Trip-hop, MIG : « La différence est une richesse »


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Djazia, Mathieu et Piero

Après le succès de Dhikrayat en 2004, le groupe de trip-hop grenoblois (France) MIG revient dans les bacs et sur le devant de la scène avec Yamatna, un album de toute beauté, nourri de nombreuses influences, notamment arabes. Rencontre avec Djazia et Piero, deux des membres du trio inspiré, qui nous font découvrir leur univers. Un univers vivant fait de partage et d’échange.

Yamatna coup de cœur d’Afrik. Le deuxième album du groupe trip-hop MIG est l’une des meilleures surprises musicales de ce début d’année. Le trio grenoblois (France), très attendu après le succès de leur première production Dhikrayat en 2004, enfonce le clou. Une musique posée, riche, variée et fluide, saupoudrée d’influences arabes amenées par Djazia, la divine chanteuse algérienne de cette aventure musicale commune. Car MIG c’est aussi Piero, le bassiste, et Mathieu, le batteur. Et c’est tous ensemble qu’ils construisent et explorent leur propre univers. Le nourrissant du dialogue des différences de chacun.

Afrik.com : Vous êtes un groupe estampillé trip-hop. Quelle serait votre définition de ce que vous faites ?

Piero : Quand vous faites un disque, il faut toujours qu’on vous mette dans une case, mais pour nous c’est toujours un peu dur de donner une définition de ce que l’on fait. Au départ de l’aventure, nous sommes partis d’une base trip-hop, mais nous avons développé tout un univers autour. Au-delà de l’aspect un peu sombre, nostalgique et down tempo du genre, nous faisons un trip-hop plus chaleureux. On y introduit des musiques comme la soul, le jazz…

Djazia : Oui, des musiques qui n’ont rien à voir, a priori, avec le trip-hop pur, très électro. Le trip-hop est une atmosphère et c’est ce que dégage cette atmosphère qui est intéressant. Après je pense que c’est une musique qui est très ouverte à des mélanges d’influences diverses.

Afrik.com : Pour la trip-hop, il y a un gros travail de composition avec les machines. Comment se passe le processus créatif entre vous ?

Piero : En concert, on retrouve nos instruments. Mathieu retrouve sa batterie, moi ma basse et il y a un guitariste qui nous accompagne sur scène. Dans la période de composition, nous ne sommes pas uniquement sur nos propres instruments. On travaille depuis le début avec des machines. Ce qui nous permet d’essayer plein de choses pour jouer avec la matière sonore. Djazia peut trouver une ligne de batteries, Mathieu une ligne de basse : il n’y a pas de choses cloisonnées à ce niveau-là. Après on marche simplement à la sensation. Il y a espèce d’évidence quand les choses collent pour tout le monde.

Djazia : La composition est très ouverte. Il n’y a pas un leader qui compose et qui écrit tout. Tout le monde a voix au chapitre, mais il y a tout de même des rôles un peu définis. Le batteur est un peu plus dans les samples, dans tout ce qui est machines. Piero a travaillé sur tout ce qui est base de chanson et également sur tout l’aspect électro.

Afrik.com : Le travail en studio est sans doute très différents du travail sur scène.

Piero : Ce sont deux façons de travailler tout à fait différentes, mais chacune très intéressante. Surtout quand il s’agit de relier le studio à la scène. D’un côté on réalise des morceaux, on trouve des ambiances, de l’autre il y a tout le côté plaisir de la scène, d’aller défendre son travail devant un public. On est dans une rencontre directe et ça n’a plus rien à voir. Je trouve qu’il y a peut-être un côté plus réducteur sur scène parce que nous ne sommes que sur un instrument, alors qu’on touche à tout lors des compositions.

Djazia : Pour ma part, j’aime beaucoup les phases de création, de composition. J’ai plus de mal avec le studio, parce que ça fige les choses. Je trouve ça assez contraignant. Et, bon, la scène c’est carrément passionnant, parce qu’on peut réadapter les choses. C’est beaucoup plus libre et plus ouvert.

Afrik.com : Finalement que représente un album pour vous, par rapport à la scène ?

Piero : Un album c’est un refuge. Nous avons peut-être un univers un peu onirique et imaginaire dans lequel on peut trouver à travers un ou des morceaux une petite parenthèse au milieu de choses qui ne sont pas toujours faciles à vivre.

