Uemoa : des prémices difficiles pour le visa communautaire


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L’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), qui tient son 15e sommet le 22 janvier prochain au Mali, rêve de son espace Shenghen. Depuis 2009, elle s’est engagée dans une phase transitoire de deux ans qui consiste en la reconnaissance mutuelle des visas octroyés à une personne non ressortissante de la zone. La directive, entrée en vigueur depuis octobre 2009, n’est pourtant toujours pas appliquée. Les explications du Bissau-guinéen Rui Duarte Barros, commissaire en charge des services administratifs et financiers de l’Uemoa et du visa communautaire.

De Bamako

La reconnaissance mutuelle des visas préparera l’avènement d’un visa unique censé booster les investissements et le tourisme dans la zone Uemoa. Mais les Etats arbitrent encore entre une manne financière de plus de 10 milliards de F CFA pour le Mali, le pays qui génère le plus de revenus liés à la délivrance des visas, et les retombées financières d’une industrie touristique qui ne s’embarrasse pas de visa. Comme au Sénégal qui délivre quelque 500 000 visas libres. En février 2010, la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) avait déjà exhorté les pays membres à mettre en œuvre la reconnaissance mutuelle de leurs visas applicable depuis octobre 2009.

Afrik.com : Pourquoi l’Uemoa a décidé d’instaurer un visa communautaire à l’horizon 2011 ?

Rui Duarte Barros :
Les chefs d’Etat de la zone ont adopté un acte additionnel qui prévoit la libre circulation des personnes non ressortissantes de la zone Uemoa en 2005, à Niamey. Principaux objectifs : attirer des investissements et développer le tourisme. Le traité de l’Union ne faisait jusqu’ici que mention de la liberté de circulation des personnes ressortissantes de la zone. En 2009, le conseil des ministres a adopté une directive communautaire qui prévoit une phase transitoire, celle de la reconnaissance mutuelle des visas délivrés par un Etat membre à un ressortissant d’un pays tiers. Ce dernier peut donc circuler librement dans les sept autres pays de la zone. Cette phase expérimentale de deux ans précède la mise en place du visa communautaire prévue en 2011.

Afrik.com : Mais la reconnaissance mutuelle ne fonctionne pas du tout. Les ambassades n’en font pas mention et la police aux frontières semble ignorer cette nouvelle disposition au sein de la zone Uemoa…

Rui Duarte Barros :
Effectivement. Je me suis rendu à la frontière entre le Burkina et le Mali, entre autres, pour voir l’état d’application de cette directive qui devrait être immédiate. J’ai constaté qu’il y avait des difficultés. Des missions ont été effectuées dans des ambassades au Portugal, en Belgique et en France. Aucune d’elles n’a été informée de cette directive communautaire. En réalité, aucun Etat ne l’applique car les différentes administrations concernées, les ministères des Affaires étrangères, ceux en charge de la sécurité, du tourisme, des finances n’ont pas été informés. Ce qui indique qu’il y a un manque de volonté politique des Etats.

Afrik.com : Avez-vous l’impression que cette directive est plus difficile à mettre en œuvre que d’autres réformes ? Pourquoi ?

Rui Duarte Barros :
Oui, dans la mesure où elle touche beaucoup de domaines. Pour justifier cette situation, les Etats mettent en avant des arguments sécuritaires, le poids économique des recettes liées à l’octroi des visas. Beaucoup d’ambassades fonctionnent en effet au quotidien avec les recettes liées à la délivrance des visas. En réalité, ces arguments ne tiennent pas. En matière de sécurité, par exemple, il est de notoriété publique qu’un terroriste ne demande pas de visa. Par ailleurs, les problèmes d’instabilité que connaissent certains pays ne sont pas liés à la présence d’étrangers mais relèvent le plus souvent de causes internes. Afin de rassurer les Etats, nous avons lancé deux études. L’une sur les conditions d’entrée et leur harmonisation dans notre espace : les frais de visa ne sont par harmonisés dans le zone Uemoa. Au Burkina Faso, par exemple, ils sont très élevés. L’autre étude porte sur la création de bases de données nationales en matière de sécurité, auxquelles les Etats auront réciproquement accès. Rappelons que tous les Etats de l’Union ont un accès au système d’information d’Interpol (International police). Ces études ne seront disponibles qu’en septembre 2011 et devront être validées par les Etats. Pour ce qui est des recettes, quelqu’un qui prend un visa de 30 000 F CFA (45 euros) pour venir au Mali dépensera beaucoup plus lors de son séjour. Imaginons qu’avec son visa malien et grâce à la reconnaissance mutuelle, il aille au Burkina Faso. Il y fera de même. Les dépenses faites au sein de la zone seront largement supérieures aux frais engagés pour se procurer un visa. Et surtout, il n’aura pas eu besoin de retourner dans son pays pour demander un autre visa, au risque de remettre son voyage au Burkina Faso, ou dans un autre pays de l’Union, à plus tard. En outre, il faut que les Etats soient capables de financer nos ambassades à travers des lignes budgétaires normales et que toutes ces recettes soient redirigées vers le Trésor.

Afrik.com : De quel recours dispose un ressortissant d’un pays tiers qui ne bénéficie pas de cette reconnaissance mutuelle ?

Rui Duarte Barros :
Nous avons un exemple concret, celui d’un ressortissant européen. Nous avons été saisis, nous en avons fait de même pour le pays et nous avons remboursé tous les frais engagés par cette personne. Tout cela pour montrer qu’au niveau de la Commission, il y a une véritable volonté de faire appliquer cette directive. Si de telles démarches se multiplient, elles permettront une prise de conscience dans nos Etats. Il faut dénoncer ces types de pratiques, non seulement auprès de la Commission, mais aussi auprès de la cour de justice de l’Union.

Afrik.com : Les citoyens de la zone Uemoa, notamment les corps de métiers concernés par les avantages liés à la mise en œuvre d’un visa communautaire, pourraient-ils faire du lobbying auprès de vous ?

Rui Duarte Barros :
Nous nous sommes penchés sur le rôle que pouvait jouer la cour de justice dans la sensibilisation des citoyens en ce qui concerne la possibilité de lui soumettre un recours quand les Etats ne respectent pas les règles. Tous les ans, la cour organise une grande campagne de sensibilisation. Je pense que les citoyens doivent commencer à réagir, à saisir la Commission et la cour de justice. Nous recevons plus de plaintes des entreprises relatives au non respect des règles de concurrence. Quand la commission se prononce, les Etats les mettent en application.

Afrik.com : Avez-vous évalué l’incidence économique de l’avènement d’un visa unique pour la zone ? L’argument convaincrait peut être plus facilement les Etats ?

Rui Duarte Barros :
Avant de nous engager dans ce processus, nous avons réuni les opérateurs économiques pour les convaincre des avantages liés à l’instauration du visa unique. Nous avons également rencontré les ministres concernés. Tous sont unanimes sur le bien-fondé et l’intérêt de cette démarche. Néanmoins, des études sont prévues.

Afrik.com : Vous pouvez sanctionner directement les Etats qui ne rentrent pas dans le rang ?

Rui Duarte Barros :
Des mécanismes de sanction existent mais nous préférons sensibiliser avant tout les membres. Il faut que les Etats comprennent qu’un travail d’information est nécessaire. Ce n’est pas à l’Uemoa de le faire parce que les Etats de l’Union sont souverains.

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