Agora, où le basculement de l’Egypte


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Le réalisateur espagnol Alejandro Amenabar transporte le spectateur en Egypte à la fin du IVème siècle après Jésus-Christ, au moment où les Chrétiens persécutent les derniers fidèles des antiques divinités égyptiennes et romaines…

A la fin de l’Empire romain, Alexandrie était devenue le dernier phare de la culture antique, et l’ensemble monumental que constituait le Serapeion, c’est-à-dire le coeur historique et religieux de la Cité, représentait aux yeux des Egyptiens le coeur vivant du paganisme. Lieu de haute culture où le travail d’érudition et de recherche scientifique qui avait illuminé l’Antiquité jetait ses derniers feux avec les travaux philosophiques d’Olympios et les découvertes astronomiques fondamentales d’Hypathie, sa fille. L’école d’Alexandrie continuait de former des étudiants brillants de tout l’Empire romain, avec une liberté de penser et d’écrire héritée de ses fondateurs, en particulier Ptolémée le Sauveur, ancien général d’Alexandre, disciple d’Aristote.

La chute du Sérapéion d’Alexandrie

Le 16 juin 391, un édit pris à Aquilée par Théodose, empereur romain d’Orient qui avait progressivement pris le pouvoir, après la mort de Valentinien II, sur l’ensemble de l’Empire, interdit les cultes antiques : « Que personne ne se rende aux sanctuaires, ne parcoure les temples, ne lève les yeux vers les statues créées par le travail de l’homme ». L’édit est immédiatement appliqué par l’évèque d’Alexandrie, Théophile, pour détruire, avec l’aide de l’armée, le Sérapéion d’Alexandrie. Au cours des émeutes provoquées par divers sacrilèges, les fanatiques Chrétiens s’emparent des lieux, en chassent les prêtres et les philosophes. Olympios fuit après avoir expliqué au peuple que la puissance, la « dynamis » divine a déserté les statues et est remontée aux cieux.

La mythique bibliothèque part en fumée

La bibliothèque, la fameuse et mythique bibliothèque d’Alexandrie, sera réduite en cendres par la furie des Chrétiens enragés. La culture antique précieusement recueillie là, est morte, envolée en fumée. Il faudra mille ans aux érudits pour tenter d’en retrouver les bribes, qui ont retrouvé droit de séjour dans nos bibliothèques, au prix d’homériques travaux de recoupement entre des copies maladroites, éparpillées, toujours partielles, et souvent désormais partiales.

Le film d’Alejandro Amenabar constitue une chronique de ces derniers jours particulièrement émouvante… Difficile de ne pas faire le parallèle avec d’autres fanatismes, et de ne pas voir dans l’aveuglement iconoclaste des Chrétiens d’Egypte la fable toujours recommencée de l’obscurantisme passionné lancé à l’assaut de la raison. Pourquoi faut-il toujours qu’une époque succède à une autre dans un déchaînement d’intolérance? Pourquoi la foi doit-elle toujours s’incarner dans la violence? Probablement parce que tout ce qui échappe à la raison se prive aussi des bornes du bon sens et de la logique.

Une fresque bouleversante

Mais ce serait dire trop peu sur cette magnifique fresque historique que d’en méconnaître la beauté et la réussite esthétique. Superbes décors, reconstitutions bouleversantes, splendides déchirements où les passions humaines (l’amour, l’ambition, la fidélité, la haine) se donnent libre cours… Alejandro Amenabar signe là une réussite parfaite dans un genre difficile. On reste à chaque instant suspendu… Tantôt stupéfait, tantôt incrédule… Haletant.

Et le peuple d’Egypte put oublier ses Dieux lorsqu’à l’été 392… le Nil vint comme à l’accoutumée inonder la campagne d’Egypte pour la fertiliser, sans souci des sacrilèges commis l’année précédente ! Ainsi la prospérité de l’Empire ne devait rien à l’accomplissement des rites sacrés qui avaient, pendant des siècles, accompagné et « provoqué » la montée des eaux. La chute du Sérapéion n’avait donc rien changé à l’ordre des choses? Les Dieux étaient donc bien des idoles? Les Chrétiens avaient donc raison ! L’eau du Nil emportait les dernières illusions des païens. La Méditerranée changeait de culte… Le 8 novembre 392, l’Empereur Théodose supprimerait donc complètement, et sans heurts, la liberté des cultes antiques. Sous peine de mort.

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