Vers une crise politique en Algérie ?


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Saïd Bouchaïr, coordinateur de la Commission nationale politique de surveillance des élections législatives (CNPSEL), campe sur ses affirmations concernant les dépassements qui ont entaché la régularité du scrutin.

Une réponse aux affirmations de Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur, selon lesquelles le coordinateur de la commission de surveillance se serait excusé pour avoir parlé de dépassements. La sortie de M. Zerhouni cacherait, selon de nombreux observateurs, une volonté de l’administration de dissimuler son incapacité à organiser un scrutin sans fraude. Mais seulement, en niant l’existence de fraude, cela malgré le constat fait par les membres de la Commission nationale de surveillance des élections, et en essayant d’accréditer l’idée d’un « vote propre », le ministère de l’Intérieur prend le risque de plonger le pays dans une crise politique. L’hypothèse est d’autant plus plausible dans la mesure où de nombreuses formations ont en plus d’avoir dénoncé la fraude, prévoient de « bombarder » le Conseil constitutionnel de recours et de ne pas se taire devant les dépassements. Une chose est certaine, la balle est maintenant dans le camp du président Bouteflika. Mais en attendant, Saïd Bouchaïr, contre vents et marées, persiste et signe. Hier encore, il a tenu à affirmer que le scrutin ne s’est pas déroulé dans de « très bonnes conditions », contrairement à ce qu’a déclaré Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur. La polémique ou le bras de fer entre les deux personnalités, l’une conseiller juridique du président de la République ayant pour mission de coordonner l’opération de contrôle du scrutin avec l’aide des partis politiques, et l’autre représentant l’administration chargée de l’organisation technique et matérielle des élections, ne peut se terminer qu’avec l’arbitrage du président de la République, cantonné dans un silence de marbre.

Le fort taux d’abstention et les « graves dépassements » constatés dans de nombreux bureaux de vote constituent cet échec consommé que l’administration n’a pas pour habitude d’exposer publiquement, encore moins d’assumer devant l’opinion publique. Une phrase de trop qui a fait l’effet d’une bombe. Comme ces graves propos qu’il a tenus durant le printemps 2001, en qualifiant de délinquant, le jeune Guermah Massinissa, tué par un gendarme en Kabylie. Ce qui a plongé la région dans le chaos et dont les conséquences sont chèrement payées par les habitants de la région à ce jour. Saïd Bouchaïr, agissant au nom des vingt-cinq membres de la CNPSEL (des chefs ou membres de la direction des partis, ainsi que les têtes des listes des candidats indépendants), a clairement fait état, dans une lettre adressée au président de la République, de « graves dépassements qui ont pris un aspect national en se manifestant à travers de nombreuses régions du pays ». Pour lui, « la pleine responsabilité » de cette situation « incombe au président de la commission administrative des élections législatives » (ndlr, le chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem), et de ce fait, il a appelé le chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, « à prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à ce qu’il a qualifié de comportements irresponsables qui portent atteinte à la crédibilité des élections, à la réputation du pays et à l’autorité de l’Etat ».

« Le pire a été évité »

Les dépassements recensés dans cette lettre sont tous avérés et argumentés. Ils constituent un aveu d’échec dans l’organisation d’un scrutin que le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, et le gouvernement n’ont pas voulu assumer. M. Zerhouni va ainsi jusqu’à inventer devant un parterre de journalistes algériens et étrangers des excuses qu’aurait présentées le coordinateur de la commission. Or, dans sa conférence de presse, tenue dans la soirée du jeudi 17 mai (et censurée par la télévision algérienne), Saïd Bouchaïr, ancien président du Conseil constitutionnel, n’a à aucun moment présenté des excuses ou nié l’existence de cas de dépassement, tel que rapporté par Yazid Zerhouni. Le coordinateur, entouré de ses proches collaborateurs, a juste tenté de relativiser les conditions dans lesquelles s’est déroulé le vote à travers le territoire national. Il a reconnu avoir enregistré des anomalies liées à « l’insuffisance » du nombre de surveillants désignés par les partis politiques et les candidats en lice. Il a expliqué avoir « énuméré quelques dépassements constatés dans des bureaux de vote. Nous avons reçu des correspondances faisant état de remarques réelles et de dépassements vérifiés, mais pas dans toutes les régions. Il faut prendre ce constat dans sa globalité et non pas dans ses détails. Il y a eu quelques cas de bourrage, mais je ne peux vous donner le nombre ».

Il est vrai qu’entre les propos virulents de nombreux membres de la commission, qui estiment que les dépassements étaient généralisés, et ceux d’un coordinateurs plutôt rassurant et relativisant, « c’est la sérénité et la sagesse qui avaient primé », déclare Bouchaïr. Il précise « avoir évité le pire » en intervenant plus d’une centaine de fois auprès des walis, le jour du vote, « pour régler des problèmes qui n’auraient pas lieu d’être si l’administration avait joué le jeu ». La sortie du ministre de l’Intérieur, a-t-on compris de ses propos, n’a d’autres objectifs que de réduire à leur simple expression les vingt-cinq partis et candidats indépendants qui composent la commission et qui, a-t-il rappelé, n’ont pas hésité à lui répondre dans une conférence de presse qu’ils ont décidé d’animer à l’improviste. Sur la rôle de la commission administrative de contrôle des élections, Saïd Bouchaïr affirme qu’elle devait coordonner son action avec celle de la CNPSEL pour garantir de meilleures conditions à l’opération électorale. Or, ce sont les commissions politiques, dit-il, qui ont fait face à la situation pour contrecarrer les dépassements. Raison pour laquelle (même s’il refuse de l’affirmer clairement) la CNPSEL a « pleinement responsabilisé » cette commission dans les dérives constatées. Notre interlocuteur relève toutefois que la structure qu’il coordonne n’est pas le Conseil constitutionnel pour changer le cours des choses. « Les dépassements seront dans la majorité des cas énumérés dans le rapport final qui sera remis au président de la République au plus tard, le début de la semaine prochaine. C’est aux partis politiques représentés dans la CNISEL de présenter les recours avérés au Conseil constitutionnel », dit-il.

Salima Tlemçani, pour El Watan

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