France : sous les bulldozers, la « jungle »


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Conformément à ses annonces, le ministre français de l’Immigration Eric Besson a ordonné la destruction ce mardi de la zone industrielle de Calais surnommée la « jungle », qui abritait jusqu’ici plusieurs centaines de migrants. 278 migrants ont été arrêtés par les forces de police, dont 132 mineurs. Les bulldozers ont détruit les installations précaires et le ministre est venu sur place se féliciter du démantèlement du campement. Le HCR critique la politique d’immigration européenne, basée sur le tout-répressif, et pointe avec les associations de soutien aux migrants l’inefficacité de la très médiatique opération d’Eric Besson.

La « jungle », une expression peau de bananeLe terme de « jungle », fortement évocateur, a enfin été l’objet de jeux de mots plus ou moins inspiré chez plusieurs hommes politiques. Eric Besson a ainsi déclaré sur RTL ce mardi vouloir mettre fin à « la loi de la jungle ». De son côté le chef historique du Front National (FN), Jean-Marie Le Pen, connu pour ses débordements racistes, a déclaré le même jour dans un communiqué que « c’est toute la France qui est en train de devenir une jungle ».

Il semble que la friche de Calais ait été nommée « jungle » par les migrants eux-mêmes. Mais le mot a une longue histoire puisqu’il désigne en anglais, dans l’argot Hobo, le lieu de campement de ces vagabonds, migrant de ville en ville et vivant de menus travaux, dans les Etats-Unis des XIXe et XXe siècles.

C’est à sept heures trente du matin que les forces de police ont mis à exécution la décision du ministre de l’Immigration Eric Besson d’évacuer la friche industrielle de Calais, dans le nord de la France. Dans ce qui est communément appelé la « jungle », des centaines de migrants souhaitant se rendre en Grande-Bretagne résidaient de manière précaire, au grand énervement de la mairesse de Calais, Natacha Bouchart, membre du parti présidentiel de l’Union pour un mouvement populaire (UMP). Eric Besson lui-même s’est rendu sur place dans l’après-midi pour constater la fin du campement, détruit au bulldozer.

Une centaine de membres des forces anti-émeutes (CRS) ont cerné à l’aube le campement des migrants, principalement afghans, et les ont prévenus par mégaphone de leur intervention imminente. Ces derniers, dans un geste de résistance, ont brandi des banderoles pour communiquer leur colère aux nombreux journalistes présents sur place. Certains ont fui au dernier moment, mais les 278 autres ont été arrêtés par les policiers, malgré l’interposition pacifique de militants de réseaux d’aide aux sans-papiers. 132 parmi eux ont déclaré être mineurs et sont désormais retenus dans un centre spécifique. Deux militants ont également été interpellés.

A en croire Vincent Lenoir, de l’association de soutien Salam, dans une vidéo publiée par Nouvelobs.com, l’Etat français aurait stratégiquement levé la surveillance quelques temps avant la destruction de la « jungle », afin que de nombreux sans-papiers quittent les lieux et rendent l’évacuation plus facile. Le ministre de l’Intérieur britannique Alan Johnson s’est toutefois félicité de l’opération.

En rotation permanente, la population était passée de 2 000 dans le centre de la Croix-Rouge de Sangatte, fermé en 2002, à 700 environ dans la friche industrielle de Calais. Elle est de plus restée relativement stable sur le littoral de la Manche. Les campements et squats, en forte augmentation, sont désormais régulièrement évacués dans la région, à la grande fierté du ministre de l’Immigration.

Que tout change pour que rien ne change

En 2002, le ministre de l’Intérieur de l’époque et actuel Président, Nicolas Sarkozy, fermait le centre de la Croix rouge, installé depuis 1999 dans une ville située à l’embouchure du tunnel sous la Manche. Il déclarait alors selon RFI : « Il faut envoyer un signal au monde entier pour dire que ce n’est plus la peine de venir dans ce hangar du bout du monde parce qu’il n’y a pas d’avenir ». Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, a quant à lui déclaré dans un communiqué ce mardi : « Le message est clair : On ne passe plus à Calais ! ». Sept ans plus tard, le message reste donc le même.

Les associations contestent, comme en 2002, l’absence de politique alternative à la traque des sans-papiers. Le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) lui-même a posé le constat que « la fermeture de la jungle ne résout pas les problèmes », appelant les pays de l’Union européenne (UE) à développer « un système européen d’asile commun », par opposition au strict plan de lutte contre l’immigration illégale. Frédéric Lefebvre préfère de son côté accuser les associations d’aide locales d’être « complices » des « mafias qui s’enrichissent sur le dos de la misère humaine », allusion au très controversé « délit de solidarité » mis en place dans plusieurs pays d’Europe. Interrogé par Libération, l’abbé Jean-Pierre Boutoille, du collectif C’Sur, conteste cette justification en disant que « les passeurs ne sont pas dans la jungle » mais dans les squats où sont partis certains clandestins, et que cette opération très médiatique n’est rien qu’« un coup d’épée dans l’eau ».

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