Youcef Chahine, ou « l’art de l’insoumission »


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Le nouveau livre du grand critique de cinéma égyptien (résidant en France) Moustapha Salah Hashem, « Le réalisme documentaire dans le cinéma de fiction arabe » (publié en langue arabe ? Ndlr non encore traduit en français), sera publié au cours du mois de juin 2014 prochain par l’Organisme public du livre en Égypte.

Dans ce livre, Salah Hashem présente une série de films exposés au cours de différents festivals et manifestations cinématographiques qui ont lieu soit en France ou ailleurs. L’auteur consacre les premières pages dudit livre pour parler de certains films du grand réalisateur égyptien, le feu Youcef Chahine. D’ailleurs même quelques-uns de ses films ont été exposés au cours du festival « Théâtres au cinéma » qui a lieu dans la banlieue de Bobigny en France entre le 30 mars et le 11 avril de l’an 2010. L’auteur Salah Hashem porte un regard critique sur quelques longs et courts métrages réalisés par Youcef Chahine et nous expose une idée sur le cinéma moderne à travers ses différentes réalisations comme : « La porte en fer » (Bab El Hadid), « La terre » (El Ardh), « Pourquoi Alexandrie ? » (El Iskandaria lih ?), « Le fils du Nil » (Ibn Nil ), « Le conflit du Ouadi » (Siraâ fi El Ouadi ) et autres.

En marge de ces différentes réalisations de Youcef Chahine dans le cinéma égyptien, il nous est apparu nécessaire de citer son célèbre film « Gamila », réalisé en 1958 à la mémoire du combat courageux mené par la grande combattante algérienne Djamila Bouhired, jugée à l’époque par l’administration coloniale française et condamnée à mort avant que son avocat maître Vergès (qui est devenu par la suite son époux) mène un long combat pour la défendre et puisse faire acquitter sa cliente grâce à une grande médiatisation sur l’affaire de Djamila Bouhired. À cette époque, Youcef Chahine a tenté de rentrer en contact avec Djamila Bouhired mais en vain car elle était emprisonnée, cela dit ceci ne l’a pas empêché pour réaliser son film sur la guerre algérienne « Gamila » dont le rôle a été incarné par la célébrissime et la sublissime actrice « Magda ».
Pour Salah Hashem, le réalisateur Youcef Chahine est semblable à une « grande pyramide culturelle et l’un des plus importants réalisateurs Égyptiens et Arabes dans le monde entier. Youcef Chaine est un trésor du grand patrimoine égyptien dans la culture cinématographique, voire un grand “portail” culturel ».

Toujours à propos de Youcef Chahine, Salah Hashem dira de lui qu’il est « le père spirituel du cinéma arabe moderne car d’après son style cinématographique qu’il a modernisé il a su refléter une de ses formes de révolte contre l’injustice et la violence menées par le pouvoir égyptien, ce pouvoir qui n’a jamais réussi à l’apprivoiser pour son propre compte. De même, Youcef Chahine est le fondateur d’un courant dans le cinéma égyptien, ce courant est celui de la “révélation de l’être et du soi” ».
Ce courant apparaît de façon claire dans certains de ses films comme dans : « Pourquoi Alexandrie ? » (El Iskandaria lih ?), « Alexandrie, encore et encore » (El Iskandaria Kaman we Kaman ), « Alexandrie – New York » (El Iskandaria – New york ), etc., lesdits films posent le problème de l’être et de l’individu et dévoilent la relation de l’individu avec autrui et sa relation avec l’existence, c’est une recherche continuelle sur l’identité de l’individu. Youcef Chahine nous fait aussi découvrir les différentes contradictions de la société égyptienne émergée dans un climat de violence politique, et aussi un climat intellectuel et démocratique avortés sans oublier l’absence ou l’inexistence d’un projet national pour la société égyptienne.

Pour l’écrivain Salah Hashem, les films de Youcef Chahine portent l’identité de la nouvelle Égypte, ses films parlent des craintes de l’Égypte, de ses malheurs, de sa perdition, etc., tous ces sentiments négatifs on les ressent à travers l’un de ses films, à titre d’exemple, le film : « C’est l’anarchie » (Hiya Fawdha) à travers lequel le réalisateur lance des cris envers ces injustices pour dire « ÇA SUFFIT ! ».

Salah Hashem dira que le cinéma égyptien ne cesse de faire le tour du monde et que l’Égypte est pionnier dans le cinéma arabe sans conteste et cela grâce à l’art de Chahine et personne ne pourra lui détrôner cet honneur que l’Égypte le détient avec fierté.

Par ailleurs, l’écrivain rajoute que Youcef Chahine demeure une « école » pour les nouvelles générations du cinéma arabe qui souhaitent apprendre tout l’abécédaire de l’art cinématographique non seulement dans le cinéma mais aussi dans « l’art de l’insoumission ».

Dans son livre, l’auteur nous parle aussi de la huitième session du festival du film arabe tenu à Rotterdam en Hollande du 18 au 22 juin 2008 et fait un clin d’œil à la « création de la vision cinématographique » ou plutôt du « regard cinématographique » dans le cinéma arabe.

Parmi les films exposés au cours dudit festival, il nous parle du film « Œil du soleil » (Aïn Eshams), un film du réalisateur égyptien Ibrahim Batote. Le film a été exposé en parallèle avec d’autres films arabes : syriens, marocains, algériens et autres.

