Un spécialiste accuse des militaires algériens de pratiquer une contre-guérilla


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Drapeau de l'Algérie
Drapeau de l'Algérie

La place de Bouteflika dans le dispositif complexe de pouvoirs, la vigueur des maquis, le rôle des généraux… Après les nouveaux massacres du week-end, un universitaire tente d’éclairer les questions que pose la violence aussi persistante que dramatique vécue par les Algériens.

Seize lycéens et un de leur surveillants assassinés à Médéa (80 km d’Alger) dans la nuit de samedi à dimanche, vingt morts dans deux nouvelles tueries dimanche soir à l’ouest de la capitale. Venant après des dizaines d’autres, ces nouveaux massacres posent de vertigineuses questions sur la perpétuation d’une violence comme enkystée dans la société algérienne. Pour Addi Lahouari, chercheur à l’Institut d’études politiquesde l’université de Lyon-II, le pays subit une contre-guérilla, qui met en exergue le conflit souterrain entre le président Bouteflika et a hiérarchie militaire

Afrik.com : Quels enseignements peuvent être tirés des derniers massacres ?

Addi Lahouari : Ils ont des similitudes avec d’autres massacres : pas d’arrestation, pas d’enquête, un communiqué de revendication laconique des GIA, …

Afrik : Pourtant, cette fois, le ministre de l’Intérieur s’est déplacé.

A.L. : Cela n’a pas d’importance. En Algérie, ce ne sont pas les ministres qui ont le pouvoir, ce sont les généraux et la Sécurité militaire. Ces massacres ne sont pas différents de nombreux autres. Si la question est  » Qui tue en Algérie ? « , les seuls qui pourraient y répondre seraient des juges. Or les affaires ne passent pas devant les juges.

Afrik : Vous non plus ne connaissez pas la réponse à la question, mais vous formulez des hypothèses ?

A.L. : Il y en a deux pour l’essentiel, dès lors que l’on considère que la vérité ne peut se manifester sans l’intervention de la justice. Soit les terroristes disposent d’appuis importants et de complicités à haut niveau dans l’Etat, soit les généraux ont commandité des massacres. Les deux hypothèses peuvent d’ailleurs être complémentaires. Dans l’affaire du lycée de Médéa, je constate que des militaires ont été tués la semaine dernière, et que les victimes vivaient dans une ville acquise largement aux islamistes.

Afrik : Vous accréditez la thèse d’une contre-guérilla menée par une partie de l’armée, comme en Amérique latine ?

A.L. : Il y a quelques années, vers 1997, l’armée était venue à bout des islamistes sur le terrain. Mais depuis, les maquis se sont renouvelés, comme en témoigne leur activité rapportée par la presse. Ils continuent de tuer : des fonctionnaires, des militaires, … J’affirme qu’une contre-guérilla mène les représailles. C’est d’ailleurs ce que pensent la plupart des observateurs, mais aussi la majorité des Algériens eux-mêmes.

Afrik : Si l’on vous suit, la réconciliation prônée par le président Abdelaziz Bouteflika serait une bouffonnerie ?

A.L. : Il y a de cela, c’est vrai. Bouteflika n’est pas un démocrate à mon sens, mais il veut ramener la paix dans le pays. Avec les généraux, il est engagé dans un bras-de-fer. Il y a de fortes chances qu’il soit arrivé au pouvoir après avoir accepté ce que Liamine Zéroual (son prédécesseur, NDLR) refusait, à savoir une forme d’amnistie pour les  » faux  » islamistes. Depuis, les attentats le desservent, décrédibilisent sa politique. Bouteflika joue sur le temps. Il espère tenir jusqu’à ce que les généraux qui lui sont hostiles partent à la retraite. Mais à mon avis, il sera forcé de démissionner d’ici trois à quatre mois.

Afrik : On dit cela depuis qu’il est arrivé au pouvoir, il y a déjà près de deux ans…

A.L. : Les choses ont changé depuis cet été. Le désaccord entre le président et une partie de l’armée remonte à cette date, puis s’est approfondi quand Bouteflika a permis la venue d’une délégation d’Amnesty International dans le pays.

Afrik : Ne peut-on pas dire que Bouteflika a une chance de l’emporter à la fin, en s’appuyant sur son magistère moral et sur les liens qu’il renoue entre l’Algérie et le reste du monde ?

A.L. : On a le droit de le penser. Mais ce matin, des  » associations représentatives de la société civile « , en fait des organisations satellites du pouvoir des généraux, ont déjà demandé sa démission.

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