Sarkozy en Tunisie : les droits de l’homme passent à la trappe


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A l’occasion du premier jour de la visite d’Etat de Nicolas Sarkozy en Tunisie lundi, de juteux contrats commerciaux ont été signés. Le président français a marqué le coup le soir même en louant son homologue tunisien Ben Ali pour les progrès accomplis en matière de libertés. « La Tunisie a fait le choix volontaire de la démocratie » et la France n’a donc pas à « donner de leçons », a-t-il déclaré. Pourtant, le régime tunisien est régulièrement pointé du doigt par les organisations non gouvernementales (ONG) pour ses atteintes aux libertés et aux droits de l’homme. Retour sur l’entame d’une visite ponctuée de déceptions.

« Des trois pays du Maghreb, la Tunisie est celui avec lequel nous entretenons la relation la plus dense et la plus apaisée ». Ce sont les mots qu’a prononcé Jean-David Lévitte, conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, quelques jours avant le départ du président français lundi en Tunisie. Une raison pour le gouvernement d’éluder la question qui fâche : celle des droits de l’homme dans le pays où règne en maître depuis 20 ans Zine El Abidine Ben Ali. Pourtant, M. Sarkozy déclarait l’an dernier, lors de sa campagne présidentielle, qu’il voulait d’une « diplomatie des droits de l’homme ». Un an après, ces mots sonnent plus creux que jamais. Après le passage remarqué de M. Sarkozy en Chine en novembre dernier et la visite controversée du président libyen en France le mois suivant, on a bien compris : les contrats commerciaux passent en premier. Pendant deux jours, rien ne doit obscurcir l’entente franco-tunisienne. Rama Yade, secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme, est prévenue : elle risque gros si elle sort du rang. Les ONG tunisiennes de lutte des droits de l’Homme, à l’image du Conseil National des Libertés en Tunisie (CNLT) et de sa présidente Sihem Bensedrine, affirment aujourd’hui être « déçues » et même « désillusionnées » par les déclarations faites par Nicolas Sarkozy la veille.

Sarkozy « Pleinement confiant » dans la politique de Ben Ali

Lors de son dîner d’Etat lundi soir, Nicolas Sarkozy a affirmé devant un parterre d’officiels français et tunisiens être « pleinement confiant » dans les efforts de son homologue tunisien en matière des droits « universels ». Les louanges se sont multipliées à son égard. « L’espace des libertés progresse », a déclaré M. Sarkozy, avant d’évoquer le statut des femmes tunisiennes comme étant le plus progressiste du Maghreb. Puis il a expliqué « qu’aucun pays ne peut avoir entièrement parcouru » le chemin « de la liberté et du respect des individus ». Par conséquent, « je ne vois pas au nom de quoi je me permettrais dans un pays où je suis venu en ami et qui me reçoit en ami de m’ériger en donneur de leçons », conclue t-il. Pour lui, c’est simple. Le débat est clos.

Rama Yade en veilleuse

Autre déception pour les ONG qui attendaient mardi, de pied ferme, un geste de Rama Yade. Elle avait prévu de rencontrer les responsables de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) ainsi que le président de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) Mokhtar Trifi. Elle a tout bonnement annulé son rendez-vous avec l’ATFD « sans aucune explication » et a proposé à M. Trifi de la rencontrer à son hôtel et non plus dans son local. Pressions du président français, tunisien ou simple lâcheté ? En tous cas, « c’est un manque flagrant de respect vis-à-vis des institutions reconnues que sont l’ATFD ou la LTDH », a déclaré Sihem Bensedrine à Afrik.com. Rama Yade et son ministre de tutelle, Bernard Kouchner, font partie du voyage en tant que simples bagages présidentiels, semble-t-il. « Ca fait bien d’emmener une secrétaire pareille dans ses bagages mais rien n’est fait pour avancer sur le terrain des libertés en Tunisie », explique Mme Bensedrine. Jusque là, aucune déclaration n’a été prononcée publiquement et il y a peu de chances de voir la situation se retourner d’ici mercredi, date du retour en France de Nicolas Sarkozy et de son équipe.

Dans la lignée de ses prédécesseurs

Jacques Chirac, qui a cédé sa place de chef d’Etat français en 2007, affirmait en 2003 lors de sa visite en Tunisie que le premier des droits de l’homme était « de se nourrir ». Une déclaration qui est restée en travers de la gorge des défenseurs des libertés en Tunisie. Ils espéraient la « rupture » tant annoncé par M. Sarkozy lors de sa campagne présidentielle. Tel le « fils spirituel » de Jacques Chirac, l’actuel président français est soucieux de préserver d’excellentes relations avec le maître du pays tout en profitant du « miracle économique tunisien ». Preuve en est, les contrats juteux signés lundi avec Airbus et Alstom, l’un pour la livraison d’une dizaine d’avions et l’autre pour la construction d’une centrale thermique. Mais Mme Bensedrine ne voit pas comment la Tunisie « va payer le milliard » pour Airbus, sachant que la situation économique est, selon elle, « catastrophique ». « On n’attend plus rien de la France (…), le pays des droits de l’homme » et « on va devoir compter sur nous-mêmes et la société civile », conclut Mme Bensedrine.

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