Thione Niang : un Américain à Paris


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Dogad Dogui (en beige) et Thione Niang (en gris) à la Garden party de la diversité le 12 juillet dernier
Dogad Dogui (en beige) et Thione Niang (en gris) à la Garden party de la diversité le 12 juillet dernier

Aux Etats-Unis, il est un modèle d’intégration. En France, il inspire le Cercle de la diversité républicaine (CDR), mouvement proche de la majorité présidentielle, qui milite pour plus d’égalité dans la société française. Rencontre avec Thione Niang, le président des jeunes démocrates américains, lors de son séjour parisien.

Dogad Dogui (en beige) et Thione Niang (en gris) à la Garden party de la diversité le 12 juillet dernier « Thione Niang est un Américain, un jeune politique, symbole du rêve américain. » La description est celle de Dogad Dogui, le président du Cercle de la diversité républicaine (CDR) qui a invité le président des jeunes démocrates américains (Young Democrats for America College Caucuses, YDACC) du 10 au 12 juillet, en France, dans le cadre du premier week-end de la diversité organisé par son mouvement. Thione Niang, 31 ans, est né à Kaolack, à trois heures de la capitale sénégalaise, Dakar. Il est le 12e enfant d’une fratrie de 28. Son aventure américaine démarre en 2000, à New York, avec 20 dollars en poche. Le billet acheté grâce au prêt d’un cousin, venu du Japon, ne lui a laissé que la modique somme de 25 dollars. Et il a fallu se séparer de cinq autres pour le taxi qui l’a conduit à l’aéroport de Dakar. Bref séjour à New York, puis arrivée à Cleveland dans l’Ohio. Il cumule les petits boulots avant d’enseigner le français dans une classe préparatoire et de se lancer dans une carrière politique en 2005. Dans la campagne du sénateur Barack Obama en 2008, il sera un homme clé à Cleveland. « Il est arrivé, il y a peine 10 ans aux Etats-Unis, il a travaillé et continue de collaborer avec celui qui est aujourd’hui le président des Etats-Unis », remarque Dogad Dogui. Ce qui le séduit chez Thione Niang : son message. « Aimez votre pays, l’endroit où vous vivez, et engagez-vous à le défendre ». « On voulait, explique Dogad Dogui, que ce message que le CDR a toujours véhiculé vienne d’une personne dont le parcours est l’incarnation d’une Amérique que nous aimons. Pour le CDR, c’est un point de départ parce que nous devons faire la même chose. » En matière de diversité, le CDR a désormais une muse : l’Amérique de Barack Obama. Et un champion étasunien : Thione Niang.

Afrik.com : Vous avez passé trois jours avec Dogad Dogui, le président du Cercle de la diversité (CDR). Que pensez-vous de leur action et de la diversité en France ?

Thione Niang : Nous avons beaucoup discuté avec le président Dogad Dogui et les membres du CDR, et j’ai beaucoup appris. Le CDR a un vrai potentiel. Il leur faut maintenant se porter à la rencontre des gens à travers le pays afin de leur expliquer pourquoi il est déterminant de s’organiser, de les sensibiliser et de les associer à leur action. Cela vaut particulièrement pour les jeunes qui veulent toujours faire évoluer leur société, en France, aux Etats-Unis ou en Afrique. Il faut trouver les moyens de les amener à s’impliquer davantage dans le mouvement. Au vu de l’enthousiasme suscité par le CDR, on peut considérer qu’il constitue la première étape d’un changement similaire à celui que Barack Obama prône aux Etats-Unis. Les membres du CDR semblent prêts à encourager les minorités à s’investir dans la vie politique de leur pays. Le mouvement émerge mais il est appelé à s’amplifier.

Afrik.com : Vous êtes arrivé aux Etats-Unis en 2000, vous vous êtes engagé en politique en 2005 et aujourd’hui vous êtes à la tête des jeunes démocrates américains. Votre parcours est incroyable. Il semble n’être possible qu’aux Etats-Unis et difficile à imaginer en France…

Thione Niang : C’est possible partout. Le ciel est la limite, dit-on aux Etats-Unis. Mais cela demande beaucoup de travail et de sacrifices. On n’y arrive pas en une journée. Il faut être à l’image du changement que l’on souhaite incarner, trouver la façon la plus appropriée d’y contribuer. Ce que j’ai fait n’a rien d’exceptionnel. Il n’y a donc aucune excuse pour ne pas essayer de faire évoluer la société au profit des générations futures. Je ne vis pas en France, il m’est par conséquent difficile de mesurer la difficulté de l’entreprise. La lutte des Afro-Américains pour leurs droits civiques a été longue et éprouvante. Mais ils n’ont jamais renoncé à mener le combat. Barack Obama est né au moment où ils ne pouvaient pas voter, maintenant, il est le président des Etats-Unis. Des combats similaires peuvent être menés en France si les gens s’organisent pour faire évoluer le système. Il faut s’impliquer dans la politique, au sens premier du terme, servir son pays tout en faisant de lui un lieu où il est possible de vivre en harmonie les uns avec les autres. Il faut s’évertuer à être un bon citoyen – voter, s’engager dans l’armée, rendre à son pays un peu de ce qu’il vous a donné -, ne pas s’en prendre tout le temps au gouvernement ou attendre tout de lui. Nous sommes tous originaires d’Afrique, mais à partir du moment où nous choisissions d’être citoyen d’un pays, ce dernier devient notre foyer. A nous de le rendre le plus agréable possible pour tous !