« Œil du soleil » s’est fait distingué par rapport à d’autres films par son sujet et son style artistique, il combine le modernisme et la sensibilité, il constitue une sorte d’« outil de communication » et reflète une « vision » du monde des pauvres. « Œil du soleil » n’est autre que le nom d’un quartier populaire égyptien enfoui au cœur de la capitale Le Caire. Ce quartier qui était jadis une célèbre capitale à l’épopée pharaonique et un site sacré que le prophète Jésus et la Vierge Marie l’ont visité, mais qui est devenu malheureusement aujourd’hui un quartier poubelle : les choses ont changé et l’ancien quartier est devenu l’un des plus pauvres quartiers au Caire et le plus abandonné à son propre sort malheureux. Le quartier a perdu sa vivacité et devenu une ville pauvre désordonnée et détériorée au sein d’une capitale renommée par sa gente « aristocrate » et ses quartiers chics.

Salah Hashem mettra l’accent sur « cette fonte existante entre deux couches sociales : les pauvres d’un côté et les riches d’un autre. Les quartiers populaires en Égypte n’abritent apparemment que les marginalisés, les misérables, les chômeurs et les jeunes sans espoir qui n’ont pour rêve que quitter l’Égypte et partir vers les États-Unis ou vers les pays du Golf ou vers une autre destination où la misère ne les poursuivra pas ».

À côté de ce film, Salah Hashem nous parle d’un autre film qui s’intitule « Klifti », affiné par le grand réalisateur égyptien Mohamed Khan et exposé au cours des événements du festival de la septième Biennale pour le cinéma arabe à Paris. Ce film raconte l’histoire des « mômes des rues » en Égypte, à travers la vie d’un jeune chômeur perdu et triste qui passe sa vie comme un chien errant dans les grandes ruelles du Caire. Ce jeune homme errant et perdu cherchera par tous les moyens pour continuer non seulement à « survivre » mais surtout à « vivre » même au détriment de tout principe, il n’hésitera pas à vendre son âme au diable et piétiner sur les mœurs voire même aller jusqu’à escroquer les gens.
Nous voici avec Salah Hashem, sur les marches du festival de Cannes au cours de sa 65e session, pendant laquelle a été exposé le film « Après la conquête » (Baâda El Mawkiâa), un film relatant la révolution égyptienne du 25 janvier 2011 du réalisateur égyptien Yousri Nasrallah. Salah Hashem dira à propos de ce film que : « “Après la conquête” pose la question sur “l’après de la révolution égyptienne”, en d’autres termes, il pose la question suivante : qu’est-ce qu’il va y avoir après cette révolution, ou plutôt qu’adviendra de l’Égypte après cette révolution ? » L’auteur nous expose « l’état psychique des Égyptiens après la révolution : désespoir et mélancolie car la révolution a été détournée par les militaires qui ont reproduit à nouveau le système de Moubarak comme si la révolution du 25 janvier 2011 n’a pas eu lieu et n’a jamais existé ».

À propos de la valeur essentielle dans le cinéma égyptien, Salah Hashem dira que « cette valeur incite à réfléchir et à creuser les méninges au moment même où nous assistons aujourd’hui et nous voyons partout en Égypte des pancartes affichés sur l’entrée des salles de cinéma la mention tracée de “Interdit de penser” et où dans ce pays le sentiment d’“aimer” est un acte criminel ».

Dans la partie où l’auteur pose la question sur « Qui produira demain le cinéma en Égypte », Salah Hashem nous relate un peu les événements du festival de Montpelier pour le cinéma méditerranéen dans sa 29e session qui a eu lieu entre le 26 octobre au 04 novembre 2007 pendant lequel le cinéma arabe a marqué encore une fois sa présence. « Rouge bleu » (Ahmar Azrak) est l’un des films exposés au cours dudit festival, le film débute par l’image d’un jeune homme faisant l’amour en cachette, loin des regards curieux, avec sa copine dans un appartement. Cet acte d’amour prohibé, qui est une façon comme une autre de se révolter contre les contraintes lourdes des traditions et des coutumes de la société égyptienne. Le jeune homme se retrouvera face à plusieurs problèmes et le mariage pour lui devient un objectif difficile à atteindre. Une situation semblable pour des milliers de jeunes égyptiens chômeurs et errants et cela même malgré les longues études universitaires entamées, car ils se retrouvent dans leur majorité dans une situation de clochardisation, et c’est la raison pour laquelle ils deviennent un appât facile pour les groupes intégristes.

Le présent livre de Moustapha Salah Hashem nous fait voyager d’un festival à un autre, nous projette d’un film à un autre, nous expose ses différentes critiques à propos de certains films égyptiens et arabes exposés au cours desdites manifestations culturelles, et nous donne ses différentes visions que ce soit au sujet du problème du « cinéma arabe » taxé en tant que cinéma qui souffre de « l’épidémie de la parole » ou à propos du « miracle de la vie (ou de vivre en) Égypte » ou même à propos des « meilleurs réalisateurs dans le monde entier » et aussi ou surtout sur « ce grand art » qui est le cinéma qui se construit grâce à « des petits détails ».

Le livre « Le réalisme documentaire dans le cinéma de fiction arabe », regroupe un ensemble de critiques et des pensées sur le cinéma que ce soit pour les longs ou les courts métrages que Moustapha Salah Hashem avait assisté pendant les différents événements de plusieurs festivals et cela durant plusieurs années pendant lesquelles il s’est déplacé dans différents endroits et a participé à plusieurs manifestations culturelles. L’auteur nous étale, par le biais du cinéma, une image sur l’Égypte, en particulier, et une autre sur le monde arabe, en général, et fait de cette image selon ses propos : « un écran géant qui expose la vie de l’Égypte, qui était le berceau des civilisations ».

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