Zimbabwe : un fermier blanc se reconvertit dans le tourisme avant d’être exproprié


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George Heyns

George Heyns a créé le tour opérateur Go Wild en 2002 pour partager ses passions, la nature et l’écologie, avec les touristes. Mais la décision de l’ancien fermier blanc est aussi liée à la politique du Zimbabwe, son pays natal, où les agriculteurs blancs sont expropriés de leurs terres au profit des Noirs. George Heyns n’en garde aucune rancune, trop heureux d’avoir réalisé un vieux rêve. Interview.

Le tour opérateur Go Wild est de fruit de l’amour et du hasard. George Heyns était en effet passionné d’écologie et de nature depuis son plus jeune âge. Ce Zimbabwéen blanc s’est lancé en 1974 dans l’activité agricole, marchant ainsi sur les traces de son père. Mais en 2002, il monte Go Wild, un tour opérateur qui propose des safaris et une découverte du « vrai Zimbabwe » aux touristes. Mais il reste fermier. C’est la réforme agraire du Président Robert Mugabe, qui vise à prendre aux Blancs leurs terres pour les distribuer aux Noirs, qui le pousse à cesser ce travail et à se consacrer corps et âme à ses premières amours. Des passions qu’il fait partager à la carte aux visiteurs d’Afrique (Afrique du Sud et Zambie principalement) et d’ailleurs (Etats-Unis, Allemagne, Autriche, Pologne). George Heyns revient sur les spécificités de Go Wild et sur son entrée précipitée dans le milieu du tourisme.

Afrik.com : Pourquoi avoir décidé de monter Go Wild ?

George Heyns :
J’ai été élevé dans la brousse. J’ai donc un lien très fort avec nature et l’écologie, qui sont les passions de ma vie. Réaliser un tel projet faisait partie de mes rêves. Et je voulais partager cette passion avec les gens.

Afrik.com : Le siège de Go Wild est à Bulawayo. Pourquoi ce choix ?

George Heyns :
C’est un lieu stratégique. Bulawayo se situe proche des Chutes Victoria, qui sont l’une des principales attractions du pays. Par ailleurs, c’est une ville historique où les monuments à voir ne manquent pas.

Afrik.com : Comment travaillez-vous ?

George Heyns :
Nous sommes sept à travailler pour Go Wild. C’est une petite entreprise, mais nous essayons de faire de notre mieux pour satisfaire les clients. Nous pouvons en prendre jusqu’à dix, mais l’idéal est lorsqu’ils sont six parce que cela nous permet de mieux tisser des liens. Nous avons des guides et chauffeurs qui peuvent emmener les touristes où ils veulent aller. Car ils sont maîtres de leur emploi du temps. Si l’un d’eux veut rester pêcher alors que les autres font de la chasse, il peut demander à partir faire autre chose. Nous nous adaptons à leurs besoins et envies.

Afrik.com : Quelles sont vos spécificités ?

George Heyns :
Beaucoup viennent voir les Victoria Falls, mais il y a tant d’autres choses à voir ! Historiquement et culturellement, le Zimbabwe a beaucoup à offrir. C’est pourquoi nous proposons aux touristes de découvrir le « vrai Zimbabwe ». Mais nous ne faisons pas de safaris de luxe. . Je n’ai pas de chandeliers à offrir. Nous ne proposons pas des logements du type hôtels, mais des tentes aménagées, où l’on trouve tout le nécessaire et le confort possibles. Pour que les touristes se sentent plus proches de la Nature, elles sont placées dans la brousse ou en forêt pour qu’ils s’imprègnent de la réalité de la nuit, des bruits et des odeurs. C’est pour cela que j’ai appelé le tour opérateur Go Wild. Si le touriste a une idée précise de ce qu’il veut faire, nous prenons en compte ses désirs et l’accompagnons. Pour ceux qui n’ont pas de préférences, nous leur donnons des options, car il y a tant à voir au Zimbabwe que l’on ne peut pas tout faire en un voyage. Ils peuvent faire des randonnées, de la pêche, partir en safari ou à la chasse. C’est le touriste qui décide quand il veut partir faire telle ou telle activité. Pour ce qui est de la nourriture, toujours de qualité, nous proposons des plats locaux. Les touristes peuvent même participer à la préparation des plats.

