Maroc : hausse de la pédophilie après le tsunami ?


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Alors que des réseaux de pédophiles viennent d’être démantelés au Maroc, certaines associations du pays notent une hausse des abus sexuels sur enfants depuis le tsunami qui a ravagé l’Asie du Sud-Est en décembre 2004. Un phénomène que d’autres attribuent plutôt à la pauvreté et au manque d’éducation sexuelle.

Le tsunami a-t-il délocalisé la pédophilie au Maroc ? Depuis quelques mois, certaines associations du pays dénoncent une recrudescence des activités sexuelles impliquant des enfants. Une augmentation qui s’expliquerait par le fait que les touristes pédophiles fuient les contrées dévastées par le raz-de-marée du 26 décembre 2004, où la législation s’est considérablement durcie contre leur sexualité, pour des Etats jugés moins regardants. Dont le Maroc, où les villes d’Agadir et surtout Marrakech sont particulièrement concernées.

Réseaux démantelés

Ces allégations ressortent alors que plusieurs réseaux de pédophilie ont été démantelés dans le pays. « En 2005, nous avons relevé plusieurs affaires. Il y a celle d’un resto-bar de Marrakech tenu par deux frères français qui a fait une cinquantaine de victimes. Les deux Français ont été arrêtés, ainsi que le commissaire de la ville de Marrakech, qui a été condamné à quatre ans de prison. Il était chargé de surveiller l’ouverture et la fermeture des bars et comme les Français n’ont pas respecté les règles, c’est comme si le commissaire était complice. Dans l’‘affaire Hervé’, ce journaliste belge a été condamné en première instance à 4 ans fermes. La cour d’appel a ramené cette sanction à deux ans, mais le roi l’a gracié et a ramené la peine à un an de prison. Il va donc sortir dans quelques jours. Mais on a retrouvé sur son PC 17 000 photos et 140 000 enregistrements vidéo pédophiles. Il y a une quinzaine de jours, un Français d’origine marocaine a été arrêté avec deux Français pour avoir tourné cinq films pornographiques d’une heure dans des maisons d’hôtes, une salle de sport et des villas de la région d’Eurika. Chaque Marocain, parmi eux des mineurs, était payé entre 200 et 500 dirhams (entre 18 et 45 euros, ndlr) par acte. Un Hollandais a été condamné vendredi dernier en première instance à 4 ans parce qu’il avait des relations avec des mineurs », explique Omar Arbib, membre du bureau de la section de Marrakech de l’Association marocaine des droits humains (AMDH).

La pédophilie n’est pas un fait nouveau au Maroc et des campagnes de prévention ont été organisées pour protéger les enfants. Mais, selon Omar Arbib, les cas relevés ont considérablement augmenté. « En 2003, nous avons relevé 40 cas isolés sur Marrakech. En 2004, nous avons constaté la naissance de réseaux et en 2005 plusieurs affaires ont éclaté. Nous pensons qu’il y a environ 200 victimes. Mais il y a certainement d’autres cas que la police n’a pas pu découvrir ». « La presse et nos témoins qui reviennent du Maroc nous signalent la recrudescence du phénomène », rapporte Abdellah Najib, président de l’Association de défense des droits de l’Homme au Maroc (ASDHOM).

Le tsunami est-il la raison de cette augmentation ? « Après le tsunami, nous avons vu que la Thaïlande et les pays du Sud-Est asiatique sont devenus bien moins attirants à cause des infrastructures détruites, mais aussi parce que les pédophiles sont encore plus traqués là-bas. Du coup, ils viendraient au Maroc, où il y a une certaine protection parce que les autorités ferment les yeux », rapporte « Nous ne savons pas si les chiffres ont augmenté, mais vu la masse d’informations que j’ai reçu de Marrakech sur ma messagerie, c’est certainement le cas. Marrakech devient de plus en plus prisée pour ce genre de tourisme », estime Ahram Ayad, secrétaire général de l’ASDHOM, basée à Paris.

