l’objet de représailles. Samedi, alors qu’il était invité à un dîner en présence de Me Christian Charrière-Bournazel, ex-bâtonnier de Paris, il a été emmené de au commissariat. Il a été libéré sept heures plus tard présentant de nombreuses blessures au visage et le nez cassé.

En Tunisie, les journalistes ne bénéficient pas d’une grande marge de manœuvre. Selon le classement 2009 de la liberté de la presse effectué par RSF, la Tunisie se situe à la 154ème place derrière l’Egypte (143), l’Algérie (141) et le Maroc (127).

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