« What a wonderful world », un vent nouveau sur le cinéma marocain


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Dans une Casablanca écartelée entre passé et modernité, se croisent les trajectoires d’un tueur à gage, d’une femme flic et d’un hackeur en quête d’amour et d’espoir. What a wonderful world, film d’une grande inventivité visuelle et narrative, est sorti mercredi sur les écrans français. Son réalisateur, Faouzi Bensaïdi, y présente un regard très personnel sur la société marocaine d’aujourd’hui. Il s’est entretenu avec Afrik.com.

Kamel est un tueur à gage qui reçoit ses contrats par internet. Il a coutume d’appeler Souad, une prostituée occasionnelle, pour faire l’amour après ses exécutions. C’est souvent Kenza qui décroche. Elle est agent de la circulation, responsable du plus grand rond-point de la ville. Bientôt, il tombe amoureux de cette voix et part à sa recherche. Hicham, un hacker professionnel qui rêve de partir en Europe, infiltre par hasard les contrats de Kamel… Voici, en quelques lignes, l’histoire que raconte What a wonderful world, WWW, le deuxième long métrage du réalisateur et comédien marocain Faouzi Bensaïdi, qui y joue le rôle du tueur à gage. Plein d’humour et d’une grande créativité visuelle, WWW multiplie les plans originaux et les clins d’œil aux grands noms du cinéma. Faouzi Bensaïdi a débuté sa carrière dans le théâtre et réalisé un premier film Mille Mois, en 2003,doublement primé à Un Certain
Regard, au Festival de Cannes. Avec WWW, il sort délibérément des sentiers battus et fait souffler un vent nouveau sur un cinéma marocain qui, de plus en plus, parvient à trouver les moyens de ses ambition. Interview.

Afrik.com : Faouzi Bensaïdi, croyez-vous au destin ?

Faouzi Bensaïdi :
Oui. Je crois au destin et au hasard. Je crois même au « hasard mélodramatique ». J’adore l’idée que les destins se croisent et se croisent sans toujours se réaliser. L’on n’arrive malheureusement pas toujours à faire ce que l’on souhaite.

Afrik.com : Les trois personnages principaux de What a Wonderful World, Kamel, le tueur, Kenza, la femme flic, et Hicham, le hackeur, sont tous en quête d’un destin heureux. Kamel et Kenza cherchent l’amour, et Hicham veut s’enfuire vers un monde meilleur. Comment vous est venue l’idée de construire le film autour d’eux ?

Faouzi Bensaïdi :
Un personnage est le résultat de plusieurs idées, d’une réflexion. Kamel est celui qui me relie le plus aux références du genre que je voulais réaliser. Celles du polar, du film noir, que j’ai intégrées aux réalités du Maroc. Kenza, elle, symbolise la force qu’ont les femmes de prendre leur destin en main, d’être libre dans la société. Cette force m’impressionne beaucoup. Quant à Hicham, il a cette place dans le film parce que l’espoir que mettent les jeunes dans l’ailleurs me touche beaucoup. Je ne les juge pas. Toute jeunesse est vouée au voyage. Mais aujourd’hui c’est difficile de partir, parce que les frontières sont fermées.

Afrik.com : Ils sont nombreux, les jeunes Marocains qui, comme Hicham, tentent par tous les moyens de partir en Occident ?

Faouzi Bensaïdi :
L’envie du départ, l’envie de partir ailleurs est très forte. Malgré les dangers terribles, le désir de traverser le détroit reste présent.

Afrik.com : Vous êtes à la recherche d’une esthétique originale. Vous multipliez les plans surprenants et les citations qui font référence aux grands noms du cinéma, tels que Jacques Tati ou Buster Keaton. Pourquoi ?

Faouzi Bensaïdi :
Ce film-là, je le sens très proche de moi, parce qu’il y a une partie de ma vie dedans. Je rends hommage au cinéma qui m’a donné envie d’en faire. Mais ce n’est pas une admiration béate, j’en joue beaucoup. D’autre part, je ne veux pas faire de plans gratuits. Pour moi, chaque plan doit avoir un sens, c’est une exigence.

Afrik.com : Pourquoi avez-vous choisi de tourner votre film dans la ville de Casablanca ?

Faouzi Bensaïdi :
Il y a deux raisons. D’abord parce que j’adore cette ville. Ensuite, parce qu’elle est le reflet exact du Maroc moderne avec ses contradictions. A Casa, aujourd’hui, il y a le Maroc, il y a le monde !

Afrik.com : Qu’est-ce que vous entendez par « contradictions » ?

Faouzi Bensaïdi :
Une mentalité traditionnelle face à une jeunesse qui demande à vivre, à s’émanciper ! Les gens sont très accros à la technologie, à internet, il y a des buildings, et en même temps le passé reste très présent.

Afrik.com : A l’origine, vous êtes un homme de théâtre. Quelles raisons vous ont poussé à vous diriger vers le cinéma ?

Faouzi Bensaïdi :
Mon envie première, c’était le cinéma. Le théâtre a été une forme de remplacement, c’était l’art le plus proche du cinéma. Aujourd’hui, je fais ce que j’avais voulu depuis que j’étais enfant.

Afrik.com : C’est difficile de faire un film au Maroc ?

Faouzi Bensaïdi :
Aujourd’hui, c’est difficile de faire un film partout. Mais au Maroc, sincèrement, je dois reconnaître que j’ai été bien soutenu. Par le Centre cinématographique du Maroc et une télé privé, 2 M, entre autres. Cependant, What a wonderful world n’a pas été facile à monter. Parce qu’il ne correspond pas au type d’œuvre qu’on attend. Le film aurait nécessité plus d’argent, mais beaucoup de bonne volonté et de travail ont fait qu’il a pu voir le jour.

Afrik.com : La semaine dernière, trois films marocains étaient en tête du box-office national. Est-ce le signe que le cinéma marocain va bien ?

Faouzi Bensaïdi :
Sincèrement, oui. Si on se compare avec les autres pays africains et nos voisins du Maghreb, on peut dire qu’au Maroc on est gâté. Nous produisons quinze longs métrages et une soixantaine de courts par an. Il y a une vraie politique d’aide et de formation des jeunes. Une école de cinéma est née à Marrakech en octobre 2006. Les choses avancent.

Afrik.com : What a Wonderful World est sorti le 15 décembre au Maroc. Comment y a-t-il été accueilli ?

Faouzi Bensaïdi :
Il a été très bien accueilli. La presse lui a réservé un accueil formidable. Il n’y a que cinq copies du film, c’est peu. Mais là où il est projeté, il marche bien.

Afrik.com : Pourquoi le film est-il sorti dans si peu de salles ?

Faouzi Bensaïdi :
Parce qu’on n’a pas un marché énorme. Et aussi, parce que les distributeurs considèrent que c’est un film d’auteur, pas une comédie populaire. Il n’a effectivement pas l’ambition d’être sur la première place du box office, mais il trouve son public.

Afrik.com : Votre film sort aujourd’hui en France, pensez-vous qu’il correspondra au goût français ?

Faouzi Bensaïdi :
Je serais incapable de dire ce qu’est le goût français… Mon film s’adresse à l’intelligence du spectateur. Il y a des clés qui peuvent permettre à n’importe quel spectateur de se retrouver et de l’apprécier.

 What a Wonderfull World, avec Faouzi Bensaïdi, Nezha Rahil, El Mahdi Alaaroubi… Durée : 1h39

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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