Daby Touré, brasseur de sons


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Daby Touré
Daby Touré

Ce week-end, Daby Touré a conquis le public de Dakhla, ville du Sahara, au cours du Festival mer et désert organisé sous le haut patronage du roi du Maroc. Sa musique, généreuse et inventive, mêle harmonieusement sons d’Afrique et du monde. Interview.

Daby Touré est né en 1971 à Boutilimit, en Mauritanie. Il mène très tôt une vie itinérante à travers l’Afrique de l’Ouest. À la séparation de ses parents, il suit son père, musicien. Il vit dans les villes de Ziguinchor, Dakar, Nouakchott, et le village de Djéol. D’un pays à l’autre, il est tour à tour élevé par sa grand-mère, son père et ses oncles. Ses ascendances et ses innombrables voyages lui apportent une parfaite maîtrise des langues wolof, soninké, pulaar, et hassanya. Il prête une oreille très attentive aux musiques des pays où il réside et dévore tous les sons qui lui parviennent du reste de l’Afrique et des pays anglo-saxons. A l’âge de dix-huit ans, il quitte le continent. Menacé par son père qui ne veut pas qu’il devienne artiste, il apprend seul et en cachette à jouer de la guitare. En France, il profite de la diversité musicale que lui offre son pays d’accueil pour parfaire ses connaissances et écoute les nouveaux sons que lui propose la scène pop, fréquente le milieu du jazz-rock et collabore avec le groupe Sixun.

En 2001, il réalise son premier album, Diam, seul, chez lui, dans un home studio improvisé. Quand il reçoit sa maquette, Real World, le label du musicien anglais Peter Gabriel le signe instantanément pour la réalisation de trois albums. Puis Peter Gabriel lui confie les premières parties de sa tournée européenne. Le deuxième album de Daby Touré, Stereo spirit, est paru En 2007. Invité par le Festival de Dakhla, en plein cœur du Sahara, il a enchanté le public par sa générosité et sa créativité lors du concert qu’il a donné samedi soir, ainsi qu’au cours des ateliers et des bœufs animés avec les musiciens présents pendant l’événement.

Afrik.com : Quel effet ça vous fait de jouer ici, au festival de Dakhla, en plein désert du Sahara ?

Daby Touré : J’ai déjà joué au Maroc, à Casablanca. Mais dans le désert, c’est la première fois. Vous savez, je suis mauritanien, et ici j’ai vraiment l’impression d’être à la maison. Quand je vois les femmes voilées dans leur robe, l’allure des gens, c’est formidable !

Afrik.com : Vous avez animé un atelier avec des enfants de Dakhla, jeudi dernier. Que tirez-vous de cette expérience ?

Daby Touré : C’était très fort. Les enfants sont très généreux, très spontanés, prêts à tout partager. Alors quand on reçoit tout ça, on essaie de ne pas pleurer. Mais c’est très difficile.

Afrik.com : Quand vous étiez enfant vous-même, vous rêviez d’être musicien. Mais vos parents n’étaient pas trop d’accord. Pourtant votre père, Hamidou Touré, est l’un des membres fondateur du célèbre groupe Touré Kunda…

Daby Touré : Oui, ça été très difficile pour moi de devenir musicien. Mon père, comme tous les pères africains, comme tous les pères, voulait que son fils fasse les meilleures écoles, aie les meilleurs diplômes. La musique n’était pas un métier pour mes parents. Quand je leur ai parlé de mes projets, ils m’ont dit : « Artiste ? C’est quoi ça ? Va étudier ! » Donc, devenir musicien a été un combat de tous les jours. Un combat que j’ai gagné finalement. Maintenant, mon père et moi, on travaille ensemble.

Afrik.com : Vous jouez une musique très ouverte sur la pop, le rock et le reggae, mais sans trahir votre culture africaine. D’où vous vient ce goût du mélange ?

Daby Touré : C’est lié au fait que, pour moi, faire de la musique c’est une forme de thérapie. C’est une passion, étroitement liée à mon envie de communiquer. J’ai beaucoup voyagé. J’ai été au village. J’ai appris mes racines soninké, du côté de mon père, et hassanya, du côté de ma mère. J’ai beaucoup vécu chez les gens, y compris en Europe où j’ai dû m’adapter. J’écoute, j’emmagasine, et y a un truc spontané qui sort dont les auditeurs n’arrivent pas à reconnaître l’origine. Mais que je joue au Mexique, que je joue en Afrique, des gens adhèrent, et c’est ma plus grande fierté.

