Soudan : Omar el-Béchir veut sauver sa tête


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Omar el-Béchir intensifie son offensive diplomatique pour obtenir l’invalidation du mandat d’arrêt lancé contre lui par la CPI (Cour pénale internationale), qui l’accuse de génocide, crime de guerre et crime contre l’humanité au Darfour. L’Algérie se dit prête à l’aider à saisir le Conseil de sécurité de l’ONU pour demander le gel de cette procédure, pendant qu’à Paris, des organisations de défenses des droits de l’homme s’inquiètent de la participation probable de la France à cette démarche. Par ailleurs, le Soudan s’active pour que le mandat du rapporteur spécial de l’Onu sur son sol, qui a fait état de la reprise massive des tueries et d’autres violations des droits de l’homme au Darfour, ne soit pas renouvelé.

Cela s’appelle jouer sur tous les tableaux. Mis à mal par la Cour pénale internationale, dont le procureur Moreno Campo a demandé en juillet dernier de lancer un mandat d’arrêt international contre lui, Omar el-Béchir fait feu de tout bois pour sauver sa peau. Il a déployé une double stratégie : d’un côté, poursuivre l’offensive diplomatique lancée peu après la sortie fracassante du procureur de la CPI contre lui ; de l’autre, décrédibiliser l’action de l’Onu sur le terrain, dont les rapports pointant l’aggravation de la situation au Darfour contribuent de l’enfoncer.

On savait le soutien de l’Union Africaine et de la ligue arabe acquis au chef de la junte au pouvoir à Khartoum. Lors d’un déplacement au Soudan Lundi, le président sud-africain Thabo Mbeki très acquis à une résolution africaine du problème soudanais avait cosigné un communiqué avec son homologue el-Béchir, dans lequel il mettait en garde la communauté internationale contre « des conséquences à la portée considérable », si la procédure contre le président soudanais n’était pas différée. Une allusion à peine voilée à une intensification de la campagne militaire au Darfour et son cortège de morts civils.

Le soutien appuyé de Thabo Mbeki n’avait alors suscité que de timides réactions. Seules de rares personnalités comme Mahgoub Hussein, un porte parole de l’Armée de libération du Soudan (SLA) basé à Londres avait élevé la voix contre l’attitude du président sud-africain. « La position du président sud-africain est incompatible avec la justice et le droit international. On ne peut justifier la protection d’un criminel et d’un dictateur », avait-il déclaré.

La diplomatie soudanaise, déterminée à sauver le soldat el-Béchir, vient de marquer un nouveau point. Le ministre algérien des affaires étrangères Mourad Medelci a annoncé l’intention de son pays de se joindre au Soudan pour réclamer du Conseil de sécurité de l’Onu le gel du mandat d’arrêt lancé par la CPI contre Omar el-Béchir. C’est le résultat d’un intense lobbying mené auprès d’Alger par Omar el-Béchir depuis deux mois. Cette semaine, l’homme fort de Khartoum avait dépêché à Alger son ministre de l’industrie Djallel Youssef El Dakkir à la tête d’une importante délégation. Résultat, un soutien plus actif de l’Algérie.

En pratique, la démarche ne manque pas de chances d’aboutir. Les 15 membres du Conseil de sécurité pourraient bien voter une résolution qui aura pour effet de différer de douze mois toute enquête ou poursuite initiée par la CPI. Un délai qui peut même être prolongé dans les mêmes conditions par le Conseil.

Inquiétude des ONG en Europe

Même en Europe, l’offensive diplomatique de Khartoum semble porter des fruits, bien qu’elle suscite de fortes inquiétudes. Selon le quotidien en ligne l’Express.fr, une cohorte d’associations et d’ONG de défense des droits de l’homme dont la FIDH, Amnesty International, Human Wright Watch, l’ACAT et la LDH devraient adresser ce jeudi ou demain vendredi une lettre à Nicolas Sarkozy sur le sujet du Darfour. Objectif : exprimer leur crainte quant à voir la France voler au secours du président soudanais.

Ces organismes redoutent en effet que Paris ne se soit engagée dans des négociations qui aboutiraient à un compromis avec Khartoum. Compromis au terme duquel, la France soutiendrait les efforts du Soudan pour invalider la procédure en cours à la CPI contre Omar el-Béchir. En échange de quoi, le Soudan ferait deux légères concessions : premièrement, accepter de traduire devant des tribunaux locaux (et non devant la justice internationale comme jusque-là exigé) Ahmed Haroun et Ali Kushaïb, deux acteurs majeurs de la campagne meurtrière menée depuis 2003 dans la région du Darfour. Et en deuxième lieu, consolider le système judiciaire soudanais, par le biais notamment de la mise en place de juridictions spécialisées.

Une attitude qui, si elle aboutissait, engendrerait selon ces organisations, « le plus grand recul enregistré dans l’histoire récente de la justice pénale internationale », et constituerait un dangereux précédent. « Céder au chantage des autorités soudanaises porterait un coup majeur à la crédibilité et aux capacités dissuasives de la justice pénale internationale, à un stade où elle a au contraire besoin d’être soutenue et consolidée », appuie le texte cité par lexpress.fr.

On se souvient qu’en juillet dernier, Omar el-Béchir avait dépêché à Paris et Londres son ministre des affaires étrangères Deng Alor pour tenter d’obtenir des deux capitales leur soutien à une résolution diplomatique de ses ennuis avec la CPI.

Décrédibiliser la CPI

Mais Khartoum ne se contente pas d’agir sur le terrain diplomatique. La capitale soudanaise s’active aussi à décrédibiliser l’action de l’Onu sur le terrain au Darfour. Hier, Khartoum a ainsi officiellement accusé le rapporteur spécial de l’Onu sur la situation des droits de l’homme au Darfour Sima Samar, d’être un agent de l’Union européenne, qui chercherait de concert avec Bruxelles, à ternir l’image du Soudan. Son crime ? Avoir déclaré que la situation empirait au Soudan et particulièrement dans la région de Darfour, ou la guerre civile a repris de plus belle.

Le rapporteur spécial de l’Onu se fonde pourtant sur des informations recueillies sur le terrain concernant des meurtres, tortures, arrestations et détentions arbitraires. Une vérité pas bonne à révéler pour Khartoum, qui demande désormais sa tête. Mercredi, près de 40 organisations non gouvernementales soudanaises ont débarqué en force à Genève en Suisse. Objectifs, faire pression sur le Conseil des droits de l’homme pour qu’il ne renouvèle pas le mandat de son rapporteur spécial au Soudan, et discréditer au passage la CPI.

Un débarquement jamais vu avant, à en croire Sébastien Gilloz, le représentant de Human Rights Watch (HRW) qui doute du caractère « non gouvernemental » de ces associations presque toutes basées au Darfour, et qui se présentent sous le label de Groupe national pour les droits de l’homme . Difficile en tout cas de leur échapper : chaque jour, selon la Tribune de Genève, elles organisent un événement parallèle, font des conférences de presse et se livrent à un lobbying intensif, notamment à l’endroit des pays comme le Ghana, la Zambie ou l’Ouganda qui pourraient voter à contre-courant du groupe africain au Conseil.
On est bien sûr loin du théâtre du Darfour province de l’ouest du Soudan, où près de 300.000 personnes ont perdu la vie depuis 2003, pendant que 2,5 millions de civils ont été contraints de se déplacer.

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