
L’affaire du viol collectif d’un adolescent de 13 ans lors du moussem de Moulay Abdellah Amghar, en août dernier, a profondément choqué la société marocaine. Ce drame relance le débat sur l’efficacité du système judiciaire dans la protection des mineurs victimes de violences sexuelles au Maroc.
Le 14 août, pendant les festivités du moussem de Moulay Abdellah Amghar près d’El Jadida, Bachir, un adolescent de 13 ans originaire de Youssoufia, a été victime d’un viol collectif. Orphelin de père et accompagnant sa mère en situation de handicap, l’adolescent s’était rendu au festival pour tenter de gagner quelque argent, comme il le faisait habituellement en vendant des sacs ou en aidant au stationnement des véhicules rapporte la presse locale.
Selon son témoignage, rapporté par les associations de défense des droits humains, le jeune homme aurait été approché par un groupe d’individus, drogué avec des substances toxiques et des somnifères, puis agressé sexuellement à tour de rôle dans une tente. L’état de confusion et de souffrance physique dans lequel il a été retrouvé à son retour à Youssoufia a alerté les services sociaux et médicaux.
Un système judiciaire questionné
L’enquête, menée par la Gendarmerie royale sur instruction du parquet général d’El Jadida, a rapidement progressé. Cinq suspects ont été déférés à ce jour, dont des mineurs. Les suspects majeurs ont été placés en garde à vue, tandis que les mineurs sont sous contrôle judiciaire. Le principal agresseur présumé a été arrêté le 18 août près de Sidi Bennour.
La procédure judiciaire suit son cours sous la pression d’une opinion publique particulièrement mobilisée. Plusieurs association comme l’AMDH ou des organisations de défense des droits des enfants se sont constituées parties civiles, témoignant de l’ampleur de l’émotion suscitée par cette affaire.
Cette tragédie s’inscrit dans un contexte plus large de questionnements sur l’adéquation des peines prononcées par la justice marocaine en matière de violences sexuelles contre les mineurs. Les associations de défense des droits humains dénoncent régulièrement la clémence de certaines décisions judiciaires.
Le Code pénal marocain prévoit pourtant des sanctions allant de 2 à 5 ans de prison pour atteinte sexuelle sur mineur, de 5 à 10 ans avec violence, et jusqu’à 20 à 30 ans en cas de viol aggravé sur mineur. Cependant, l’application de ces dispositions fait souvent débat.
Précédents préoccupants
Plusieurs affaires récentes ont illustré cette problématique :
- En mars 2023, trois hommes accusés de viols répétés sur une fillette de 11 ans avaient été condamnés en première instance à seulement deux ans de prison. La mobilisation de la société civile avait permis un alourdissement en appel : 20 ans pour l’un des accusés, 10 ans pour les deux autres.
- En 2021, l’affaire Khadija Okkarou avait défrayé la chronique. Cette adolescente de 17 ans, victime de viols collectifs et de séquestration, avait courageusement témoigné publiquement. Ses 11 agresseurs avaient finalement été condamnés à 20 ans de prison ferme chacun.
- En décembre 2021, la Cour d’appel d’Agadir avait condamné six hommes, dont un entraîneur de football, à seulement une année de prison pour viol répété sur une adolescente de 15 ans, verdict qui avait suscité l’indignation.
Mobilisation de la société civile
L’affaire de Moulay Abdellah Amghar a déclenché une vaste mobilisation. Une pétition nationale intitulée « Pour sauver les enfants du Maroc du viol et de l’atteinte à la pudeur » a été adressée au ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi et aux parlementaires.
Cette pétition propose plusieurs mesures radicales dont des peines minimales de réclusion à perpétuité pour tout viol ou atteinte sexuelle sur mineur, la suppression des circonstances atténuantes et l’instauration de la castration chimique obligatoire. Elle demande aussi la création d’un registre national des délinquants sexuels et la mise en place d’un fonds national de soutien psychologique.
Les statistiques sont préoccupantes. Selon le ministère public, 7 263 affaires de violences contre les enfants ont été traitées en 2018, soit une augmentation de 1 283 cas par rapport à 2017. Les violences sexuelles représentent le premier rang de ces violences.
Perspectives d’évolution
Cette affaire survient dans un contexte de réformes législatives progressives. La loi 103-13 de 2018 contre les violences faites aux femmes avait introduit de nouvelles protections, mais les associations jugent ces avancées insuffisantes pour les mineurs.
La pression exercée par la société civile et l’émotion suscitée par ces affaires répétées pourraient accélérer l’adoption de mesures plus strictes. L’adoption d’un Code de l’enfant, réclamée depuis longtemps, pourrait constituer une réponse structurelle à ces défis.
L’affaire de Moulay Abdellah Amghar, au-delà de son caractère dramatique, constitue un révélateur des insuffisances du système de protection de l’enfance au Maroc. L’issue de cette affaire et les éventuelles réformes qu’elle pourrait engendrer constitueront un test important de la capacité du système judiciaire marocain à s’adapter aux attentes légitimes de la société en matière de protection de l’enfance.