
Trois jours après un vote marqué par la faible participation et des actes de violence, la Commission électorale nationale tanzanienne a confirmé, ce samedi 1er novembre, la victoire écrasante de la Présidente sortante, Samia Suluhu Hassan.
Avec 97,66 % des suffrages, le chef de l’État tanzanien consolide son pouvoir à la tête du parti au pouvoir, Chama Cha Mapinduzi (CCM), héritier de l’indépendance du pays. Mais derrière cette victoire sans surprise se profile une élection contestée, où la démocratie semble plus affaiblie que jamais.
Un score soviétique, une opposition muselée
Le résultat annoncé à la télévision publique n’a surpris personne : Samia Suluhu Hassan était la seule véritable candidate encore en lice après des mois de répression politique et de marginalisation des figures de l’opposition. Dès son accession au pouvoir en mars 2021, à la mort du Président John Magufuli, la dirigeante tanzanienne avait entrepris de restaurer une certaine ouverture politique et diplomatique. Mais à l’approche du scrutin 2025, ce souffle d’apaisement s’est transformé en reprise en main autoritaire.
Les principaux opposants, notamment ceux du parti Chadema ont été arrêtés, intimidés ou empêchés de faire campagne. Plusieurs partis ont boycotté l’élection, dénonçant une mascarade électorale orchestrée par le CCM. Dans ces conditions, la victoire de Samia Suluhu Hassan apparaît davantage comme une formalité qu’une véritable compétition démocratique.
Une participation en berne, signe d’un désenchantement populaire
Si le pourcentage obtenu par la Présidente sortante témoigne d’un appareil d’État solidement verrouillé, le taux de participation, lui, raconte une autre histoire. Les observateurs internationaux ont pu noter une affluence extrêmement faible dans les bureaux de vote. Les images d’urnes à moitié vides à Dar-es-Salaam ou Dodoma symbolisent le désenchantement politique d’une population qui, pour beaucoup, n’attend plus rien des élections.
Ce désintérêt profond, voire cette abstention silencieuse, s’explique par la conviction que le CCM reste imbattable, quelles que soient les circonstances. Le parti fondé par Julius Nyerere domine la vie politique tanzanienne depuis plus de soixante ans et contrôle toutes les institutions, de l’administration électorale aux forces de sécurité.
Des violences post-électorales dans plusieurs villes
Le scrutin n’a pas été épargné par les troubles. Des incidents ont éclaté dès le jour du vote dans plusieurs localités. Des manifestants ont saisi des urnes et se sont filmés en train de disperser les bulletins de vote, signe de la défiance croissante envers le processus électoral.
Depuis, les affrontements entre jeunes contestataires et forces de l’ordre se sont multipliés, notamment dans les régions côtières et à Zanzibar, où les tensions ethno-politiques restent vives. Plusieurs ONG locales évoquent des arrestations massives et un usage disproportionné de la force, tandis que le gouvernement parle de simples « débordements isolés ».
Dar-es-Salaam, la capitale économique, reste relativement calme, mais plusieurs ambassades étrangères ont recommandé à leurs ressortissants de limiter leurs déplacements non essentiels.
Une réélection qui interroge la trajectoire politique du pays
Samia Suluhu Hassan entame donc son premier mandat électif, après avoir succédé à John Magufuli en tant que vice-présidente à la suite du décès soudain de ce dernier. Sa présidence, d’abord saluée pour son pragmatisme et son ouverture à la communauté internationale, semble désormais marquée par un retour aux réflexes autoritaires de l’ère Magufuli.
Cette réélection écrasante pourrait renforcer la stabilité apparente du régime, mais au prix d’un affaiblissement de la pluralité politique. En l’absence d’une opposition reconnue et d’institutions indépendantes, la Tanzanie risque de s’enfermer dans une gouvernance sans contre-pouvoirs, où la légitimité des urnes est remplacée par celle de la continuité.
À court terme, la victoire de Samia Suluhu Hassan conforte le CCM et rassure certains partenaires économiques, notamment la Chine et les États du Golfe, soucieux de stabilité régionale. Mais à plus long terme, la marginalisation des forces d’opposition et la désaffection populaire pourraient fragiliser le consensus national tanzanien, jadis l’un des plus solides d’Afrique de l’Est.
La Tanzanie, longtemps considérée comme un modèle de stabilité politique, semble désormais confrontée à une question cruciale : comment préserver la paix sans sacrifier la démocratie ?



