
Jugé depuis mars 2025 à Marseille, l’empire Apollonia a orchestré la plus grande fraude immobilière de l’histoire judiciaire française. Enquête sur un système qui a ruiné plus de 700 investisseurs et dont les ramifications atteignent le Maroc, révélant l’ampleur d’un réseau transnational de blanchiment.
Le tribunal judiciaire de Marseille est le théâtre, depuis le 31 mars 2025, d’un procès d’une envergure sans précédent. Sur le banc des accusés figurent quinze prévenus, parmi lesquels l’ancien commercial Jean Badache, son épouse Viviane et leur fils Benjamin. L’enjeu : juger la plus colossale escroquerie immobilière jamais instruite sur le territoire français. Le bilan est vertigineux : près d’un milliard d’euros évaporés, 762 parties civiles et 26 établissements bancaires floués.
La mécanique implacable d’une arnaque sophistiquée
Entre 2002 et 2010, la société aixoise Apollonia a déployé un dispositif redoutable. L’entreprise a commercialisé plus de 5 000 logements présentés comme des placements « clé en main« , prétendument autofinancés grâce à des loyers garantis et d’alléchants montages fiscaux. Pour obtenir les crédits nécessaires, un véritable écosystème frauduleux s’était constitué : commerciaux, notaires et même un avocat falsifiaient systématiquement relevés bancaires, promesses locatives et bilans patrimoniaux.
La supercherie reposait sur une surévaluation massive des biens, gonflés de 70% à 100% de leur valeur réelle. Les victimes, principalement des professionnels de santé — médecins et dentistes en tête — se sont retrouvées piégées dans une spirale d’endettement insurmontable.
Le volet marocain : du luxe ostentatoire au blanchiment présumé
Les investigations ont permis de localiser et de geler un véritable palais acquis par la famille Badache dans la région de Marrakech. Cette propriété s’ajoute à un inventaire somptueux comprenant notamment un chalet suisse et diverses propriétés de prestige disséminées à l’international.
Sur les 7,5 millions d’euros d’avoirs déjà immobilisés par la justice, une part significative provient de comptes ou d’actifs localisés au Maroc. Au total, quatre biens immobiliers ont été saisis en France et un au Maroc, sans compter bijoux et objets de luxe témoignant d’un train de vie opulent.
Le Maroc, destination stratégique
Si le royaume chérifien attire traditionnellement les investisseurs français légitimes, ses marchés haut de gamme servent également de refuge pour dissimuler ou recycler des capitaux d’origine douteuse. Les mécanismes privilégiés incluent la création de sociétés civiles immobilières (SCI) ou les transactions en espèces. L’affaire Apollonia illustre parfaitement cette zone grise où défiscalisation agressive et circuits internationaux de blanchiment finissent par se confondre.
Alertées par les magistrats marseillais, les autorités marocaines ont répondu présentes en exécutant plusieurs commissions rogatoires internationales. Leur action s’est traduite par le gel de comptes bancaires, la réalisation d’inventaires patrimoniaux exhaustifs et la saisie conservatoire de la luxueuse villa des Badache.
Cette collaboration est rendue possible par la Convention d’entraide judiciaire franco-marocaine de 2007 dans la lutte contre la criminalité financière transfrontalière.
Cependant, le volet marocain de l’affaire Apollonia relance le débat sur l’opacité persistante qui caractérise certains acteurs du secteur immobilier local. Les experts appellent désormais à la création d’un registre national des bénéficiaires effectifs pour renforcer la transparence des transactions.
Vers un durcissement des contrôles
Face à ce scandale, mais aussi à plusieurs autres arnaque immobilières ayant touchées le Maroc, Rabat étudie la mise en place d’une cellule spécialisée auprès de l’Autorité marocaine du marché des capitaux. Sa mission : surveiller spécifiquement les investissements réalisés par des non-résidents dans l’immobilier de luxe marocain.
Parmi les victimes figurent plusieurs Marocains résidant à l’étranger (MRE) qui avaient eux-mêmes investi via Apollonia. Ces derniers se retrouvent aujourd’hui parties civiles au procès de Marseille, illustrant la dimension transnationale du préjudice.
Le jugement est attendu pour le 6 juin 2025. Les principaux dirigeants encourent dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende, tandis que la société Apollonia risque jusqu’à cinq millions d’euros de sanctions pécuniaires.