Sylvestre Amoussou repasse derrière la caméra


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Sylvestre Amoussou
Sylvestre Amoussou

Que les États-Unis d’Afrique se tiennent prêts ! Sylvestre Amoussou, réalisateur plébiscité pour son premier film sur l’immigration inversée Africa Paradis, tournera fin septembre 2009 son prochain long-métrage de fiction. Basé sur une histoire de détournement des aides humanitaires et de démocratie, Un pas en avant, les dessous de la corruption permettra d’accueillir à Cotonou des stars panafricaines telles que Firmine Richard, Sidiki Bakaba, Thierry Desroses, Nadège Beausson Diagne, Fatou N’Diaye et Mariam Kaba.

Premier film béninois à être soutenu par son gouvernement, Un pas en avant, les dessous de la corruption, majoritairement financé par des fonds privés, a bénéficié d’un pré-achat de la part de la chaîne Canal + Horizons. Avec un budget de 2 millions d’euros, le film dont la sortie est prévue pour le premier trimestre 2010 sera post-produit par le Centre Cinématographique Marocain (CCM), également co-producteur. Interview d’un visionnaire panafricain.

Afrik.com : Parlez-nous d’Un pas en avant, les dessous de la corruption.

Sylvestre Amoussou : C’est un film sur le détournement des aides humanitaires et la démocratie participative. Un pas en avant traite d’un sujet universel, celui de la corruption et de l’aide humanitaire mondiale. Les pays industrialisés font d’un moindre mal le détournement de ressources et la vente d’armes. Pourtant, cela a une incidence directe sur la population. En Afrique, il y a des ONG qui sont les missionnaires des temps modernes. Beaucoup de gens se disent « on va aider les autres ». J’avais envie d’aborder ce sujet, de sensibiliser les gens au système démocratique. Il faut faire attention à la bonne gouvernance et aux changements de constitutions.

Afrik.com : Quels seront les principaux acteurs de votre film ?

Sylvestre Amoussou : La majorité des acteurs d’Un pas en avant sont ceux qui avaient joué dans Africa Paradis : Thierry Desroses, Mariam Kaba, Sandrine Bulteau et moi-même. Nous aurons la chance d’accueillir Firmine Richard sur notre plateau actrice guadeloupéenne remarquée notamment dans 8 femmes de François Ozon et La première étoile de Lucien Jean-Baptiste. Eriq Ebouaney et Emile Abossolo M’bo devaient initialement participer au projet mais nos emplois du temps n’ont pas pu coïncider. Avec mon fidèle co-scénariste Pierre Sauvil, nous avons écrit des rôles sur mesure pour tous ces comédiens. En Afrique, je pense qu’il y a un vrai problème avec les cinéastes. Le monde entier fabrique des stars. Il n’y a qu’en Afrique que les réalisateurs gardent le vedettariat pour eux. On veut parler des réalisateurs avant de parler des acteurs. De mon point de vue, je pense qu’il faut fabriquer des acteurs « bankable » [ndlr: sur qui l’on peut miser financièrement] pour avoir du succès.

Afrik.com : Comment se déroulera le tournage ?

Sylvestre Amoussou : Le tournage aura lieu dans mon pays, le Bénin, à Cotonou. Il va durer de six à sept semaines, dans des décors intérieurs et des décors naturels. Une partie de l’équipe est française et va former des techniciens béninois pour qu’ils soient plus tard autonomes. Les principaux acteurs viennent de France mais les figurants et les rôles secondaires sont béninois. Au départ de Paris, nous serons une trentaine de comédiens et de techniciens. Une fois sur place, nous rassemblerons 300 à 400 figurants, une vingtaine d’acteurs et une dizaine de techniciens.

Afrik.com : Qui produit votre film ?

Sylvestre Amoussou : Le film est produit par Tchoko Tchoko 7ème art et Koffi Productions, qui étaient déjà producteurs d’Africa Paradis. Nous sommes soutenus par le gouvernement béninois et la mairie de Cotonou. C’est la première fois dans l’histoire du cinéma que l’Etat béninois apporte ce soutien financier et logistique. Surtout, le gouvernement qui a accepté de m’aider m’a donné ce qu’il avait promis. Le film est aussi co-produit par le Centre Cinématographique Marocain (CCM) grâce à son directeur, Nour-Eddine Sail. J’ai pu rencontrer des opposants politiques au Bénin et certains hommes politiques m’ont aidé. Pour moi, panafricain, il est important que cela se passe ainsi. Pourquoi sur un aussi grand continent que l’Afrique n’y a-t-il pas un budget pour deux à trois films par an ? Il n’y a pas que le circuit des festivals, il y a aussi les salles de cinéma du continent. Mon film Africa Paradis a permis de ré-ouvrir les salles de cinéma du Bénin. C’était un grand bonheur.