Afrik.com : Aux Etats-Unis, il semble que les rapports soient difficiles entre immigrés africains et Afro-Américains. Qu’en est-il vraiment ?

Thione Niang : Nous ne nous connaissons pas très bien, ce qu’on omet souvent de dire. Nous n’avons pas la même culture : nous venons d’Afrique et ils sont nés en Amérique. Ce n’est pas très différent de ce qui peut se passer entre Noirs et Blancs. Quand je suis arrivé aux Etats-Unis, ce sont des Noirs Américains qui ont pris soin de moi. A la fin de la journée, nous sommes tous Noirs, Afro-Américains et nous faisons ce que nous devons pour notre pays.

Afrik.com : Vous avez participé activement à la campagne de Barack Obama à Cleveland, votre ville. Quels souvenirs vous en gardez et comment vivez-vous ce qui se passe aujourd’hui aux Etats-Unis ?

Thione Niang : Je suis très fier de ce que nous avons accompli aux Etats-Unis. Je suis fier de m’être battu durant ces longues journées, ces longues nuits où nous avons fait du porte à porte pour parler aux jeunes, encourager les gens à s’inscrire sur les listes électorales et aller ensuite voter le plus tôt possible pour le président Obama. Ce fut un moment historique et je me félicite d’avoir apporté ma modeste contribution à son avènement. Aujourd’hui, nous pouvons sentir le monde changer et percevoir le rôle des Etats-Unis dans ce processus. Quand le président Obama arrive à Paris et qu’on voit des drapeaux américains partout, ce n’est pas anodin.

Afrik.com : Que vous inspire le plaidoyer de Barack Obama au Ghana en faveur de la bonne gouvernance en Afrique ?

Thione Niang :Cela fait trop longtemps qu’on donne à l’Afrique des milliards de dollars dont on ne voit pas les effets. Les populations africaines continuent de souffrir. Comme Barack Obama l’a déclaré à Accra, il est temps que les responsables politiques soient mis face à leurs responsabilités. La bonne gouvernance et la démocratie y participeront. Le Ghana est une bonne illustration. C’est un pays qui vit une alternance politique pacifique. En choisissant ce pays pour effectuer son premier voyage en Afrique, il envoie un message fort.

Afrik.com : En tant que diaspora, y-a-t-il des actions que vous menez ou que d’autres Américains originaires d’Afrique conduisent pour aider leurs pays d’origine à parvenir à cette bonne gouvernance et au développement que Barack Obama a prônés au Ghana ?

Thione Niang : Il y a toujours eu des initiatives dans ce sens mais jusqu’ici, elles n’avaient pas le soutien dont elles peuvent désormais bénéficier sous l’administration Obama. Et il y en aura de plus en plus après le message délivré par le président. J’ai pour ma part créé une ONG, « Give one project » au Sénégal. J’y étais, il y a deux mois, pour encourager les jeunes à devenir de meilleurs citoyens et à servir leur communauté. Il est fondamental de mobiliser une nouvelle génération autour de l’idée qu’il faut se mettre d’abord au service de sa communauté, ne pas s’enrichir à son détriment ou la léser de quelque autre manière.

Afrik.com : Que peut-on dire de la communauté sénégalo-américaine aux Etats-Unis ?

Thione Niang : J’en sais très peu sur elle. Je l’ai rencontrée le 4 mai dernier, date anniversaire de l’indépendance du Sénégal. A cette occasion, j’ai été invité à m’exprimer à Detroit (Michigan). Je leur ai répété qu’il fallait s’investir dans la vie politique. Si vous êtes dans un pays et que vous n’êtes pas représentés, vous n’avez pas de droit. Quand on parle d’immigration aux Etats-Unis, on ne pense qu’à la communauté hispanophone. Les Africains n’ont pas de représentants ni au Sénat ni au Congrès parce qu’ils n’en élisent pas. Les immigrés africains sont des personnes intelligentes, respectées, présentes dans tous les secteurs d’activité. Mais elles sont absentes dans le débat politique. La situation est néanmoins en train d’évoluer.

Afrik.com : Beaucoup de jeunes comme vous quittent leur pays dans l’espoir de se réaliser. Certains au péril de leur vie. Que peut-on leur dire quand on incarne le rêve américain ?

Thione Niang : J’ai quitté le Sénégal pour la même raison. Je viens d’une famille pauvre et que je voulais aider, tout particulièrement ma mère. Je suis parti, ce n’est donc pas moi qui vais leur dire de ne pas le faire. Ce serait hypocrite. Un conseil cependant : quand ils partent, il faut qu’ils soient les meilleurs là où ils sont. Quant à ceux qui restent, parce que tout le monde ne peut bien évidemment pas partir, à eux de faire de leur pays un endroit où il fait bon vivre. Qu’on soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, il faut avant tout être un facteur de changement. Quand j’étais au Sénégal, je n’attendais pas que les choses me tombent du ciel. Mes parents n’avaient pas les moyens de m’aider au moment où j’ai eu l’opportunité de quitter le Sénégal. J’ai dû trouver les ressources nécessaires pour saisir ma chance. Ceux qui restent doivent être le moteur du changement, mais il appartient à ceux qui ont eu la chance de s’accomplir à l’étranger de retourner de temps en temps chez eux pour aider les jeunes à s’en sortir et à se prendre en main.

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