Sidi Ould Tah élu président de la BAD : un nouveau cap entre Afrique et monde arabe


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Sidi Ould Tah, nouveau président de la Banque africaine de développement
Sidi Ould Tah, nouveau président de la Banque africaine de développement

Sidi Ould Tah, le technocrate mauritanien succède au Nigérian Akinwumi Adesina à la tête de la Banque africaine de développement, avec une feuille de route ambitieuse et le soutien décisif de ses réseaux africains et arabes.

En seulement trois tours de scrutin, la Banque africaine de développement (BAD) a tranché : c’est le Mauritanien Sidi Ould Tah qui dirigera pour les cinq prochaines années l’une des principales institutions panafricaines de financement. Avec 76,18 % des suffrages, il a largement distancé ses principaux concurrents : le Zambien Samuel Maimbo (20,26 %) et le Sénégalais Amadou Hott (3,55 %). Éliminés plus tôt de la course, le Tchadien Mahamat Abbas Tolli (0,88 %) et la Sud-Africaine Swazi Tshabalala (5,9 %) n’auront pas pesé lourd face à l’impressionnante coalition bâtie par le Mauritanien.

Ce score sans appel confirme une dynamique qui s’est enclenchée dès le deuxième tour, où Sidi Ould Tah avait déjà convaincu une majorité d’actionnaires africains. Un contraste frappant avec l’élection de son prédécesseur, Akinwumi Adesina, en 2015, qui avait nécessité six tours et un long processus de négociation.

Un candidat entré tard en lice, mais soutenu par des réseaux puissants

Arrivé tardivement dans la course, Ould Tah a su transformer ce handicap en avantage. Fort de son expérience à la tête de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) depuis 2015, il a bénéficié de deux leviers diplomatiques majeurs : la présidence mauritanienne de l’Union africaine en 2024, qui lui a offert une visibilité stratégique, et le soutien actif de l’Arabie saoudite et des pays de la Ligue arabe. Cette alliance géopolitique, bien ficelée, a permis de fédérer autour de sa candidature une large partie du continent, mais aussi des actionnaires non africains.

Se positionnant comme un trait d’union entre l’Afrique et le monde arabe, il a convaincu en insistant sur sa capacité à mobiliser des financements massifs et à faire levier sur les ressources disponibles dans les pays du Golfe.

Un bilan impressionnant à la tête de la BADEA

C’est surtout sur son bilan technique que Sidi Ould Tah a construit sa légitimité. À la tête de la BADEA, il a transformé une institution autrefois marginale en un acteur crédible du développement, multipliant par douze le volume annuel d’approbations et par huit les décaissements. Sous sa direction, les créances douteuses sont passées de 10 % à 0,5 %, et la note de crédit de la banque a récemment été relevée à AA+ par Standard & Poor’s, à un cheveu du AAA.

En parallèle, sa carrière ministérielle en Mauritanie — notamment au poste de ministre de l’Économie et des Finances — lui offre une vision à 360° des enjeux de développement, argument qu’il a souvent mis en avant au cours de sa campagne.

Une institution en bonne santé, mais des défis de taille

Le nouveau président prendra ses fonctions le 1er septembre 2025, succédant à Akinwumi Adesina, dont le mandat a été marqué par une transformation de la BAD, en particulier sur le plan de sa capacité financière : sous sa houlette, le capital de la banque est passé de 93 milliards à 318 milliards de dollars. En 2024, la BAD a approuvé 10,6 milliards d’euros de projets et décaissé 6,4 milliards, des niveaux records.

Malgré cette solidité financière et sa note AAA, la BAD reste sous pression pour faire davantage. Comme le note Serge Ekué, président de la BOAD, « malgré leur taille comparable, la BAD fait beaucoup moins que la Banque interaméricaine de développement. Le nouveau président devra optimiser le bilan et accroître le capital libéré ».

Cap sur une nouvelle stratégie ?

Sidi Ould Tah hérite d’une stratégie décennale 2024-2033, centrée autour des « High 5 » : nourrir, éclairer, intégrer, industrialiser et améliorer la qualité de vie des Africains. S’il a salué ces piliers, il a laissé entendre qu’il pourrait y apporter des ajustements en fonction de ses propres priorités. Parmi elles : l’électrification du continent, la valorisation des ressources naturelles et la mobilisation de financements alternatifs.

Avec sa directrice de campagne, Frannie Leautier — ex-vice-présidente de la BAD et de la Banque mondiale —, Ould Tah a proposé un programme structuré en quatre axes :

  • Réformer l’architecture financière africaine,
  • Transformer le dividende démographique en levier économique,
  • Industrialiser l’Afrique de manière durable,
  • Mobiliser les capitaux à grande échelle.

En contraste avec son prédécesseur, réputé pour son style flamboyant, Sidi Ould Tah affiche un profil réservé, technocratique, orienté résultats. Si sa prudence peut rassurer les bailleurs, elle sera aussi scrutée de près dans un contexte où l’Afrique doit accélérer sa transformation économique, renforcer son autonomie financière et s’adapter aux urgences climatiques et sociales.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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