Afrik.com : Quand la presse parle de MIG, elle est surtout centrée sur Djazia. N’est-ce pas un peu frustrant pour les deux autres membres du groupe ?

Piero : C’est un peu la règle du jeu. De toute façon, il y a cette culture médiatique d’être autour du chanteur ou de la chanteuse. Mais ce ne sont pas des choses que nous vivons mal. Ce qui compte c’est comment ça se passe entre nous.

Afrik.com : L’album est teinté de sonorités arabisantes et dans la musique et dans le chant. Est-ce là, Djazia, le fruit de votre unique volonté ?

Djazia : Au départ c’est plutôt quelque chose qui est plus propre à moi, ça fait partie de mon identité. Mais je travaille heureusement avec des gens qui ont les oreilles ouvertes qui s’intéressent à ce que les autres peuvent apporter. Du coup ça créé un intérêt pour ces rythmiques-là. Dans ma voix, il y avait cette volonté d’avoir effectivement plus cette couleur arabe. Il y a aussi des textes en arabe, donc ça va un peu dans ce sens-là. C’est peut-être pour aller chercher quelque chose d’un peu neuf qui sonne autrement.

Piero : Le fait que nous ayons découvert les sonorités arabisantes est passionnant. Dans MIG il y a vraiment cette notion que la différence est une richesse. Nous arrivons tous d’horizons différents, de cultures différentes. Nous écoutons des choses différentes. C’est à l’intérieur du projet qu’on regroupe tout ça pour sortir des choses qui nous paraissent cohérentes. Sans comprendre l’arabe, nous avons tout de suite trouvé l’intérêt de cette langue par rapport à ses sonorités et sa musicalité. Je trouve même que c’est la plus intéressante des trois langues chantées sur l’album. Il y a un truc très fluide qu’on peut retrouver dans l’anglais mais il y a en plus une rythmique terrible. Il y a des syllabes que nous n’avons pas dans la langue française qui sont très percussives. On fait notre cuisine avec ce que l’on a et cela aurait été dommage de passer à côté de ça. D’autant que ce sont des choses qui comptent aussi pour Djazia.

Afrik.com : Pourquoi justement chanter en trois langues, anglais, français et arabe ?

Djazia : Au départ, c’était un groupe qui était censé chanter en français. Mais le projet a évolué très rapidement. Ces trois langues-là ne sont pas là par hasard. L’anglais était une évidence musicale, l’arabe est un choix affectif, parce que c’est ma langue maternelle. Je la trouve d’une part vraiment très musicale et puis surtout elle a un vrai sens pour moi. Pour le français, la langue à laquelle j’accède le plus facilement, c’est beaucoup plus un exercice de style. C’est un peu plus compliqué, mais c’est ce qui rend le travail plus intéressant.

Afrik.com : Vous êtes l’un des rares groupes français de trip-hop. Pensez-vous que le marché soit mûr pour votre musique ?

Piero : Dans tout domaine artistique, il y a du business autour. Il y a tout un aspect promo sur lequel nous n’avons aucune prise. C’est un autre univers qui nous est complètement étranger. Il y a plein de gens qui font des trucs d’enfer et que les gens ne connaissent pas faute de promotion. Il y a plein de choses de qualité qui passent à la trappe comme ça. Pour notre part, je pense que nous ne sommes pas trop mal lotis. Le premier disque s’était quand même bien vendu (15 000 exemplaires, ndlr) et nous avons un encadrement que beaucoup d’artistes n’ont pas.

Afrik.com : L’univers que vous développez à travers Yamatna est-il définitif ?

Djazia : Notre musique est très évolutive. Il y a, par exemple, une nette différence entre le premier et le second album. Quand nous faisions Yamatna, j’avais l’impression que nous allions vers une identité propre plus marquée. Mais en fait, plus ça va et plus j’en doute parce que je me dis que le troisième peut aller complètement ailleurs. Les personnes du groupe sont chacune en évolution et notre musique est le reflet et le résultat de ces différentes dynamiques. Nous sommes très ouverts sur les chemins qu’on veut suivre. On ne va pas se définir exclusivement comme un groupe de trip-hop.

MIG, Yamatna, Exclaim / Warner, 2006

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