Afrik.com : Justement, que pensez-vous de la fermeture massive des salles de cinéma en Afrique ?

Sylvestre Amoussou : Aller au cinéma ne sera jamais comme regarder un DVD à la maison. Le cinéma fait vivre des petits commerces, c’est un loisir et un vecteur d’éducation pour les gens analphabètes. Je trouve important d’éduquer les gens en faisant des films et en dialoguant avec eux. C’est un moment de plaisir partagé.

Afrik.com : Le film est-il soutenu par les circuits de financements habituels (Union Européenne, Organisation Internationale de la Francophonie, Ministère des Affaires Étrangères Français) ?

Sylvestre Amoussou : Un pas en avant n’a pas reçu d’aides de la France et de l’Europe. Ceux-ci, qui n’avaient pas soutenu Africa Paradis, n’ont pas non plus soutenu mon second long-métrage. Seul l’OIF qui avait aidé Africa Paradis me donne à nouveau sa confiance pour Un pas en avant. Certains Européens nous maintiennent dans une image néocolonialiste. Plus on maintient ce système de financement, plus on maintient le monde dans une image dépréciée de l’Afrique. Il est temps que l’Afrique se réapproprie son image. Les gens parlent de nous mais on ne sait pas qui l’on est. Ceux qui financent les films africains font la pluie et le beau temps. Mon objectif est de changer l’image de l’Afrique et des Africains, même s’il faut passer par l’auto-critique. C’est important. Depuis les années 1960, comment se fait-il que le continent africain en est toujours à ce stade de développement ? Je pense qu’il y a une grande responsabilité de la France par rapport à ses ex-colonies et qu’il faut balayer devant sa porte, tant pour les dirigeants africains que pour les dirigeants européens. Comment les Africains ne comprennent-ils pas que les matières premières peuvent subvenir à nos besoins ? L’Afrique est multiple et indivisible. Certains pays ont moins de richesses que d’autres. À force de nous traiter comme des enfants, on légitimise la diabolisation du continent et son pillage. Pourquoi les cultures africaines ne seraient-elles pas une exception culturelle dans tous les arts ? Nous pourrions par exemple prélever 1% des revenus des multinationales qui nous polluent et nous pillent. Il faut que ces sommes aillent aux populations. Je suis choqué quand les dirigeants africains se font soigner en Europe. On peut le faire dans nos pays ! À quoi ça rime ? À l’évacuation sanitaire des riches ? La France a toujours un regard tourné vers l’Afrique. La nouvelle génération doit se rebiffer. Aujourd’hui les matières premières voyagent, pas les hommes.

Afrik.com : Pensez-vous que les populations occidentales ont conscience de cela ?

Sylvetsre Amoussou : Les populations occidentales sont tout aussi ignorantes que les populations africaines. C’est un petit nombre de personnes qui tire les ficelles. Elles font des victimes car le manque d’union favorise la vulnérabilité. Aujourd’hui, pouvez-vous me citer une grande figure africaine qui tient tête à l’Europe ? Non. Kwame N’Krumah, Patrice Lumumba, Thomas Sankara… Tous ceux qui ont voulu ouvrir les yeux des Africains ont été assassinés. Mais bon, on ne peut pas assassiner tout le monde ! On parle des Africains comme si l’on parlait d’animaux. Moi je ne suis pas d’accord. À mes enfants qui grandissent en France avec une maman Blanche et un papa Noir, je leur apprends que les enfants Noirs valent autant que les enfants Blancs.

Afrik.com : Selon vous, pourquoi Un pas en avant n’a-t-il pas obtenu de financements français ?

Sylvestre Amoussou : Parce qu’ils ne veulent pas voir ce genre de films. Le cinéma français vit grâce au pourcentage prélevé sur le cinéma américain pour financer l’exception culturelle. D’autre part, l’Afrique n’est pas non plus à la mode. Comment se fait-il qu’à Cannes, il n’y ait pas de films africains ? Il y a en Afrique un cinéma moderne. Quand Sarkozy dit que l’Afrique n’est pas entrée dans la modernité, moi je dis que si ! Les dirigeants occidentaux ne veulent pas donner l’occasion au citoyen lambda de voir des images positives de l’Afrique. Il faut arrêter les jérémiades et arrêter de se tirer dans les pattes.

