Thomas Sankara a pensé que le mieux « était de se laisser tuer au lieu de tuer »


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Thomas Sankara, ancien Président du Faso
L'ancien Président du Burkina Faso, Thomas Sankara

Le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses douze compagnons s’est poursuivi mardi et mercredi. Après l’audition des derniers témoins, les experts sont intervenus entre les présentations des pièces à conviction.

Les derniers témoins à avoir fait leur déposition par visioconférence sont Moussa Diallo, ancien aide de camp du Président Thomas Sankara, et le journaliste américain Stephen Smith.

Blaise Compaoré, un homme assoiffé de pouvoir

De la déposition de Moussa Diallo, colonel-major et magistrat militaire à la retraite, et vivant en France, on retient que « le 15 octobre 1987 a été prémédité. C’est l’aboutissement d’un complot qui est né avant la révolution avec un homme qui voulait prendre tout le pouvoir ». Et Thomas Sankara a vu venir sa mort, puisqu’il était bien au courant du complot qui se tramait contre lui, mais a préféré ne rien faire pour arrêter le processus en marche.

« Thomas Sankara savait qu’il allait mourir dans cette affaire. Il était prêt au sacrifice suprême. Il croyait en ses idéaux. Il a peut-être pensé que le meilleur service à rendre à la révolution était de se laisser tuer au lieu de tuer », poursuit le témoin qui s’insurge contre le discours servi par le camp Blaise Compaoré qui, après le coup, a tenté de salir l’image du Président assassiné en le présentant comme un renégat. Pour Moussa Diallo, il ne fait pas l’ombre d’un doute que Thomas Sankara était « l’âme de la révolution ».

Le témoin rejette, par conséquent, la thèse de la tentative d’arrestation qui aurait mal tourné. Il balaie, par la même occasion, du revers de la main, les propos selon lesquels les événements du 15 octobre auraient été initiés par des éléments incontrôlés de la garde de Blaise Compaoré qui n’a fait qu’endosser la responsabilité des faits. Moussa Diallo appuie sa position par une interrogation souvent revenue depuis l’ouverture de ce procès : « Si c’est vrai, pourquoi ne les avoir pas sanctionnés ou pourquoi les avoir gardés à son service ? ». Dans son témoignage, l’ancien gendarme n’a pas épargné Gilbert Diendéré qui « était au moins consentant ou bénéficiaire, vu son ascension après les évènements », soutient Moussa Diallo.

Le témoin a par ailleurs évoqué un échange téléphonique, le jour du drame, entre Gilbert Diendéré et son condisciple nigérien Moussa Ganda. En effet, alors que Moussa Diallo s’était rendu à son bureau, aux environs de 15 h, le 15 octobre, il fit la rencontre de l’officier nigérien qui lui demanda de lui appeler Gilbert Diendéré. Ce que fit le témoin en appelant le standard du Conseil de l’Entente. Alors que Moussa Ganda discutait avec Gilbert Diendéré, la communication se coupa subitement. Lorsque Moussa Diallo rappela, c’est un soldat qui décrocha le téléphone et lui annonça qu’il y avait des coups de feu au Conseil de l’Entente.

Selon les propos tenus par Ninda Pascal Tondé dans l’audio, il a agi sur instruction de son ancien patron, Gilbert Diendéré. Mais, pendant son audition, l’accusé avait déclaré avoir agi sur sa propre initiative et non sur instruction de Gilbert Diendéré

Appelé à la barre pour une confrontation, Gilbert Diendéré déclare ne pas avoir souvenance de cet échange téléphonique avec l’officier nigérien. Mieux, il soutient qu’il n’était pas dans l’enceinte du Conseil lorsque les premiers tirs ont eu lieu, mais qu’il se rendait au terrain de sport. Face aux propos de Gilbert Diendéré, Moussa Diallo a suggéré à la Cour de prendre les dispositions pour entendre le son de cloche de Moussa Ganda encore vivant afin que la vérité jaillisse.

Après Moussa Diallo, le tribunal a eu droit à l’intervention par visioconférence du journaliste Stephen Smith qui, à l’époque des faits, était correspondant de RFI et du quotidien Libération à Abidjan. Compte tenu de sa position, il était bien au courant de la dégradation des rapports entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré. « Quand on voyait Sankara, Blaise n’était pas là. Et au sein des comités de défense de la révolution, on voyait que l’élan des premières années de la révolution s’en était allé », indique-t-il. Stephen Smith rapporte à la Cour avoir eu un échange téléphonique avec Thomas Sankara, 24 ou 48 heures avant son assassinat.

« C’était la première fois qu’il m’appelait directement et non par son aide de camp. Il parlait toujours avec un ton enjoué et amical, mais ce jour-là, je sentais à travers sa voix qu’il ne maîtrisait pas la situation. Quand il a raccroché, j’ai senti une boule de plomb à l’estomac. Mais sur le coup, je n’ai pas mesuré l’importance de ce coup de fil », a confié le journaliste. Par la suite, Stephen Smith se rendra au Burkina Faso, sera même reçu par Blaise Compaoré avant d’être déclaré persona non grata pendant six ans dans ce pays après la diffusion par RFI d’une interview que lui a accordée Boukari Kaboré.

