Shahinaz Abdel Salam : « La révolution doit continuer en Égypte ! »


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À 33 ans, Shahinaz Abdel Salam peut être fière de son parcours. La blogeuse égyptienne a publié, le 6 octobre dernier, son premier livre intitulé « Égypte, les débuts de la liberté ». L’ouvrage retrace son engagement dans le combat pour la défense des droits de la femme en Égypte. Il met aussi en relief son implication dans le soulèvement qui a conduit au départ d’Hosni Moubarak, le 11 février 2011. Depuis 2005, Shahinaz Abdel Salam n’a cessé de dénoncer, à travers son blog, les dérives du pouvoir égyptien et a ainsi ouvert les yeux à ses compatriotes. Elle fait partie de cette poignée de jeunes bloggeurs qui ont provoqué la chute du régime égyptien. La jeune femme, ingénieure en informatique, vit en France depuis plusieurs années et a vécu la révolution égyptienne depuis l’Hexagone. Pour elle, le combat n’est pas fini et la mobilisation doit continuer. Elle estime que l’Égypte n’est qu’au début d’un long processus pour accéder à la liberté. Rencontre avec une femme au courage exemplaire.

Afrik.com : Peut-on savoir ce qui a motivé la publication de cet ouvrage ?

Shahinaz Abdel Salam :
J’avais commencé à écrire ce livre il y a un an. Je voulais dénoncer les dérives du régime. Puis la révolution a éclaté entretemps. J’ai dû réactualiser le livre en ajoutant un chapitre sur l’après-révolution, pour expliquer comment je voyais les choses après la chute du régime. Pour moi, c’était important d’écrire pour l’histoire. Beaucoup de gens autour de moi étaient réticents à ce que j’écrive un livre dans lequel il était question de critiquer le régime. Ils m’ont poussé à abandonner le projet en disant que c’était dangereux. Mais mon combat ne date pas d’aujourd’hui. Depuis 2005, je dénonce les dérives du régime sur mon blog. À plusieurs reprises, j’ai reçu des menaces, j’ai même été mise en détention dans des conditions effroyables. Mais il fallait agir. Sous Hosni Moubarak, des gens disparaissaient, étaient torturés, tués, le tout dans l’impunité la plus totale. Ce pays ne tournait pas rond. On ne voulait plus continuer à subir ces injustices. Le régime considérait l’Égypte comme une ferme qui devait l’enrichir, alors que le peuple vivait dans la misère. C’était un État policier, c’est la police qui gouvernait le pays. Et dans ce contexte, réveiller le peuple égyptien a été très difficile. Après des années de combat, on ne croyait plus trop à la révolution. Mais cela s’est fait petit à petit. Les gens ont commencé à se mobiliser sur la Place Tahrir. C’était une joie tellement immense pour moi ! En réalité, on attendait ce moment depuis très longtemps.

Afrik.com : Vous soulignez dans votre livre que la révolution ne s’est pas faite en quelques jours. Quels sont, selon vous, les principaux éléments qui ont poussé les Égyptiens à se soulever ?

Shahinaz Abdel Salam :
L’année 2010 a été un tournant décisif. Le régime d’Hosni Moubarak a commis successivement de multiples fautes. Dans la même année, Mohamed El Baradeï est rentré au pays. Il a été le premier à avoir mobilisé les jeunes en leur disant : « vous seuls pouvez changer les choses ». Les jeunes ont été touchés par son geste et beaucoup d’entre eux ont par la suite décidé de s’engager pour que le changement ait lieu. En juin 2010, Khaled Saïd, jeune Égyptien de 28 ans, a été torturé et battu à mort par la police, pour avoir dénoncé les dérives policières. Ce meurtre avait choqué une grande partie du peuple. Des photos de Khaled mort ont circulé sur internet. Beaucoup de jeunes se reconnaissaient en lui. En juillet 2010, pour la première fois, ils sont descendus dans la rue pour crier leur colère. Le 28 novembre 2010, le régime a truqué les élections parlementaires. La triche était présente dans tous les centres de vote. Elle était flagrante, tout le monde le savait. C’était vraiment grave. Le parti de Moubarak a remporté les élections avec 90% des voix. Une mascarade ! Là, le peuple s’est dit que trop c’est trop ! Le régime avait dépassé les limites. Lorsqu’en décembre, les Tunisiens ont commencé à se soulever, ils ont donné de l’espoir aux Égyptiens qui ont compris qu’ils pouvaient eux aussi provoquer la fin du régime.

