Virginie Mouanda : le Cabinda est « une prison à ciel ouvert »


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Mémoire d’une colline, publié aux éditions Acoria, est le dernier ouvrage de Virginie Mouanda. A travers le monologue d’une femme d’un certain âge, qui est à la recherche de son fils engagé dans la rébellion du Front de libération de l’enclave du Cabinda (Flec), elle exprime son désarroi face à une guerre sans issue. Le Cabinda, poussé au devant de la scène par l’attentat commis sur le convoi de l’équipe togolaise de football à la veille du démarrage de la Coupe d’Afrique des Nations, par Virginie Mouanda. Entretien.

Un conte, l’autre spécialité de l’écrivain, ouvre Mémoire d’une colline de Virginie Mouanda. Il s’inspire de la mythologie cabindaise qui fait remonter l’origine du nom de l’enclave à l’exclamation d’une femme lorsqu’elle aperçut sur les rivages de l’Océan Atlantique, pour la première fois de sa vie, un tel être : Un Blanc. Un Portugais qui venait de débarquer. « H’binde ! », « malédiction », s’exclamera-t-elle en fioti, la langue parlée par tous les Cabindais. L’auteure, née au Congo, de parents originaires du Cabinda, parle alors de la malédiction du pétrole, de la colonisation portugaise et surtout de la guerre. Mais parce qu’un conte possède souvent une valeur pédagogique, Virginie Mouanda y introduit une métaphore du dialogue salvateur pour que la terre, qui fut baptisée du son perçu par le colon portugais, « Cabinda », connaisse un jour la paix. Virginie Mouanda a vécu au Congo, notamment dans le petit village de réfugiés de M’Bous-Nkale, à la frontière entre son pays natal et le Cabinda, où elle passera également quelques années. A 23 ans, elle quitte le Congo pour la France où elle réside depuis une vingtaine d’années. Mémoire d’une colline est le deuxième livre qu’elle consacre au Cabinda, après Au soleil noir du Cabinda paru aux Editions Transbordeurs en 2004. Un oncle guérillero, fille de réfugiés, réfugiée elle-même avant de porter secours à d’autres, entraînée par sa mère et sa grand-mère, Virginie Mouanda parle en témoin de la détresse de l’enclave.

Afrik.com : Pour beaucoup, l’attentat perpétré contre l’équipe togolaise par des rebelles cabindais du Front de libération de l’enclave du Cabinda (Flec) est non seulement un acte terroriste, mais le signe d’un mouvement qui s’essouffle. Votre héroïne dans votre dernier livre Mémoire d’une colline, Ma Lunes, qui recherche son fils, guérillero du Flec, estime aussi que la guerre est une impasse…

Virginia Mouanda :
En écrivant ce livre, je ne m’attendais pas à ce qu’un tel drame se produise. Depuis 35 ans, les rebelles du Flec combattent le gouvernement de Luanda et aujourd’hui, ils sont plus ou moins dans l’oubli, n’ont plus de direction… C’est presque la débâcle !

Afrik.com : Deux mouvements on d’ailleurs revendiqué cet attentat, le premier à été le Flec – Position Militaire (FLec-PM), que l’on dit sans réelle existence, et le second le Flec – Forces armées cabindaises (Flec-FAC) alors qu’un accord de paix a été signé en 2006…

Virginia Mouanda :
En 2006, Antonio Bento Bembe, qui était sous mandat d’arrêt international lancé par les Etats-Unis, a été obligé de signer un accord avec le gouvernement angolais. Autrement, il se retrouvait à Guantanamo. Contrairement à ce qui a été dit, il ne représentait rien d’autre que sa propre personne. Le Flec-FAC, pour sa part, a toujours des hommes dans le maquis. Quant au Flec-PM, il n’existe que dans l’imaginaire de ses leaders. Dans mon livre, j’explique bien que la cause que défendent les guérilleros cabindais est utilisée par certains pour servir d’autres intérêts. La guerre a été détournée et profite à des personnes corrompues, aussi bien cabindaises qu’angolaises, qui le plus souvent servent d’intermédiaires entre Luanda et la résistance cabindaise, car il s’agit d’un mouvement de lutte pour la libération. Les guérilleros continuent de se battre en toute bonne foi pour défendre leur pays, c’est le cas des rebelles du Flec-FAC. Et à leurs dépens, ceux qui ont acquis un certain statut grâce à eux – chefs militaires angolais et force de sécurités locales cabindaises -, entretiennent ce climat de violence parce que leurs intérêts sont dans la poursuite de la guerre. La réalité est celle-là ! La preuve, il y a entre 30 et 40 000 soldats angolais au Cabinda qui compte 300 000 habitants. Soit un militaire pour 6-7 personnes, ça ne s’est jamais vu ailleurs !

Afrik.com : Dans l’hypothèse où le Flec-FAC ne serait pas responsable de cet attentat, pourquoi le revendique-t-il, au risque de passer pour un simple mouvement terroriste ?