Présentation des pièces à conviction et intervention des experts

À la fin de l’audition du journaliste Stephen Smith, le procès est passé à une autre étape, celle de la présentation des pièces à conviction. La première est l’enregistrement audio dans lequel Ninda Pascal Tondé, accusé de tentative de subornation de témoin, demandait à Abderrahmane Zétiyenga de ne pas déclarer au juge d’instruction qu’il était présent au Conseil de l’Entente au moment du drame. Selon les propos tenus par Ninda Pascal Tondé dans l’audio, il a agi sur instruction de son ancien patron, Gilbert Diendéré. Mais, pendant son audition, l’accusé avait déclaré avoir agi sur sa propre initiative et non sur instruction de Gilbert Diendéré.

À la suite de l’écoute de l’enregistrement audio, l’accusé n’a pas fait de nouvelles déclarations. Il a juste indiqué qu’il s’en tenait à ses déclarations antérieures. L’audience du mercredi a commencé par l’intervention des trois experts désignés pour autopsier les restes des victimes, procéder à l’analyse balistique et faire des tests ADN. Il s’agit du professeur Robert Soudré, anatomo-pathologiste à la retraite, du Dr Norbert Ramdé, expert en réparation de dommages corporels, et du commissaire divisionnaire Moussa Millogo, expert en balistique.

Les résultats de l’expertise balistique réalisée par Moussa Millogo et son équipe sur les restes de Thomas Sankara et ses compagnons révèlent que trois types de munitions ont été utilisées par les assaillants : « Les 7.62 mm pouvant être tirés par les kalachnikovs, les 7.62 mm pouvant être tirés par les HK G3 et les 9 mm tirés par les pistolets mitrailleurs. Les projectiles trouvés sur les restes des vêtements du Président Thomas Sankara sont des munitions traceuses. Ce sont des balles, lorsqu’on tire, elles partent en feu. Au niveau des restes des vêtements que portait le Président Thomas Sankara, il y avait des brûlures », a déclaré l’expert en balistique.

« Dans aucune tombe, nous n’avons trouvé un seul os long entier. La structure osseuse de la tête était devenue très friable… Les ossements de Thomas Sankara ont été découverts à 45 cm de profondeur. D’autres restes ont été mis au jour à une profondeur comprise entre 22 et 58 cm »

Moussa Millogo a également expliqué que la distance létale de la kalachnikov est de 25 m contre 30 m et 12 à 15 m respectivement pour la HK G3 et le pistolet mitrailleur. L’expertise révèle que Thomas Sankara a reçu plusieurs balles au niveau du thorax, du bas ventre, de la cuisse et même dans le dos. À l’analyse des données à leur disposition, les experts ont conclu que Thomas Sankara et ses compagnons ont été victimes d’une « mort violente ou criminelle ». Si les vêtements du Président du Faso ont pu résister au temps et ont facilité les analyses, tel n’est pas le cas pour certains de ses compagnons dont les habits ont été totalement détruits.

À cela s’ajoute l’absence d’objets métalliques ou de projectiles dans certaines tombes, toutes choses n’ayant pas permis aux experts d’affirmer que certaines victimes ont été effectivement tuées par balles. Le professeur Robert Soudré a relevé l’état de dégradation avancée des os des victimes en raison de l’acidité du sol et de la façon dont les corps ont été mis en terre. « Dans aucune tombe, nous n’avons trouvé un seul os long entier. La structure osseuse de la tête était devenue très friable », a déclaré le professeur tout en précisant que les ossements de Thomas Sankara ont été découverts à 45 cm de profondeur.

D’autres restes ont été mis au jour à une profondeur comprise entre 22 et 58 cm. L’identification des dépouilles a été facilitée par les cartes d’identité, les cartes militaires, les anneaux retrouvés sur certaines victimes. En l’état actuel des choses, le rapport des experts n’est pas complet, puisque des résultats d’analyses effectuées dans un laboratoire à l’étranger sont toujours attendus.  À la suite de l’intervention des experts, la deuxième pièce à conviction a été présentée à la Cour, ce mercredi 12 janvier 2022. Il s’agit d’une vidéo qui reconstitue, en environ 65 minutes, les faits qui ont caractérisé la sanglante journée du 15 octobre 1987.

Dans cette vidéo projetée, les acteurs du procès (accusés et témoins) donnent leur version des faits, parfois directement depuis le théâtre de l’opération macabre, le Conseil de l’Entente. À la fin de la projection, le procureur militaire n’a pas manqué de relever des contradictions flagrantes entre les déclarations de certains accusés et témoins dans la vidéo et leur déposition à la barre.

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Historien, Journaliste, spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne
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