Yaoundé 2001 : la corruption au sommet


Lecture 4 min.
Drapeau du Cameroun
Drapeau du Cameroun

Le 21ème sommet France-Afrique ouvre ses portes à Yaoundé, alors que les affaires africaines occupent le devant de la scène française. Que penser d’un tel sommet, dans le contexte juridico-financier français ? C’est la question qu’Afrik.com a posée à Verschave, président de l’association Survie.

Le sommet franco-africain de Yaoundé réunit la présidence française et plusieurs dizaines de chefs d’Etat et de ministres africains. François-Xavier Verschave, à la tête de l’association Survie, a mis à jour de nombreux réseaux illégaux qui relient la France à l’Afrique. Selon lui, ce sommet est un archaïsme d’autant plus caricatural qu’il se déroule au Cameroun, pays classé deux années de suite à la première place des pays corrompus, par des organismes indépendants comme Transparency International.

Afrik.com : Que pensez-vous du sommet franco-africain de Yaoundé ?

F-X Verschave : Le sommet de Yaoundé n’est qu’un gigantesque archaïsme, et ce à différents titres. Tout d’abord, cela fait bien longtemps que le gouvernement a manifesté sa lassitude à l’égard de ces relations post-colonialistes. Mais, à cause de la cohabitation, on a laissé renouveler l’exercice. D’autre part, on a laissé ce sommet s’installer dans un pays qui fut par deux fois nommé le plus corrompu au monde. Le choix de ce lieu représente une caricature, pour le moins amère, des relations franco-africaines. Il faut dire que le régime camerounais est soutenu par la France. Selon, Loïk Le Floch-Prigent (ancien PDG d’Elf) la société Elf est à l’origine de l’accession au pouvoir de Paul Biya. Il a été élu à la tête de l’Etat en 1982, puis réélu grâce à un système organisé de fraude électorale. Le Cameroun n’assure plus aucun service public et la corruption est présente à chaque échelon de la société. Un hôte de choix pour un sommet de la transparence.

Afrik.com : Quel va être l’impact des  » affaires  » sur le déroulement du sommet ?

F-X Verschave : Le sommet de Yaoundé arrive à un moment où les soubassements cachés, les fonctionnements géopolitiques et les actions des réseaux entre la France et l’Afrique sont devenus criants. On voit comment l’entourage d’un ministre a pu fournir plus de trois millions de francs d’armement à un gouvernement en guerre civile. Un quelconque discours sur la démocratie semble donc bien éloigné de ces exactions frauduleuses. On va sans doute assister à un phénomène de double ou de triple langage. Les dirigeants africains vont discuter avec le président français, héritier du réseau Foccart (homme clé du réseau  » chiraquien  » de la constellation françafricaine-Ndlr). Ils vont également être confrontés au gouvernement français, peu investi dans les affaires, mais tout de même partagé entre des velléités de nouvelle politique africaine et la continuité que représente Hubert Védrine, panégyriste de la politique africaine de François Mitterrand. Dans cette France plurielle, avec en toile de fond le doute de la présidentielle de 2002, je ne sais pas ce que tout cela peut produire.

Afrik.com : Le contexte politique n’a-t-il pas changé, en Afrique, depuis le précédent sommet franco-africain ?

F-X Verschave : Depuis le dernier sommet, il y a eu un réel mouvement de démocratisation en Afrique de l’Ouest, on peut citer par exemple le Niger, le Sénégal, la Guinée Bissau et même la Côte d’Ivoire dont le processus démocratique a finalement mal tourné. On sent une véritable capacité de ces sociétés à faire échec aux fraudes électorales. Cependant, parallèlement à ce mouvement de démocratisation, l’Afrique Centrale a dû faire face à une aggravation de sa situation politique. Le bilan général est malheureusement plus négatif que positif.

Afrik.com : De quelle façon les dirigeants africains appréhendent-ils le sommet, dans le contexte des  » affaires  » africaines en France ?

F-X Verschave : Certains chefs d’Etat africains s’inquiètent de l’énorme brassage médiatique initié par le juge Courroye. Certains essaient de mettre des barrières, ils dénient leurs rapports illégaux avec la France. Ils veulent être anti-coloniaux après avoir été amplement satisfaits par la situation antérieure. On peut remarquer le jeu complexe de la Libye qui est liée à la fraude française mais qui se présente comme l’apôtre de l’unité africaine et de sa lutte pour l’indépendance.

Afrik.com : Pensez-vous que des choses seront mises à jour à Yaoundé ?

F-X Verschave : Tous les participants feront forcément profil-bas. C’est sans doute le dernier endroit où l’on pourrait parler franchement. Accueilli par un hôte passé maître dans l’art de la corruption, ce sommet ne peut entendre que des mensonges. Il n’est qu’une distraction de plus dans l’emploi du temps allégé de Jacques Chirac.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News