Afrik.com : Pensez-vous que le financement des films africains soit le seul frein à leur essor ?

Sylvestre Amoussou : Un autre problème me tient à cœur : celui du cinéma numérique. Actuellement les financeurs occidentaux passent leur temps à clamer que l’avenir du cinéma africain est dans le cinéma numérique. En fait, ils veulent que nous fassions seuls nos films auto-produits pour, si les images leur plaisent, financer le kinescopage [ndlr : procédé onéreux qui permet de transférer un film numérique sur une pellicule 35 mm]. On veut nous faire passer au numérique alors que les salles ne sont pas équipées et que les grands festivals tels que Cannes, Venise ou Berlin ne projettent que des films en 35 mm. Le cinéma mondial est en 35mm mais nous, en Afrique, on devrait être en numérique. C’est encore une raison pour nous ghettoïser. Mais la nouvelle génération est lucide car elle sait qu’avec ce format, elle ne peut pas concourir dans les mêmes conditions qu’un autre réalisateur. Beaucoup de gens pensent mieux connaître le cinéma africain que les Africains.

Afrik.com : Lors des dernières rencontres d’Afriqua Paris, vous dénonciez le fait que la France a un problème avec les Noirs. Pensez-vous que ce problème relève de la peur ?

Sylvestre Amoussou : La France a peur des jeunes cinéastes qui veulent montrer des images différentes de l’Afrique. Comment nos enfants nés ici peuvent se projeter dans l’avenir ? Comment peuvent-ils avoir une image positive du continent ? On dit que les États africains ne sont pas unis mais l’Europe aussi est désunie, sauf pour prendre les richesses africaines. Maintenant, quand un Africain fait un film, il faudrait que tous les Noirs, les métisses et les Européens progressistes aillent le soutenir. Il faut donc l’indépendance financière du cinéma africain, sinon celui-ci sera voué à l’échec.

Afrik.com : Selon vous, quelles sont les différences entre Africa Paradis et Un pas en avant ?

Sylvestre Amoussou : Si Africa Paradis ne m’a pas ouvert de portes, au moins il ne m’en a pas fermé. C’était mon premier long-métrage. J’ai pu montrer mon travail à travers le monde. Au Bénin cela m’a permis de rencontrer les autorités et Nour-Eddine Sail du CCM qui m’ont aidé pour Un pas en avant. Surtout, cela m’a fait rencontrer le public, aller dans des petites salles de cinéma, tisser des liens avec des exploitants prêts à retravailler avec nous. Grâce à Africa Paradis, j’ai organisé la première en Côte d’Ivoire puis sorti le film en même temps au FESPACO et en France [ndlr: à l’Espace Saint Michel, Paris 5e]. Le film a ensuite eu une carrière au Bénin, en Afrique du Sud, au Sénégal. Il a été acheté par quelques chaînes de télévision comme la SABC et Canal Horizons mais globalement, aucune télévision française ne le veut. Tout ça ne nous empêche pas d’aller au bout de nos rêves puisqu’on a l’espoir!

Afrik.com : Justement, comment sera distribué votre prochain long-métrage ?

Sylvestre Amoussou : Un pas en avant sera distribué par mon producteur Tchoko Tchoko 7ème art. Tout comme pour Africa Paradis, l’intérêt sera de créer un buzz sur Internet et de faire marcher le bouche à oreille. Nous avons besoin de médias comme vous pour en parler le plus possible, montrer des images, même si nous n’accédons qu’à quatre, cinq ou six salles de cinéma. L’objectif est aussi d’aller dans les grands festivals de cinéma mais surtout de rencontrer le grand public. Nous avons donc une responsabilité et une exigence à la fois technique et artistique. Le scénario et les acteurs sont de qualité et le film sera tourné en 35 mm. Je vais même recevoir la visite d’une délégation du FESPACO durant le tournage. J’espère que la première mondiale aura lieu au Bénin et partout dans le monde, tout comme j’espère que le film pourra être vu partout en Afrique. J’ai beaucoup de compatriotes et d’amis qui ne veulent plus d’une Afrique misérabiliste. Il faut susciter des débats. Nous faisons cela pour nos enfants qui sont exclus et mis au banc des accusés. Ce qu’il faut, c’est leur donner un avenir et pousser d’autres réalisateurs africains à se battre car, quand on veut, on peut.

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