Afrik.com : Vous racontez que vous avez été reçue avec plusieurs internautes à la Maison Blanche quelques mois avant la chute du régime. Peut-on savoir le rôle que les États-Unis ont joué dans la révolution ?

Shahinaz Abdel Salam :
Il y avait deux courants qui s’opposaient à la Maison Blanche. La National Security et l’administration d’Obama. La National Security soutenait Moubarak et voulait qu’il reste, tandis que l’administration d’Obama le poussait vers la porte de sortie, estimant que c’était la meilleure solution pour les États-Unis. Lorsqu’ils nous ont reçus, on leur a dit qu’on ne voulait pas appliquer leur agenda politique, mais que nous voulions qu’ils empêchent au régime de faire usage de la répression. Pour nous soutenir, ils nous ont juste formés en informatique pour qu’on puisse contourner les services de sécurité égyptiens qui n’hésitaient pas à verrouiller les accès à internet et à réprimer tous ceux qui incitaient à la révolte. Mais moi, étant ingénieure en informatique, je n’ai pas eu besoin de cette formation. En réalité, c’est le peuple égyptien à lui seul qui a conduit au départ d’Hosni Moubarak. Au sein même de l’armée, de jeunes officiers qui contestaient le régime comme nous, ont commencé à se rebeller. L’armée a compris qu’un tel mouvement pouvait rendre la situation incontrôlable. Elle savait qu’il était plus dangereux pour elle qu’Hosni Moubarak reste. Pour préserver ses intérêts, elle l’a contraint à quitter le pouvoir.

Afrik.com : Les violences récentes perpétrées contre des manifestants coptes qui ont fait 25 morts montrent que la répression existe toujours. Plusieurs mois après la révolution, l’Égypte semble bien loin de la liberté…

Shahinaz Abdel Salam :
Pour nous, la répression contre les manifestants a été un vrai choc. Ce n’était pas une manifestation qui opposait les musulmans aux chrétiens, même s’il y a parfois des dissensions entre les deux communautés. Les victimes étaient musulmanes et coptes. Personne n’a compris l’apparition des chars qui ont tout rasé sur leur passage et écrasé des gens. On ne comprend toujours pas pourquoi l’armée a fait ça ! Aujourd’hui on a la certitude que c’est bien elle qui a réprimé les manifestants, même si elle dit le contraire. Le Conseil militaire ne veut pas protéger la révolution. Il veut continuer à diriger le pays pour préserver ses intérêts, en changeant juste quelques têtes. L’armée égyptienne est maintenant notre ennemi. Elle n’a pas tenu ses promesses. Nos revendications n’ont pas été respectées. L’état d’urgence est toujours en vigueur depuis 1981, alors qu’on a demandé à ce qu’il soit levé. Cela prouve que ce n’est pas fini, la révolution doit continuer ! Désormais les Égyptiens n’ont plus peur.

Afrik.com :Vous luttez également depuis plusieurs années pour la défense des droits des femmes en Égypte. Pensez-vous que la révolution a ouvert une voie pour que les femmes accèdent à plus de libertés ?

Shahinaz Abdel Salam :
La condition féminine en Égypte est un problème lié à la société et non à la politique. C’est le peuple égyptien qui a un problème. L’égalité homme-femme n’existe pas. Il y a des femmes qui interprètent les textes religieux pour défendre leurs droits. Mais il va falloir beaucoup de temps pour que les mentalités évoluent. Même les activistes avec qui on a lutté ont refusé l’idée de mettre en place des quotas pour que les femmes soient mieux représentées dans la vie politique après la révolution. Sous Hosni Moubarak, il n’y avait qu’une seule femme dans le Gouvernement. Il faut que le pouvoir engage des réformes pour changer les choses. La révolution est une opportunité pour que les femmes obtiennent une reconnaissance.

Égypte, les débuts de la liberté, aux éditions Michel Lafon.

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