« Voyage au Congo » : l’Afrique-Equatoriale française comme si vous y étiez


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Dans les années 1920, le déjà célèbre écrivain André Gide décide de partir à l’aventure en Afrique centrale. Son récit, en plus d’être une source historique inestimable, devient un véritable réquisitoire contre les pratiques des compagnies commerciales européennes et de l’administration coloniale. Voyage au Congo, bien que marqué par un paternalisme dérangeant pour des lecteurs d’aujourd’hui, suscitera une vive émotion dans le monde intellectuel français de l’époque.

Voyage au Congo est le journal d’André Gide qu’il a tenu au cours de son voyage en Afrique-Equatoriale française (AEF) de juillet 1925 à février 1926, de l’embouchure du Congo au lac Tchad. Au début de cette remontée du fleuve Congo, il est impressionné par la différence des paysages, par leur monotonie et leur fadeur. Ce sentiment change au fur et à mesure de son avancée et de son adaptation. Mais rapidement, il est choqué par les conditions de vie déplorables des populations africaines. A l’approche de Bangui par exemple, il découvre ce qu’est véritablement l’exploitation coloniale dans les zones forestières. Les autochtones sont brutalisés, escroqués sur leurs salaires, parfois recrutés de force. Il s’indigne également du comportement passif de l’administration coloniale, qui ferme les yeux sur ces pratiques. Pire, il constate qu’elle-même a recours au travail forcé pour la voirie et que les habitants sont effrayés à l’arrivée des Blancs, craignant les rafles.

André Gide le paternaliste, malgré sa vision faussée des Africains, ne supporte pas les injustices des Blancs. Ces derniers, en plus d’exploiter les populations, se permettent de sous-payer les produits locaux. En arrivant au sud du Tchad et à l’approche du lac Tchad, il est en revanche agréablement surpris par la bonne influence de l’islam. Pour lui, le monothéisme est en effet un critère de civilisation. A chaque village, ville, au jour le jour de son périple, Gide livre une série de remarques et d’observation qui en disent long sur la mentalité de l’époque.

Pour une refonte de la présence coloniale

Face aux atrocités qu’il découvre, l’écrivain mène à plusieurs reprises des enquêtes pour éclaircir les cas de mauvais traitements sur les locaux. Son objectif n’est pas la remise en cause du colonialisme, mais de sa forme violente et inhumaine. Gide pense certes que les Africains ont besoin de la présence européenne, mais pas sous la forme de grandes concessions. Il s’inquiète de la délégitimation progressive des Blancs en AEF, et de la complicité contre-productive de la métropole. Autrement dit, il est un défenseur de la « mission civilisatrice » de la France, et souhaite une reprise en main des concessions par l’Etat. D’après lui, l’administration doit limiter l’action néfaste des aventuriers cupides et des exploiteurs privés, afin d’instaurer un ordre juste mais sévère : « Il faut certes s’intéresser aux indigènes, les aimer, mais s’ils sentent la faiblesse chez celui qui commande (et la bienveillance trop apparente sera toujours considérée par eux comme un manque d’énergie), le Chef cessera vite d’en être un à leurs yeux. »

A la publication de son livre en 1927, la droite s’insurge face à cette attaque des intérêts français dans la région, sous la pression des lobbies. Cette critique, pourtant paternaliste et loin d’être anticolonialiste, provoque une polémique intense. Voyage au Congo permet d’informer la métropole sur la situation des peuples colonisés en AEF, et entraîne rapidement davantage de contrôles dans la région. André Gide pensait pouvoir marier l’humanisme, le paternalisme et le colonialisme. Une ambition en avance pour l’époque, même si elle fait sourire – jaune – de nos jours…

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