
Au Mali, l’ombre de Wagner s’épaissit. Une enquête accablante révèle l’existence de centres de détention clandestins gérés par le groupe paramilitaire russe, où civils torturés et disparus deviennent les victimes invisibles d’un partenariat toxique.
Une nouvelle enquête glaçante, publiée le 12 juin par le consortium Forbidden Stories en collaboration avec Le Monde, France 24 et d’autres médias partenaires, lève le voile sur des pratiques inhumaines perpétrées par le groupe paramilitaire russe Wagner au Mali. Tortures, détentions arbitraires, disparitions forcées : le pays, déjà miné par les conflits, devient le théâtre de méthodes brutales, répliquées des campagnes syriennes et ukrainiennes. À travers des témoignages bouleversants et une investigation minutieuse, le rapport dénonce l’existence de véritables prisons secrètes dissimulées au sein même de bases militaires maliennes.
Des camps militaires transformés en centres de détention illégaux
L’enquête de Forbidden Stories révèle l’existence d’au moins six camps militaires maliens utilisés par Wagner pour détenir et torturer des civils en toute illégalité. À Bapho, Nampala, Sévaré, Sofara, Kidal et Niafunké, des civils sont enfermés sans procès, privés de tout droit, accusés à tort d’être complices de groupes djihadistes. Ces centres de détention échappent à tout contrôle judiciaire et fonctionnent selon les règles implacables de Wagner, loin des regards et des lois.
Selon les témoignages recueillis, les prisonniers y sont enfermés dans des conteneurs métalliques surchauffés, hérités de l’ex-MINUSMA. Entassés, affamés, frappés, ils survivent dans des conditions inhumaines. Des scènes de torture sont rapportées avec insistance : simulacres de noyade, coups de câbles électriques, brûlures au briquet… L’enfer a désormais une adresse dans le Sahel.
Des civils pris dans un engrenage de violence arbitraire
Les personnes ciblées n’ont souvent aucun lien avec les groupes terroristes. Bergers, commerçants, chauffeurs, aide-soignants : les profils des victimes témoignent d’une politique aveugle d’arrestation. À Toulé, dans le centre du Mali, Nawma, un épicier peul, a été arrêté sans motif valable, torturé pendant plusieurs jours à Nampala, avant d’être relâché sans explication. Il raconte avec effroi avoir vu cinq autres détenus égorgés sous ses yeux.
D’autres, comme cet aide-soignant touareg arrêté sur un marché de Kita, décrivent des rafles massives appuyées par des hélicoptères, des pillages, des rafales. S’il n’a pas été torturé, il a vu les séquelles physiques et psychologiques des hommes qui l’entouraient : visages tuméfiés, corps amaigris, regards hantés. « Priez Dieu pour ne pas subir la même chose que nous », lui aurait dit un codétenu à son arrivée.
Un silence complice, des autorités muettes
L’État malien, officiellement allié à Wagner depuis la rupture avec la France, reste silencieux face aux révélations. Sollicités par Forbidden Stories, ni les autorités maliennes ni russes n’ont donné suite aux demandes d’éclaircissement. Un officier malien, sous couvert d’anonymat, confesse : « Les Wagner prennent eux-mêmes les gens sur le terrain et les militaires maliens n’ont pas leur mot à dire. »
Cette opacité renforce le climat de peur et d’impunité. Depuis le départ de la MINUSMA et de la force Barkhane, plus rien ne semble pouvoir freiner les dérives de ce groupe armé, dont les méthodes rappellent tristement celles utilisées en Syrie ou en Ukraine. Le Mali, au nom d’une souveraineté retrouvée, semble s’enfoncer dans un partenariat toxique.
Une enquête pour ne pas oublier
L’objectif du consortium Forbidden Stories est clair : poursuivre les investigations là où des journalistes réduits au silence ont dû s’arrêter. Leur travail au Mali, basé sur des mois d’enquête de terrain et de recueil de témoignages, permet aujourd’hui de donner une voix à ceux qu’on tente de faire taire.
Dans un pays où l’information est de plus en plus contrôlée et les libertés réduites, cette lumière jetée sur les pratiques de Wagner est vitale. Elle rappelle que derrière chaque prisonnier torturé ou disparu, il y a une histoire, une famille, une dignité bafouée. Et qu’il est du devoir des journalistes, et de la communauté internationale, de ne pas détourner le regard.