Afrik.com : Quelle est le coût pour d’un séjour ?

George Heyns :
Tout dépend de ce que le touriste veut faire. Pour une journée classique, c’est 250 dollars américains par jour, tout compris : nourriture, boissons (y compris l’eau minérale), transport… Bien sûr, ce prix augmente en fonction de la distance que veut parcourir le touriste.

Afrik.com : Sur votre site, vous expliquez que vos coûts sont très abordables et moins chers que certains autre opérateurs. Arrivez-vous à vivre de cette activité ?

George Heyns :
On se débrouille. Nous tenons à laisser les coûts tels qu’ils sont. C’est plus avantageux car les gens viennent plus facilement en groupe. En revanche, lorsque les prix sont élevés, ils sont moins nombreux.

Afrik.com : Une crise économique sévère frappe le Zimbabwe depuis plusieurs années. Cela a-t-il eu des conséquences fâcheuses sur votre activité ?

George Heyns :
Je trouve que Go Wild s’en sort bien, mais nous avons enregistré une baisse du nombre de touristes l’an dernier, peut-être à cause de la crise économique. Nous avons eu, en 2004, entre 70 et 80 réservations et avons fait un chiffre d’affaires qui oscille entre 60 et 70 millions de dollars zimbabwéens (entre 8 000 et 9 500 euros, ndlr).

Afrik.com : Avant de gérer Go wild, vous étiez fermier. Pourquoi avoir abandonné cette activité ?

George Heyns :
J’ai arrêté cette activité en août dernier, surtout à cause de la politique agraire du pays. J’avais reçu une notification qui disait que ma ferme était « acquérable » par l’Etat. Je me suis dit qu’il n’y avait pas à attendre longtemps avant qu’on m’en dépossède. Alors je suis parti.

Afrik.com : Avez-vous des regrets d’avoir dû abandonner cette activité ?

George Heyns :
Au bout du compte, pas vraiment. Ce contexte m’a, en quelque sorte, donné l’opportunité de me consacrer à ce que j’ai toujours voulu faire. Le travail de fermier m’a beaucoup apporté, mais maintenant, j’ai la nature.

Afrik.com : Avez-vous ressenti un sentiment d’injustice quant au fait d’être dépossédé de votre terre ?

George Heyns :
S’il y a de l’injustice, elle est des deux côtés. Les Blancs souffrent de ne plus avoir de terre, mais il était injuste aussi que les Noirs n’en aient pas.

Afrik.com : En cessant d’être fermier, vous avez perdu une source de revenu. Est-ce que le changement brutal n’a pas été difficile ?

George Heyns :
Maintenant, je n’ai plus tous les frais que j’avais pour faire fonctionner la ferme. Donc je m’en sort.

Afrik.com : Que pensez-vous de la politique agraire du pays ? Est-ce une bonne mesure ?

George Heyns :
On verra avec le temps. Cela prendra un certain temps avant d’en voir les conséquences. Ce pays a beaucoup de potentialités, je suis sûre que les choses vont s’arranger.

Afrik.com : Certains estiment que les Zimbabwéens noirs ne sont pas suffisamment formés pour reprendre de grosses fermes. Pensez-vous qu’ils seront à la hauteur ?

George Heyns :
C’est en faisant des erreurs qu’on apprend. Lorsque l’on commence un métier, on se trompe, mais ça n’arrive pas deux fois. Le principal problème qu’ils vont rencontrer sera le climat très sec : la plupart des cultures du Zimbabwe ne sont pas irriguées avec un système spécifique. Il faudra que les fermiers noirs apprennent et s’adaptent à la situation. Je suis très confiant. Nous le sommes tous.

Afrik.com : Certains fermiers blancs sont partis dans d’autres pays pour exercer leur métier. D’autres ont-ils choisi de se reconvertir dans une autre activité ?

George Heyns :
Oui. ils sont partis avant que leur ferme ne soit saisie. Certains ont trouvé une activité dans les villes. Ils font de l’import-export, deviennent commerçants, pêcheurs, gérants de restaurants ou de cafés ou se reconvertissent dans une activité industrielle. Mais certains fermiers blancs sont restés sur leurs terres et poursuivent leur travail.

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