Toutes des salopes ?


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Je croyais naïvement que « Beurette » était simplement le féminin du terme argotique « beur », lui même verlan d’arabe. Mais ce suffixe « –ette » change bien plus que le genre du nom. En effet, si vous tapez « beur » sur Google vous trouverez Beur FM ainsi que des sites variés. Par contre, tapez « beurette », et là, vous aurez uniquement une liste de sites pornographiques…

Par Fatima Ait Bounoua

Et alors ? me direz-vous. Alors… le problème n’est pas l’existence de ces sites pornos (bien sûr que non) mais le fait qu’il n’y ait QUE ces sites. Autrement dit, « la beurette » est devenue, de fait, une catégorie sexuelle. Elle est classée parmi les autres catégories : « gros seins », « fétichiste », « partouze » etc… Etrange, non ?

D’un point de vue pragmatique, on peut me répondre que les sites pornos, en général, sont bien référencés. Ils apparaissent donc en premiers sans être les seuls pour autant. Seulement, je ne parle pas de la première page Google, mais des dix premières !
L’abondance des sites pornos au sujet des beurettes est le résultat d’une demande reposant sur plusieurs clichés tenaces.

Tout d’abord, la recherche de l’exotisme, de la fille venue d’ailleurs. La beurette ayant cette particularité d’incarner l’exotisme à proximité. En effet, les sites parlent de « l’appart’ des beurettes », « les beurettes des banlieues » avec l’idée que cette fille typée peut habiter l’immeuble d’en face. On peut penser que c’est la même chose pour toutes filles dites « exotiques », mais pas exactement. En tapant « asiatiques », « femmes noires » ou « femmes des îles », le phénomène n’a pas la même ampleur.

La transgression de l’interdit religieux

En effet, pour la jeune femme d’origine magrébine s’ajoute une dimension supplémentaire, toujours présente d’une façon implicite ou non : la transgression de l’interdit religieux. C’est cette transgression qui est mise en scène pour susciter désir et excitation. Ainsi de jeunes femmes voilées se font « baiser » avec comme sous-titre: « Leila n’est pas si coincée », en insistant sur les contrastes visuels. On notera que pour jouer la « beurette » être brune et bronzée suffit, si le nom inventé « sonne arabe » comme Safia ou Fatima. Les sites jouent sur les fantasmes de la prude-salope en utilisant des termes comme « dépravées » qui insistent sur des critères moraux dévoyés.

Tout se passe comme si les beurettes étaient forcement des musulmanes, des musulmanes prisonnières et celles du site seraient celles qu’on est parvenu à « libérer » des contraintes religieuses. Les petites histoires racontées vont toutes dans ce sens et les pratiques, souvent la sodomie, les doubles pénétrations, sont en contraste avec les premières images où la jeune femme est présentée comme chaste et réservée. Les beurettes passent alors pour des femmes assoiffées de sexe qui, comme quelqu’un qui aurait été privé de nourriture depuis longtemps, se jetterait dessus dès que l’accès en serait permis. Ces sites seraient donc dans une certaine mesure le revers, la face cachée d’une représentation, caricaturale, de l’islam. Représentations qui reposent sur des clichés largement présents dans l’imaginaire collectif lesquels se nourrissent en partie de réalités (la rigueur de l’islam) mais aussi et surtout de fantasmes crées par la peur et la méconnaissance de la communauté concernée.

Outre cette violation de l’interdit, s’ajoute une représentation post-coloniale de la femme arabe représentée comme soumise dans la vie et donc soumise sexuellement. A cela, se mêle une nouvelle représentation, apparemment opposée, celle de la jeune femme magrébine essayant de « s’émanciper ». Mais à la vraie émancipation qui serait sociale et intellectuelle, les sites substituent une émancipation factice qui n’est qu’une pseudo-libération sexuelle comme le signalent les titres évocateurs des sites : « beurette rebelle », « beurette insoumise ».

Une dérive dangereuse

L’omniprésence de ces sites finit même par être dangereux car, paradoxalement, ils deviennent des arguments pour beaucoup d’intégristes. En effet, ils véhiculent l’idée que les femmes orientales vivant en occident sont des femmes « perdues » car elles ont été laissées « trop » libres. Ces images pornos sont alors utilisées pour effrayer les croyants sur l’avenir de leurs filles, en réveillant les clichés qu’ils peuvent avoir sur l’occident comme lieu de débauche. Non seulement, ces vidéos ne contribuent pas à la libération sexuelle mais seront plutôt facteurs de régression…

Enfin, cette représentation souvent dégradante de la beurette participe de l’image de la femme dans les films pornographiques. La tendance étant la mise en scène de scènes de plus en plus violentes où le gang bang et autres pratiques de groupes sont devenus banals. Cette violence est à mettre en relation avec la misère sexuelle de beaucoup d’internautes ( pas tous, bien sûr !!). Leur frustration est tellement forte qu’elle engendre un désir de voir des scènes « hard » où l’homme ne subit pas son désir mais le maîtrise en dominant sa partenaire. Des scènes humiliantes où ils peuvent dominer par procuration ce qu’ils ne peuvent pas avoir : une femme qui le désire.

Le plus triste dans tout ça, c’est qu’une jeune fille de douze ans qui se ferait appeler « Beurette » et chercherait ce mot sur Internet ne trouverait comme réponse que ces images pornos…. Ce terme a priori neutre est devenu une insulte. « A priori neutre »… car dès le début, les termes de « beur » et de « beurette » en désignant d’une façon spécifique ceux qui sont tout de même censés être avant tout français, étaient biaisés.

Ces mots méritent-ils encore d’être utilisés ? Ont-ils un sens ? Que représentent-ils vraiment ? Quel est le point commun entre une jeune femme d’origine algérienne ayant grandi à Niort, une étudiante de Mantes la Jolie au père ouvrier arrivé du Maroc en 56, une minette de 14 ans ayant grandi à Lille élevée par une mère Turque et une femme de 30 ans, avocate, n’ayant plus de lien avec sa famille ? Elles sont toutes appelées « beurettes » alors qu’elles n’ont sans doute rien en commun à part le fantasme de ceux qui n’en connaissant aucune pensent les connaître toutes…

Cet article, paru dans Libération, sera publié dans le prochain magazine trimestriel Fumigène.

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