Virginia Mouanda :
Le Flec-FAC souhaite peut-être tout simplement faire parler du Cabinda, faire parler des Cabindais et des atteintes aux droits de l’homme qui y sont perpétrés. S’il est à l’origine de cet attentat, il s’agit d’un coup d’éclat car ils n’ont pas l’habitude de s’en prendre aux civils. Quand c’est le cas, il s’agit de prises d’otages. Ceux qui ont attaqué le convoi de la sélection togolaise étaient cagoulés. Les guérilleros ne le sont jamais parce qu’ils estiment que leur combat est légitime. Pour le Flec-FAC, qui existe depuis 35 ans, la lutte armée est la seule modalité pour lui d’atteindre son but. Cette indépendance qui fut un temps programmée, contrairement à ce que l’on pense sous le numéro 39, je crois, par l’Union africaine (UA). Cependant, les responsables du Flec-FAC ne mesurent pas combien les choses ont changé et que la lutte armée n’est plus encouragée nulle part parce qu’il y a d’autres modes d’action. La négociation, par exemple, à condition que le gouvernement angolais accepte de s’engager dans des pourparlers avec des Cabindais qu’ils méprisent.

Afrik.com : Qui pourrait être leurs interlocuteurs ?

Virginia Mouanda :
Les autorités angolaises savent à qui elles pourraient s’adresser. Il y a deux principaux mouvements : le Front de libération de l’Etat du Cabinda- Forces armées cabindaises (Flec-FAC) de Henriques N’Zita Tiago, le chef historique du mouvement, qui mène la lutte armée, et le Front de libération de l’eclave du Cabinda (Flec) d’Antonio N’Zita Mbemba, fils du premier, qui, lui, prône la non-Violence. Il y a aussi le Flec de Ranque Franck, un autre chef historique dont les héritiers revendiquent la lutte. Seules la réconciliation, la volonté de dialogue des deux parties en conflit, le respect mutuel, pourront sauver le peuple cabindais.

Afrik.com : Pourquoi, selon vous, les autorités angolaises ont décidé d’organiser la CAN au Cabinda qui reste instable ?

Virginia Mouanda :
Par imprudence ou par suffisance, un état d’esprit qui est souvent le leur. Elles se sont peut-être dit qu’avec 30-40 000 hommes, elles étaient à même de garantir la sécurité de tous. En outre, ils semblent qu’elles n’avaient pas prévu que la route soit utilisée

Afrik.com : L’ouvrage que vous venez de publier est le deuxième sur le Cabinda. Dans le premier, le héros s’enrôlait dans la rébellion parce qu’il n’arrivait pas à se faire entendre de Luanda. Dans le deuxième, vous constatez l’impasse dans laquelle est aujourd’hui cette rébellion. C’est le cheminement qui a été le vôtre ?

Virginia Mouanda :
J’ai écrit le premier livre par nécessité d’informer. Je trouvais injuste que l’histoire du Cabinda soit si peu connue, pour ne pas dire inconnue. Le deuxième livre est un hommage à ma grand-mère qui est décédée en 2006. Je n’avais pas pu me rendre à ses obsèques et faire mes adieux à cette grande dame. Je l’ai vu accueillir des réfugiés, les nourrir dans le maquis, s’occuper des enfants de toute sa famille à M’Bous-Nkale (village de réfugiés qui se trouve à la frontière entre le Cabinda et le Congo, ndlr). Ce livre est aussi l’occasion de saluer toutes ces femmes qui portent le poids d’une guerre dont les hommes sont à l’origine. En écrivant cet ouvrage, j’ai eu l’occasion de discuter avec de nombreux responsables politiques et j’ai réalisé que c’était sans issue, que la rébellion était dans une impasse.

Afrik.com : A quoi ressemble le Cabinda aujourd’hui ?

Virginia Mouanda :
A un territoire pour lequel on n’a conçu aucun projet politique après la signature de l’accord de 2006 qui n’est en réalité que du vent. Bembe et ceux qui l’accompagnaient ont accepté les postes que Luanda leur proposait. A un territoire où on demande à des réfugiés de revenir et à qui on remet 50 dollars, alors qu’il n’y a aucune infrastructure pour les loger ou les soigner. Aucune mesure d’accompagnement n’a été prévue. C’est une prison à ciel ouvert où des abus sont commis sur toute l’étendue du territoire où ont été disséminées des mines anti-personnelles. C’est une injustice terrible à laquelle on soumet les Cabindais pour qui Luanda n’a jamais eu une once de considération. Quand j’étais petite, ma tante paternelle me disait : « Ne dis jamais que tu es cabindaise ! ». Les plus grandes compagnies pétrolières sont présentes sur le territoire cabindais, à Malongo, mais il n’y a aucun contact avec les populations, sauf avec ceux qui travaillent dans les exploitations. On a construit un stade au Cabinda, mais il n’y a rien d’autre.

Afrik.com : L’indépendance n’est certainement plus à l’ordre du jour. Que souhaitent aujourd’hui les Cabindais ?

Virginia Mouanda :
Les Cabindais veulent toujours l’indépendance, car ils ne se sentent pas Angolais. Mais ce n’est pas possible à cause des intérêts économiques qui sont en jeu. Même si l’Angola le voulait, elle ne pourrait octroyer l’indépendance au Cabinda sans l’aval des Américains et autres puissances occidentales. Si les Etats-Unis le décidaient, le Cabinda deviendrait un Etat indépendant dans les minutes qui suivent. Les Cabindais aspirent aujourd’hui à la paix et à la sécurité.

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