
La région de Solenzo, au Burkina Faso, a été le théâtre d’une violence inouïe entre février et avril 2025. Une centaine de civils ont perdu la vie, des villages ont été rasés et des milliers de personnes ont fui en raison des massacres menés par l’armée burkinabè et ses alliés.
Plus de 100 civils tués, des villages rasés, des familles décimées, et des milliers de personnes en fuite : la région de Solenzo, dans l’ouest du Burkina Faso, a été le théâtre d’une campagne meurtrière d’une rare violence entre février et avril 2025. Selon un rapport accablant publié par Human Rights Watch, l’armée burkinabè et ses supplétifs civils ont mené des opérations ciblées contre des civils peuls, dans ce qui s’apparente à des massacres ethniques. En représailles, des groupes djihadistes ont également tué des dizaines de personnes. Un cycle infernal d’atrocités, révélateur d’une guerre où les civils sont devenus des cibles.
Une opération militaire tournée en carnage ethnique
C’est sous la bannière de « l’Opération Tourbillon Vert 2 » que les forces spéciales burkinabè, appuyées par les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), ont lancé leur offensive dans la région de la Boucle du Mouhoun. Officiellement, l’armée visait des bases terroristes. Pourtant, selon les témoignages recueillis par Human Rights Watch, l’opération a rapidement pris la tournure d’une campagne de terreur dirigée contre la communauté peule. Les VDP, souvent décrits comme incontrôlables, auraient ouvert le feu sur des civils désarmés, avec le soutien logistique de l’armée, y compris drones et hélicoptères.
Des scènes insoutenables ont été rapportées : des civils encerclés dans la brousse, abattus sans sommation, des enfants et des personnes âgées exécutés, et des appels à l’éradication des Peuls captés sur des vidéos filmées par les assaillants eux-mêmes.
Des représailles djihadistes qui aggravent le chaos
Comme un engrenage fatal, les massacres de civils peuls ont provoqué des représailles sanglantes. Le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), affilié à Al-Qaïda, a mené une série d’attaques dans la province du Sourou, ciblant des villages soupçonnés de soutenir l’armée. Des dizaines de civils y ont été exécutés. À Tiao, une femme témoin a compté plus de 70 corps, tous des hommes accusés de collaboration. Une spirale de vengeance dans un pays où les forces de l’ordre se retirent aussitôt après leurs interventions, laissant les populations civiles sans protection.
Depuis le coup d’État militaire de 2022, le Burkina Faso est dirigé par une junte qui peine à contrôler plus de 40 % du territoire national. L’autorité de l’État est vacillante, et les abus se multiplient dans un climat d’impunité. Le gouvernement, dans une version contestée, affirme avoir neutralisé des « terroristes » lors de l’opération près de Solenzo, tout en niant tout ciblage ethnique. Pourtant, les témoignages, images et enquêtes recueillis par HRW pointent une planification méthodique des attaques contre les civils peuls. Des alertes avaient même été émises avant l’opération, preuve que certains membres des VDP ou des communautés voisines étaient conscients du piège tendu.
Vers une justice impossible ?
Human Rights Watch exhorte les autorités burkinabè à enquêter de manière impartiale sur ces crimes, et à poursuivre tous les responsables, quels qu’ils soient. Mais dans un pays miné par les conflits, où l’armée joue un rôle politique central, la perspective d’un procès équitable semble lointaine. Les crimes documentés, exécutions sommaires, nettoyage ethnique, représailles collectives, relèvent du droit international humanitaire et peuvent être qualifiés de crimes de guerre.
Le drame de Solenzo révèle la brutalité d’un conflit devenu incontrôlable, où la ligne entre forces de l’ordre, milices et bourreaux est de plus en plus floue, et où les civils, en particulier les Peuls, paient un lourd tribut. Les appels à la justice se multiplient, mais les espoirs restent maigres. Pendant ce temps, des milliers de survivants errent entre villages fantômes et camps de réfugiés, avec, en mémoire, le souvenir brûlant d’une chasse à l’homme impunie.