Victoire Ingabire : itinéraire de la prisonnière de Kigali


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Le parquet rwandais a requis mardi 25 ans de prison ferme contre l’opposante Victoire Ingabire « pour conspiration » et « négation du génocide de 1994 ». Depuis son incarcération en octobre 2010, elle n’a cessé de dénoncer « un dossier judiciaire vide ».

Le parquet n’y est pas allé de main morte. Il a requis 25 ans de prison ferme contre Victoire Ingabire. Les chefs d’accusations ? « Conspiration » contre l’Etat rwandais et « négation du génocide ». La présidente des Forces démocratiques unifiées (FDU), formation politique non reconnue par Kigali, est une habituée des procès. Elle avait déjà été jugée en appel en octobre 2012 et écopé à la suite de l’audience de 8 ans de prison ferme. Mais le parquet a refusé de s’en contenter, estimant que cette peine à son encontre n’était pas conséquente. « Le juge du tribunal a ignoré d’importantes dispositions de plusieurs lois pour prononcer une peine de huit ans contre Ingabire. C’est pourquoi, nous demandons à la Cour suprême de la condamner à 25 ans de prison », a déclaré mardi, le procureur Alphonse Hitiyareme. Il a toutefois décidé de ne plus requérir à la prison à perpétuité contre la prisonnière de Kigali, en raison de la promulgation d’un nouveau code pénal, qui réduit considérablement les charges à son encontre.

Les mains liées

Le cauchemar de Victoire Ingabire débute en octobre 2010, date à laquelle elle est arrêtée et incarcérée. Sa faute ? Avoir exigé que les auteurs de crimes contre les Hutus durant le génocide de 1994 soient aussi jugés. Des propos qui irritent Kigali, qui l’accuse alors de « négationnisme du génocide » qui a fait au moins 800 000 morts parmi les Tutsis. Durant cette sanglante période de l’histoire du Rwanda, elle vivait aux Pays-Bas avant de décider après 16 ans d’exil de rentrer dans son pays d’origine fin 2009, en vue de se présenter à l’élection présidentielle du 9 août 2010. Mais dès son arrivée, elle se heurte au président sortant Paul Kagamé, chef du Front patriotique rwandais (FPR), l’ex-rébellion tutsi, qui est d’ailleurs réélu à la tête du pays cette année-là avec 93% des voix. Bien qu’il soit sûr de remporter à nouveau le scrutin, Paul Kagamé ordonne l’élimination ou l’arrestation de tous ceux qu’il considère comme gênants pour son plébiscite annoncé.

Opposants indésirables

Durant plusieurs mois, l’opposition est traquée par le pouvoir, qui ne lui laisse aucun répit. Le corps de l’opposant André Kagwa Rwisereka, vice-président du Parti démocratique vert, est retrouvé dans un marais, au sud du Rwanda. Quasi-décapité. Le 24 juin 2010, c’est le corps de Jean Léonard Rugambage, rédacteur en chef du journal Umuvugizi, une publication bannie par le pouvoir rwandais, qui est retrouvé à son domicile de Kigali, criblé de balles. Son offense ? Le fait d’avoir émis l’hypothèse de l’implication des autorités de Kigali dans la tentative d’assassinat, cinq jours plus tôt à Johannesburg, du général Faustin Kayumba Nyamwasa, un ancien compagnon de guerre de Paul Kagamé, passé à l’opposition. Victoire Ingabire n’a pas non plus échappé à cette « chasse aux sorcières » du pouvoir. Après avoir exercé moult pressions et intimidations contre l’opposante, il décide de passer à l’acte. Accusée de « divisionnisme » et de travailler avec les ennemis de l’Etat, c’est-à-dire le reste de l’armée hutu appelé la Force Démocratique pour la Libération du Rwanda (FDLR), elle est à son tour incarcérée le 21 avril 2010 avant d’obtenir finalement une liberté provisoire.

Un procès en question

Dans une lettre rédigée en mai 2010, destinée à ses partisans, elle raconte son calvaire en prison : « J’ai passé la nuit en prison. Pendant ce temps, mon domicile a été fouillé de fond en comble : nos deux ordinateurs (le mien et celui d’un visiteur), des téléphones portables de tous ceux qui étaient dans la maison, une caméra électronique, des cartes SIM, des flash-disques, des logiciels, des CD, des emblèmes et banderoles de mon parti, mes cartes de visites, des contrats de location, mon passeport, mon permis de conduire de l’UE et tout autre document écrit ont été emportés par la police ». On lui interdit aussi de quitter le territoire et la ville de Kigali. Elle a également l’obligation de se présenter devant le procureur deux fois dans le mois. Les autorités n’en restent pas là. Six mois plus tard, le 14 octobre 2010, elle est à nouveau incarcérée. Mais cette fois-ci pour de bon. La suite on la connait.

Pour les partisans de Victoire Ingabire, il ne fait pas de doute. « Kigali a tout fait pour l’éloigner et l’empêcher d’exercer ses activités politiques », confiait à Jeune Afrique, le 30 octobre 2012, Boniface Twagirimana, vice-président intérimaire des FDU. Pour l’opposante rwandaise, ce procès « est un prétexte, un faux procès car, même mes accusateurs savent pertinemment que le dossier est vide et que je suis innocente. Puisque je suis leur adversaire politique, ils ont recouru à une presse partisane qu’ils contrôlent et aux autorités administratives acquises à leur cause pour me traîner dans la boue ».

De son côté, l’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch a également, dans un communiqué publié en octobre, estimé que « plusieurs facteurs amènent à conclure que Victoire Ingabire n’a pas bénéficié d’un procès équitable ». En attendant, les avocats de la prisonnière de Kigali préparent déjà leur riposte. Leurs plaidoiries débuteront le 18 avril.

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