Villiers-le-Bel : une jeunesse à fleur de peau


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Le calme est revenu à Villiers-le-Bel, où d’importantes forces de police ont été déployées dans la nuit de mardi à mercredi. Mais l’explosion de violence dans cette petite commune de 26 000 habitants, aux allures parfois champêtre, montre combien les quartiers populaires français restent sensibles.

Villiers-le-Bel s’est réveillée ce mercredi sous le brouillard. Une épaisse bruine qui a remplacé la fumée des bâtiments et des voitures incendiées, les deux nuits précédentes, lorsque de jeunes hommes ont affronté les forces de l’ordre suite à la mort de deux adolescents dont la mini-moto s’était écrasée sur une automobile de police. Un déchaînement de violence presque difficile à croire, lorsqu’on se promène dans cette ville pavillonnaire dont les bâtiments d’habitation de plus de cinq étages se comptent sur les doigts d’une main.

Ici, les barres d’immeubles, que les autorités ont entrepris de faire tomber, depuis quelques années, en périphérie des grandes villes françaises, ont été construites couchées. Les cités s’étendent sur de longues allées et se déploient sur une importante surface, ce qui explique que les émeutiers aient pu harceler les CRS déployés sur place avec autant de facilité. A leurs pieds poussent des rectangles de gazon parfaitement taillés – davantage dans les copropriétés qu’autour des bâtiments HLM. Le quartier du Puits la Marlière, où les affrontements ont été les plus violents, est séparé du reste de la ville par le parc du Mont-Griffard et des jardins familiaux, recouverts ce matin par une fine couche de gel. Les sentiers goudronnés que les enfants du quartier empreintes pour rejoindre leur collège ou leur lycée, de l’autre côté de la ville, donnent presque à la ville des allures de campagne.

« C’est une banlieue comme une autre, pas plus dure, pas moins dure », explique le Martiniquais Félix Zelphin. Maire adjoint au Sport à Villiers depuis 18 ans, il explique néanmoins que « le maire a mis énormément de choses à disposition des habitants depuis quelques années, des gymnases ouverts le soir, un cybercafé, des terrains de sport, des maisons de loisirs… Il faut voir le nombre de jeunes qui occupent les gymnases… ! Sauf quand il y a un incident. Ce qui les intéresse alors, c’est de se confronter aux policiers, car ils ont l’impression qu’une bavure a été commise. Ce qui n’excuse en rien les événements très graves qui se sont déroulés ».

« S’ils veulent casser, qu’ils aillent dans la ville de Sarkozy »

Sur ce point, peu d’habitants de Villiers-le-Bel excusent les émeutiers. « Ils ont fait une erreur. La mort des deux jeunes fait mal au cœur, mais ils n’auraient pas dû tout casser. C’est à l’Etat, à la justice de faire le travail », estime ce retraité originaire de Sétif, en Algérie, et arrivé dans l’Oise en 1969. « C’est nous même qu’ils pénalisent en faisant ça. Hier, le boulanger a fermé à 16 heures, comme tous les autres magasins d’ailleurs. Nous sommes restés à la maison en retenant les enfants et nous n’avons pas pu dormir, avec le feu, dimanche et lundi soirs, puis avec les hélicoptères qui ont tourné toute la nuit de mardi au dessus du quartier. »

Jean Claude, 37 ans, marié et père de trois enfants, est encore plus dur. Il vit dans la cité dont l’un des adolescents décédé, dans ce que le procureur de la République de Pontoise a définitivement présenté comme un accident, était originaire. « Ce que les jeunes ont fait ? C’est bête et con. Je ne les comprends pas. A la limite, s’ils veulent casser, qu’ils aillent ailleurs… Tient, dans la ville de Sarkozy (Neuilly-sur-Seine, ndlr) par exemple », s’amuse-t-il. Plus sérieusement, le jeune Guyanais, arrivé en métropole il y a 17 ans, renvoie dos à dos les parents et les « grands frères », qui « ont démissionné », ainsi que l’Etat, « qui ne fait rien pour les quartiers ».

Lui-même ne s’estime pas aidé par les autorités publiques de la ville, pour trouver un travail fixe ou changer d’appartement pour sa famille qui s’est agrandie. « La plus grande erreur de ma vie, c’est d’être parti de Sarcelles (la commune voisine), où « les choses ont beaucoup changé en l’espace de quelques années. Là-bas, l’ancien maire (Dominique Strauss-Kahn, Parti socialiste) a vraiment aidé les jeunes à trouver du travail dans la région », croit-il savoir. Ce qui le laisse penser que des progrès sont possibles lorsque l’Etat veut bien mettre les moyens.

Un nouveau commissariat pour Villiers-le-Bel

Au cœur du Puits la Marlière, là où sont installés la boucherie, la boulangerie, le taxiphone, le café et le supermarché du quartier, discutent une demi-douzaine de jeunes hommes. Un photographe de presse un peu tendu, descendu d’une auto immatriculée en Belgique, prend quelques clichés d’un abribus détruit lors des affrontements, tout en cadrant le groupe sans en avoir l’air… « Hé, ne nous prenez pas en photo hein, sinon ils vont encore dire : « voilà, ce sont eux, les jeunes qui ont tout cassé »… » crie un jeune homme au journaliste, tout en le laissant finir.

« La colère des jeunes du quartier, explique-t-il, elle est présente tout le temps, avec les contrôles, les humiliations… Les policiers font les cow-boys. Ca a toujours été comme ça. » Même si, précise-t-il, chagriné, « le commissaire – hospitalisé après avoir été violemment frappé – était bien ». Quant à penser que les deux enfants décédés ont pu être victimes d’un accident : « Non, jamais ! La police et le procureur de Pontoise, c’est la même « famille ». Un coup de fil le soir des événements, et c’était réglé », assure-t-il.

Au cœur de Villiers-le-Bel, la carcasse calcinée du commissariat incendié dimanche soir rappelle combien les affrontements ont été violents. La commune devrait néanmoins rapidement en récupérer un autre, dont la construction, sur 3500 mètres carrés, entre le centre-ville et le Puits, doit être achevée au début de l’année prochaine.

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