Trois ans de Présidence : « Plusieurs promesses de Félix Tshisekedi ne sont pas réalisées »


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Martin Milolo Nsenda
Martin Milolo Nsenda

Ce 25 janvier, Félix Tshisekedi bouclera trois ans en tant que président de la République Démocratique du Congo (RDC). Le moment est donc indiqué pour dresser un bilan à mi-parcours de son action à la tête de l’État congolais. C’est à cet exercice que nous avons convié Martin Milolo Nsenda.

Activiste des mouvements citoyens congolais, il est le coordonnateur du mouvement Forum Citoyen (FC) qui, depuis 2016, œuvre pour la promotion de la démocratie et l’État de droit au Congo à travers des dénonciations, propositions et manifestations pacifiques. C’est donc en qualité d’observateur averti de la vie politique congolaise que Martin Milolo Nsenda s’est confié à nous, sans langue de bois.

Entretien

Pouvez-vous revenir sur les principales promesses de Félix Tshisekedi avant son élection et sur lesquelles il était beaucoup attendu au cours de son mandat ?

Félix Tshisekedi est fertile dans les promesses, on l’appelle même ici le « fils de la promesse » parce qu’il n’hésite pas à promettre. Il a fait plusieurs promesses au cours de sa campagne de novembre à décembre 2018 pour se faire élire. Au nombre de ces promesses nous pouvons citer quelques-unes :
• La lutte contre la pauvreté et l’amélioration des conditions de vie de la population : il s’agit d’une vieille promesse déjà faite par son regretté père, lors de sa campagne en 2011 et qu’il avait inscrite dans le slogan « Le peuple d’abord ».
• L’éradication de l’insécurité à l’Est du pays et la restauration de l’État sur l’ensemble du territoire national.
• La promotion de la femme.
• Les reformes pour améliorer le système électoral congolais.
• L’installation du quartier général du président de la République à Beni, la ville la plus meurtrie de la province du Nord-Kivu à l’Est du pays.
• La gratuité de l’enseignement de base et la couverture santé universelle.
• La promotion de l’unité nationale et la lutte contre le tribalisme.
• La fermeture des cachots clandestins.
• La lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics.
• L’instauration de l’État de droit.

À deux ans de la fin de son mandat, quel bilan pouvez-vous faire ? A-t-il tenu ces promesses ? Si oui, lesquelles ? Quelles sont les promesses non tenues ?

Le bilan du Président Félix Tshisekedi est largement négatif à ce stade. Lui-même l’a récemment reconnu lors de sa tournée à l’intérieur du pays, dans les provinces qui forment le Grand Kasaï. Il justifie cet échec par ses divergences avec le Front commun pour le Congo (FCC) de l’ancien Président Joseph Kabila qu’il accuse de double jeu. Au début de son mandat, le Cap pour le changement (CACH), plateforme dirigée par Félix Tshisekedi, avait formé une coalition gouvernementale avec le FCC. Mais, ladite coalition a fini par un divorce.
La seule promesse tenue est l’application de la gratuité l’enseignement de base qui, malgré les difficultés liées au manque de planification a quand même permis à des millions d’enfants d’aller à l’école. On pourrait aussi citer la lutte contre la corruption menée par l’Inspection générale des finances ; mais, cette lutte est affaiblie par une certaine impunité des corrupteurs et corrompus qui ne purgent pas toujours leur peine. En témoigne la récente libération controversée de Vital Kamerhe.

Plusieurs promesses de Félix Tshisekedi ne sont donc pas réalisées et la population le lui rappelle régulièrement. C’est notamment le cas de l’amélioration des conditions de vie de la population. Là-dessus, plusieurs citoyens constatent que le slogan « le peuple d’abord » est creux et vide de sens. L’éradication de l’insécurité à l’Est du pays où l’État de siège patauge sans résultat espéré ; les cachots clandestins sont toujours opérationnels et l’instauration de l’État de droit piétine ; le tribalisme est toujours visible dans la population avec la montée des discours identitaires. La liste n’est pas exhaustive.

Que pensez-vous de la nomination de Denis Kadima, un proche de Félix Tshisekedi, à la tête de la CENI ?

Il s’agit d’un forcing qui prépare une fraude électorale aux élections prochaines. L’objectif est non seulement de garantir un second mandat au Président Tshisekedi, mais aussi de lui offrir une majorité au Parlement pour éviter la situation de coalition vécue après les élections de 2018. L’entérinement bâclé et non consensuel de Denis Kadima à la tête de la CENI rentre dans le schéma classique de l’affaiblissement de l’indépendance de l’administration électorale au profit des régimes au pouvoir. Cette situation renforce la méfiance des parties prenantes dans le processus électoral.

Dans un peu plus d’un an, les élections auront lieu. Quelles sont les forces en présence ? Félix Tshisekedi est-il en bonne posture ?

D’abord, il faut rester prudent en parlant de la tenue des élections l’année prochaine. Jusqu’à la semaine dernière, le nouveau bureau de la CENI affirme n’avoir toujours pas reçu les moyens financiers pour commencer les opérations. Pis, la situation sécuritaire du pays n’est toujours pas stable surtout à l’Est, ce qui pourrait conduire à un report des élections. Au cas où elles auront lieu, il faudra prendre en compte les forces suivantes : une opposition divisée entre le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila et la coalition Lamuka portée par le tandem Fayulu et Mozito ; la majorité fragile réunie sous le label de l’Union sacrée de la nation (USN) conduite par le Président Tshisekedi.

Mais dans cette majorité, il faut considérer que Moïse Katumbi et son Ensemble pour le changement, Jean-Pierre Bemba et son Mouvement de libération du Congo (MLC) sont des potentiels adversaires de Felix Tshisekedi aux prochaines élections. De toutes ces forces, seul Moïse Katumbi et son Ensemble pour le changement se présentent jusqu’ici comme un adversaire redoutable pour Félix Tshisekedi aux prochaines élections en termes d’ancrage sur terrain. Dans tous les cas, le bilan actuel de Felix Tshisekedi le place en mauvaise posture, puisqu’il est, comme nous l’avions déjà indiqué, largement négatif. C’est pourquoi le Président Tshisekedi mise sur son programme de développement de 145 territoires pour remonter la pente.

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Historien, Journaliste, spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne
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