« Payer la famille pour la ‘dédommager’ »

« Certains journaux et associations ont fait un lien entre la hausse des cas de pédophilie et le tsunami, mais nous n’avons pas vraiment fait une étude complète sur ce sujet. Il faut reconnaître que d’autres facteurs jouent dans la perpétuation de ce phénomène. Il y a notamment la violation des droits socio-économiques de l’enfant (droit à un niveau de vie respectable, d’avoir une chaise à l’école, de ne pas travailler, d’avoir des loisirs…) et le fait que le gouvernement essaye de renforcer sa politique de tourisme : il compte atteindre 10 millions de touristes d’ici 2010 sans stratégie et il fait semblant de ne pas voir que le tourisme sexuel augmente. Nous ne sommes pas contre le tourisme : nous voulons un tourisme propre. La hausse de la pédophilie est également favorisée par le manque d’éducation sexuelle et des droits de l’Homme de la population, surtout des enfants (ces valeurs ne sont pas enseignées dans nos écoles). On le constate dans les familles conservatrices et avec la montée de l’islamisme », commente, pour sa part, Omar Arbib.

Le profil des victimes est souvent celui d’enfants issus de familles pauvres, « des enfants en désespérance et sujets au travail précoce », souligne Abdellah Najib, de l’ASDHOM, qui précise que son association va « faire une enquête approfondie sur le terrain ». Il poursuit : « Les victimes font les frais de tout ça et se retrouvent derrière les barreaux, au nom du code de la famille et de l’honneur, alors que les pédophiles échappent à la justice au Maroc et dans leur pays, comme le montre l’exemple du journal Le Soir belge (l’‘affaire Hervé’, ndlr). Tous les touristes ne sont pas des pédophiles, mais certains profitent des lieux de complaisance pour agir sans crainte. Ils se rendent dans des endroits où l’enfant est mal protégé et où règne la misère sociale et familiale pour contourner et échapper à la loi. Ils n’hésitent pas à payer la famille pour la ‘dédommager’».

Agir avant que cela n’empire

Le sentiment d’impunité favoriserait la pédophilie. Il faut dire que le sujet reste assez tabou et ne semble pas encore considéré comme une priorité nationale. A la Ligue marocaine pour la protection de l’enfance, on a signalé « ne pas s’occuper de ce dossier-là », précisant qu’on « ne peut pas tout faire ». A l’Observatoire national pour les droits de l’enfant, on explique « ne pas travailler sur la pédophilie, mais seulement sur les agressions sexuelles »…En revanche, le ministère de la Famille, de l’enfant et des personnes âgées annonce avoir « finalisé un plan d’action national pour l’enfance, dans lequel il est prévu une action contre les violences faites aux enfants (Internet, la pédophilie…) ».

Pour les associations, il faut rapidement passer aux choses sérieuses. « Nous lançons un appel aux responsables pour qu’ils se mobilisent, indique Abdellah Najib. En Italie, on vient de recenser 3 000 enfants d’origine marocaine dans les milieux de la prostitution. Il y a des ramifications, des mafias qui organisent ces traites scandaleuses. » Omar Arbib, de l’AMDH, explique qu’il ne doit plus y avoir « deux poids, deux mesures ». « Il faut que la loi soit plus sévère : un viol d’enfant n’est puni que de cinq ans. Et elle doit être la même pour tout le monde, qu’ils soient Européens ou venant du Golfe. En juillet dernier, on a découvert qu’une trentaine de jeunes filles, dont des mineures, étaient exploitées par des Saoudiens à la Palmeraie. Malheureusement, les autorités ont camouflé cette affaire et se sont contentées d’expulser les Saoudiens. Ce n’est pas la première fois : en octobre aussi, des Saoudiens ont été expulsés pour les mêmes motifs », déplore le militant. Qui conclut amèrement : « Des études montrent que le Maroc est le troisième pays dans le domaine de la pédophilie, derrière la Thaïlande et le Brésil. Si le gouvernement ne s’intéresse pas aux droits socio-économiques des enfants et qu’il ne fait pas de prévention, dans trois ans nous serons comme la Thaïlande ».

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