Zêdess : la musique, c’est le cinquième pouvoir en Afrique


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En quatre albums, le Burkinabé Zêdess s’est taillé une solide réputation de chanteur engagé. Une étiquette d’ailleurs qu’il refuse tant le terme lui semble avoir été galvaudé. Un chanteur qui a des choses à dire, et qui les dit en musique.

La voix du peuple, la voix des peuples, Zêdess est la conscience citoyenne d’une société universelle. A la recherche aujourd’hui d’un tourneur, il nous confie ses convictions et dénonce les difficultés rencontrées par la musique africaine en France. Zoom sur un chanteur au coeur gros comme l’Afrique.

Afrik.com : Acceptez vous l’étiquette de  » chanteur engagé  » ?

Zêdess : Je préfère dire que je suis un chanteur convaincu. Parce que la conviction n’a pas tout cet aspect ponctuel, circonstanciel et même opportuniste que la notion d’engagement peut avoir. Le système réclame et se délecte du politiquement incorrect. Moi je ne cherche pas le sensationnel, je chante juste la vie de tous les jours en me nourrissant de ce qui m’entoure.

Afrik : Au Burkina vous avez rencontré quelques problèmes suite à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Pouvez-vous revenir sur ce qui s’est exactement passé ?

Zêdess : Le 13 décembre 1998, le directeur de publication du journal L’indépendant, Norbert Zongo, est assassiné. Son assassinat aurait impliqué des hommes de main du gouvernement. Il n’y a pas de véritable opposition politique dans le pays et en tant que journaliste Norbert gênait. Il avait mis son nez là où il ne fallait pas. Suite à sa mort, un collectif d’associations s’est créé et diffusait sous le manteau des t-shirts à l’effigie de Norbert. Porter le t-shirt avait un caractère fortement politique et nous exposait à des représailles. Je l’ai porté et j’ai même écrit un poème,  » mon crime « , qui fut publié dans L’indépendant, à la mémoire de mon ami (c’est aussi une des chanson de son dernier album ndlr). Coups de téléphone anonymes, menaces, j’ai préféré quitter le pays pendant que l’affaire se calme.

Afrik : Pourtant le Burkina a une forte tradition démocratique, comment expliquez-vous les troubles après la disparition de M Zongo ?

Zêdess : Dans le pays, il n’y a pas de leader charismatique dans l’opposition. Seul Norbert jouait ce rôle. Tant que l’on ne touche pas aux intérêts du pouvoir, c’est vrai qu’il y a, au Burkina, une certaine liberté d’expression. Mais l’Etat a sous-estimé l’importance de Norbert. A sa mort, c’est tout un pays qui s’est levé. Les autorités ont pris peur et ont pris conscience qu’elles ne jouissaient pas d’une totale impunité.

Afrik : En tant que chanteur convaincu c’est surtout à travers la musique que vous diffusez vos messages. Vous semblez avoir un véritable impact social dans le pays, et ailleurs. Comment expliquez-vous cela ?

Zêdess : La musique, c’est le cinquième pouvoir en Afrique. Au Burkina, comme dans beaucoup de pays africains, le taux d’alphabétisation est très bas. La musique est accessible à tous. C’est un vecteur plus direct, plus accessible, plus populaire pour parler aux gens.

Afrik : Pour vos textes, vous vous inspirez de la société burkinabé. Comment expliquez-vous que vos chansons, notamment dans votre dernier album, aient une véritable dimension universelle ?

Zêdess : Les problèmes sont partout les mêmes, même s’ils sont exacerbés en Afrique. Partout la politique est une question d’intérêts personnels. Partout les politiques sont coincées par des enjeux économiques. Partout on constate une rupture entre les gouvernants et les gouvernés. J’essaie de faire passer dans mes chansons le fait que chacun de nous a le pouvoir de dire non. Nous sommes tous une partie de l’opinion publique. Et ensemble nous pouvons faire fléchir nos élus.

Afrik : Vous chantez uniquement en français dans votre dernier album. Ne craignez-vous pas de vous éloigner de ceux dont vous êtes la voix au Burkina ?

Zêdess : Au contraire, c’est un atout. Dans le pays, il y a plus de soixante langues différentes, mais tout le monde comprend le français. Plus largement, ce sont les quatorze pays francophones d’Afrique qui peuvent écouter et comprendre mes chansons.

Afrik : Avec évidemment la France…

Zêdess : Je trouve que la France tient un discours assez ambigu et paradoxal vis-à-vis de la francophonie. D’un côté, elle tient à conserver intact son espace francophone en Afrique, mais de l’autre elle refuse tout apport culturel de ses anciennes colonies. Les médias sont fermés aux artistes africains. Notre musique est  » ghettoïsée « , réservée aux seuls médias dit  » spécialisés  » (Africa N°1 en radio par exemple, ndlr). La France refuse le métissage qui a pourtant fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui.

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