Afrik.com : Vous faites partie d’une nouvelle génération d’artistes africains qui pousse de plus en plus fort pour être connue et reconnue sur le marché international. Est-ce difficile d’y trouver sa place ?

Daby Touré : Oui, il y a une nouvelle génération qui est apparue depuis dix ans. Moi, au début, je faisais du jazz-rock, je n’arrivais pas à sortir la tête de l’eau. Et puis, peu à peu j’ai évolué, mais c’est resté difficile. Il faut dire que les producteurs, les organisateurs de gros événements prennent toujours les anciens, comme Salif Keita et autres, alors qu’il y a des jeunes – comme le sénégalais Diogal Sakho, par exemple – qui proposent de nouvelles choses. Il ne s’agit pas d’enterrer les aînés grâce auxquels on est là, mais il faut entendre aussi les générations montantes. C’est inadmissible que certains artistes soient toujours dans les bacs et que d’autres, pourtant très talentueux, n’y soient pas. De nos jours, il ne faut plus parler de griot lorsqu’on évoque les musiciens africains. Certains aiment cette image passéiste, cet exotisme qui s’est développé pendant les années 80. Mais maintenant, nous sommes des artistes à part entière, à l’égal des autres musiciens professionnels.

Afrik.com : Vous-même avez rencontré beaucoup d’obstacles pour sortir votre album Diam. Alors qu’au départ vous espériez être produit en France où vous vivez et créez, c’est un anglais, Peter Gabriel, qui vous a donné votre chance. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Daby Touré : Ca a été très difficile pour moi. J’espérais beaucoup de mon pays d’accueil. J’ai vécu dix ans en France, j’ai commencé là en tant que professionnel, j’ai tout fait, les cafés, les bars… Et quand j’ai envoyé mon CD aux producteurs français, ils ne m’ont même pas répondu. J’ai été très déçu. Donc je l’ai envoyé à Realworld, le label de Peter Gabriel, et peu de temps après j’ai reçu un message qui disait : « Je suis Amanda Jones, on a reçu ton CD, on l’écoute toute la journée, Peter voudrait te rencontrer. » Tout le poids que j’avais accumulé s’est évanoui. J’ai été là-bas et tout a été très vite. Car mon album était très abouti, j’avais acheté du matos et je m’étais enfermé pour travailler parce que j’étais convaincu de mon projet. Quand je suis arrivé dans le bureau de Peter Gabriel, il m’a félicité. J’étais gêné, je ne savais pas où me mettre ! Et quand l’album est sorti, la même maison de disque, Virgin France, qui m’avait refusé, s’est retrouvée à le distribuer parce qu’elle a un accord avec Realword

Il faut dire clairement les choses : quand on ne chante pas en français, on ne peut pas exister en France. Je comprends la loi, le côté nationaliste du pays. Mais il y a des artistes qui chantent dans d’autres langues et qui méritent d’exister. Cette loi que les Français ont adopté pour privilégier les chanteurs francophones devait servir à combattre les Anglo-saxons. Mais ils sont imparables. Donc, ce sont les plus faibles qui en pâtissent. Alors j’espère qu’à l’avenir il n’y aura plus de barrières, que toutes les cultures vont se mélanger et que tout le monde écoutera les mêmes choses.

Afrik.com : Quels sont vos projets pour cette année 2008 ?

Daby Touré : Mon projet, c’est d’abord rester en bonne santé, et garder ma famille et mes amis. Tant que j’aurai ces gens-là à mes côtés, je pourrai continuer à faire mon métier. Et puis il y a les rencontres aussi, comme celle avec Peter Gabriel, j’y crois vraiment. J’ai des projets, nombreux. De disque, en particulier. J’ai déjà commencé à bosser sur le prochain album. Donc dans quelques mois, à la rentrée prochaine normalement, on va balancer un nouveau skud !

Pour commander l’album Stereo spirit, chez Realworld Virgin (2007)

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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