Tama Bindia : « Kédougou peut faire mieux que le Maroc dans le tourisme si l’Etat y met les moyens »


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Afrik.com poursuit sa série d’articles dans le cadre de son dossier spécial sur la région de Kédougou avec cette interview. Située dans le Sénégal oriental, à la frontière avec le Mali, à 700 kilomètre de Dakar, Kédougou fait penser à ces îlots abandonnés. Délaissée par l’Etat, elle demeure la région la plus pauvre du pays, alors qu’elles dispose d’énormes richesses naturelles non exploitées. Tama Bindia, ex-adjoint adjoint au maire, maintenant conseiller municipal de la mairie de Kédougou revient sur la genèse de cette région à part.

Dans ce petit centre d’hébergement pour touristes du centre-ville, l’ancien adjoint au maire, vêtu fièrement d’un joli bazin gris, ne passe pas inaperçu. Très apprécié par les jeunes, le père de famille, issu de la communauté des Bassary, est salué de toutes part. Le soixantenaire aux gestes posés, à la voix rocailleuse, faisant penser à ces chefs de communauté pleine de sagesse et de bienveillance, est toujours droit dans ses bottes. Sa grande forme et ses larges mains sont sans doute dues à sa grande expérience dans la forêt où les membres de sa communauté s’y ressourcent. Même les intellectuels comme lui, qui ont fait de longues études, et également biberonné dans la modernité, ne dérogent pas à la règle de l’initiation. Comme pour tout Bassary, il a aussi été initié et passé les différentes étapes pour devenir un homme et gagner le respect de sa communauté. Aujourd’hui, il fait parti des défenseurs du patrimoine culturel et de la richesse de la région de Kédougou, fief des Bassary, mais aussi des Peuls, ou encore des Malinkés. Il n’a jamais cessé de croire au potentiel de sa région, qui a tout pour se relever, selon lui.

Afrik.com : ?Comment la région de Kédougou a immergé??

Tama Bindia :
?C’est seulement ?en 2008 q?ue Kédougou est devenue officiellement une région. Auparavant, c’était un département rattaché à la région de Tambacounda. ?J’ai apprécié qu’elle soit enfin érigée au statut de région. Je pense que ça a été une très bonne chose pour Kédougou et sa population. Elle a énormément de potentiel. ?Kédou?g?ou ?est la seule région qui abrite des minorités qu’on ne trouve nul par ailleurs dans le monde comme l?es Dékig, et les Bassary, dont une partie est en Guinée. ?

?Afrik.com : Beaucoup d’habitants de kédougou se sentent plus proches du Mali et de la guinée que du Sénégal. Pourquoi??

Tama Bindia :
?Si? vous allez au Mali ou en Guinée, étant originaire de Kédougou?, vous ne serez pas dépaysé car se sont les mêmes cultures. Les Malinke ?on les retrouve ?aussi bien ?au Mali qu’en Guinée. De même pour les peuls aussi. D?’?a?i?lleurs quand on allait étudier?,? nos anciens disaient : « Celui-là va au ?S?éné???gal », car nous étions exclus du reste du pays. ?On a ?longtemps ?souffert de ?notre él?oignement du reste du Sénégal?. ?La région ?était d’ailleurs consi?déré?e comme ?un ?lieu ?de ?punition pour certains politiciens ?que le pouvoir voulaient par exemple éloigner. Tous ceux qui dérangeaient étaient affectés à Kédougou pour les faire taire. ??Personne ne voulait venir à Kédoudou. Des fonctionnaires pleuraient quand on les affectaient ici. On n’était tellement coupé du reste du pays, qu’on ne parvenait pas à suivre les informations sur le Sénégal à notre époque. On n’entendait parler des footballeurs de l’équipe nationale mais on ne connaissait pas leurs visages, on n’était complètement enclavé. Je me souviens que ?ma mam?a?n avait ?une? radio,? mais qui lui permettait seulement d’avoir des informations en provenance du Mali et de la Guinée?, pas du Sénégal. ??Nous avons accumulé b?eaucoup de retard?. A notre époque, il n’y avait ?pas de collège?, et très peu d’écoles. Après l’entrée en sixième, il ?fallait aller jusqu’à ?S?aint?-?louis?. Le seul? collège où l’on pouvait se rendre ?était celui de Tambacounda. ?

Afrik.com : ?C?omment expliquez?-vous que la? région ?ait été ?si méprisée par les politiques alors qu?’elle contient de nombreuses richesses naturelles ??

Tama Bindia :
?Je pense que les premiers gouvernements, n’ayant pas bénéficié d’héritage en infrastructures ?de l’administration coloniale à Kédougou, se sont limités a ce qui éta?i?t sur place?. ?Pour eux, c’était difficile ?de ?créer? de? grandes administrations ?dans une zone aussi ?reculée? que? Kédougou?. Toutes les administration?s? éta?ien?t centrées ?à ?Kaol?ack, Thies? ?et? Saint-Louis. Même Tambacounda ?était dans la même logique que Kédougou?, il n’y a avait pas grand chose en matière d’infrastructures. Le? goudron ?a été mis en place ?dans les années 76 ent?r?e Tambacounda et Dakar?.? ?Pour nous déplacer jusqu’à Tambacounda, on prenait le train ?car la ?route était très difficile. D’ailleurs? heureusement que les? gens croyaient en la terre avant, car ce n’était pas le riz ou l’oignon importé? qui allait nourrir Kédougou?. Il était difficile de transporter les aliments jusqu’à la région. En ce moment, les gens savaient qu’il y avait des richesses mais elles n’étaient pas exploitées, on n’était même pas ?à la ?phase de recherche.

