Tamaghrabit : le soft power marocain


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deux drapeaux du Maroc

En tant que Marocaine résidant à l’étranger, je me sens ambassadrice de mon pays. A chaque fois que je prends la parole, que j’écris, que je publie un livre, que je cuisine un tajine ou que je prépare un thé à la menthe pour des amis à l’étranger, je transmets la culture et les valeurs marocaines. Mais quelles sont ces valeurs justement ? Quand je pense au Maroc, les premiers mots qui me viennent à l’esprit sont l’hospitalité, la tolérance et la solidarité.

Anna Mahjar-Barducci

Il y a à peine quelques jours, Mme Ghislaine El Abid, chargée de mission au Conseil de la Communauté Marocaine à l’Etranger (CCME), que j’ai eu l’honneur de connaître lors d’une table ronde du CCME au SIEL à Rabat, m’a fait cadeau du livre « Tamaghrabit », écrit par Dr Abdellah Boussouf, historien et secrétaire général du CCME. Après avoir lu l’ouvrage, j’ai compris que pour être une bonne ambassadrice de mon pays, il fallait décoder le sens du mot Tamaghrabit, mot qui garde l’essence des valeurs qui constituent l’identité marocaine.

En effet, le concept de Tamaghrabit offre une réponse détaillée et complète aux questions suivantes : qui sommes-nous en tant que peuple ? Quelle est notre identité ? Quelle est notre vision de l’avenir pour nous-mêmes et pour le reste du monde ? Ces questions sur l’identité sont fondamentales, notamment dans la réflexion sur le rôle des Marocains à l’étranger, véritable soft power (« puissance douce », dans le sens de J. Nye) du Maroc.

La première idée qui nous vient à l’esprit en cherchant l’étymologie du terme Tamaghrabit, c’est son caractère multiculturel, réunissant les langues amazighe (tamazight) et arabe. Généralement, le tamazight utilise le morphème « t…t » pour construire la forme féminine d’un mot, par exemple en tamazight du Maroc central, invité (au masculin) est « anbgi », mais, en ajoutant le morphème « t…t », on obtient le mot « tanbgiwt », c’est-à-dire invitée (au féminin). Dans le même temps, ce morphème nous aide pour construire un nom d’action à partir d’un verbe. Par exemple, « kkusu » signifie hériter et « tukkust » est l’action d’hériter, également traduisible par héritage. Ainsi, dans le cas du Tamaghrabit, le morphème « t…t » a été ajouté au mot arabe maghrebi, marocain, qui lui a donné une connotation féminine. Par conséquent, le mot Tamaghrabit, qui combine ensemble le tamazight et l’arabe, nous explique que les valeurs du Maroc comprennent l’inclusion, la cohésion dans la diversité, l’aspect féminin et l’action de mettre ces valeurs en pratique. En plus, dans l’alphabet amazighe la lettre « t » du morphème « t…t » est écrite avec deux lignes qui se traversent, représentant le croisement des chemins et la rencontre entre les hommes.

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L’aspect féminin du nom Tamaghrabit nous rappelle que c’est la femme, qui est mère, qui génère la valeur de l’accueil, étant celle qui embrasse et nourrit la vie. C’est cette caractéristique maternelle de prendre soin de l’Autre qui est au cœur de notre culture marocaine et c’est justement pour cela que dans notre pays les trois religions abrahamiques existent ensemble, en s’ouvrant l’une à l’autre pour dialoguer. Ce n’est pas par hasard qu’en arabe le mot compassion/pitié (le sentiment qui porte à compatir aux souffrances d’autrui), rahmah, partage la même racine avec le mot « ventre maternel », rahém. C’est pourtant du ventre féminin de Tamaghrabit que naissent les valeurs marocaines de l’empathie, de la compréhension, de l’ouverture à l’autre, de la coexistence, de la paix et du vivre-ensemble.

Le secret du Maroc est que, tout en avançant vers la modernité, il conserve avec fierté les valeurs traditionnelles ; la famille, la générosité, le partage, qui sont exprimées par la Tamaghrabit ; laquelle n’est pas seulement un mot. La Tamaghrabit est l’expression d’un concept qui décrit l’essence spirituelle et matérielle de la civilisation marocaine. Les nœuds culturels formant la Tamaghrabit ont été posés bien avant l’ère de la modernité et ils gardent aujourd’hui plus que jamais leur importance dans notre société et dans le monde entier.

Anna Mahjar-Barducci est une chercheuse et écrivaine maroco-italienne.

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