Afrik.com : ?A ?partir de quel moment les autorités se sont donc intéressées à Kédougou

Tama Bindia :
On s’est intéressé à Kédougou quand on a compris qu’il y avait de sérieuses ressources dans la région. Les sociétés étrangères ont peu à peu commencé à explorer les richesses présentes dans la région. Il a aussi fallu que des élus locaux de la région comme Ahmet Dansokho se battent pour qu’on connaissent mieux la région et tenter de la faire désenclaver. C’est d’ailleurs leur combat qui a permis à Kédougou d’être reconnue comme une région en 2008. Auparavant, peu de gens au Sénégal connaissaient la région. Parfois quand on allait à Saint-Louis ou Dakar, on nous confondait avec des habitants de la Casamance. Les gens ne savaient pas où situer Kédougou dans le pays. Je pense qu’il faut que les gens de Kédougou acceptent de revenir. S’ils ne le font pas qui va développer cette région? Quand on est né à Dakar ou Thies, il est difficile de venir vivre à Kédougou. D’autant qu’on a pas préparé les Sénégalais à affronter la difficulté. Aujourd’hui, vous prenez un Dakarois, vous l’emmenez à Kédougou, c’est un réel problème pour lui. Il faut voir comment certains enseignants ont eu peur de venir à Kédougou quand on distribuait les postes pour les affecter ici. Les jeunes sénégalais ne sont pas prêts à aller vivre en brousse. Seuls les non formels acceptent de sortir de Dakar et souffrir. C’est le cas des Baolbaol, dont la culture mouride a appris à être endurant ou encore les Casamançais, eux peuvent vivre n’importe où. La preuve, les fonctionnaires les plus nombreux en brousse sont des Casamançais.

Afrik.com : ?Il y a quelques touristes à Kédougou, qu’est ce qui les intéressent tant dans la région selon vous??

Tama Bindia :
Les touristes aiment Kédougou pour ses ressources naturelles, la beauté de ses paysages, ses minorités ethniques, la chasse des animaux comme le phacochère. C’est d’ailleurs surtout pour la chasse qu’ils viennent ici. Il y a des choses à proposer aux touristes mais les conditions touristiques ne sont malheureusement pas réunies. Les pistes restent encore difficiles d’accès ainsi que les villages touristiques. C’est une option politique, si l’Etat mettait les moyens qu’il faut, Kédougou deviendrait une région touristique et pourrait proposer mieux que le Maroc car elle a toutes les ressources pour atteindre cet objectif. Les gens préfèrent aller au Maroc car toutes les conditions de voyage et d’hébergement sont là, ce qui n’est pas le cas au Sénégal. S’il y avait un aéroport ici, les touristes seraient plus nombreux. Ici, on a juste des campements (centre d’hébergements) qui fonctionnent avec les moyens du bord. Il n’y a pas de personnel qualifié. Il faudrait que tout cela soit mieux organisé pour que Kédougou devienne une véritable région touristique.

Afrik.com : Quelles sont les plus grandes difficultés de la région ?

Tama Bindia :
Nous avons tout pour développer l’agriculture, nous avons de la pluie, des terres fertiles, beaucoup d’eau, nous avons aussi des paysans prêts à travailler et qualifiés. Mais ce qui manque, c’est le matériel agricole. On entend parler d’agriculture à travers le Plan Sénégal émergent (PSE), que je salue d’ailleurs, mais on ne voit pas de machines arriver. Pour faire des semences, il faut que les gens aient les moyens et les machines adaptés pour travailler. C’est cela qui nous manque. Les gens pourront s’en sortir une fois qu’ils comprendront que l’agriculture peut rapporter car l’exploitation de l’or c’est passager et ce n’est pas tout le monde qui y gagne. Sur 100 personne, seules 2% en bénéficie et c’est en plus très risqué.

Afrik.com : Malgré les difficultés de la région vous semblez toutefois garder espoir. Qu’est ce qui vous rend si optimiste pour un véritable changement à Kégoudou?

Tama Bindia :
Oui j’ai bon espoir. Les gens vont revenir peu à peu, notamment ceux qui sont a Dakar. A Dakar, on mange mal et la vie y est difficile aussi, il y a beaucoup de dépense et charges. Quand on n’a rien à Dakar, on perd sa dignité. On n’est obligé parfois de manger chez un frère, qui lui même est en difficulté pour se nourrir. Tous ces gens dignes de Kédougou vont revenir tenter leur chance ici, notamment dans l’agriculture. Le gouvernement doit avoir une attitude particulière par rapport à la région qui peut apporter quelque chose à l’agriculture sénégalaise. Je crois qu’il y a beaucoup de choses intéressantes à faire ici, il y a le tourisme, l’or, l’agriculture. Kédougou fait partie des région ou tous les jours on construit, grâce à l’expoitation de l’or notamment. Ce n’est pas le cas des autres régions du pays. Ca prouve que les choses avancent à Kédougou.

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