Sénégal : « Depuis des années, je bouche les nids de poule avec du béton »


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Babacar Diouf
Babacar Diouf

Si les routes cahoteuses du Sénégal ne semblent pas déranger les autorités, notamment celles de la ville de Thiès, tel n’est pas le cas de certains citoyens qui, souvent avec des moyens personnels, s’adonnent à la gestion et à l’entretien du bien public. C’est le cas de Babacar Diouf, vulcanisateur de son état, qui consacre une bonne partie de son temps à réparer les routes dégradées de la Capitale du Rail. AFRIK.COM l’a trouvé en pleine action.

Samedi 11 septembre 2021, il est douze heures passé de quelques minutes, un embouteillage monstre à hauteur du Rond-Point Nguinth. La police tente, tant bien qui mal de gérer la circulation, curieusement dense à cette heure de la journée. Non loin du rond-point, en face de la gendarmerie de la localité, des barrières sont dressées en plus de pneus usés de voitures, « pour empêcher aux automobilistes et même aux conducteurs de moto, surtout les Jakarta, de rouler sur le béton encore mouillé », nous souffle Babacar Diouf, tout en sueur.

Il fait en effet une chaleur torride, avec un soleil de plomb, qui est au zénith. La tension est perceptible sur les visages des automobilistes. Une fois arrivés à l’endroit des travaux, ces chauffeurs au volant de leur voiture sont plutôt soulagés de voir que leurs peines vécues sur les routes seront par la suite amoindries. Et ce sont des remerciements qui sont adressés au réparateur de la route, qui fait ce travail « bénévole, depuis des années. A défaut de voir les autorités prendre en charge ces réparations, on met la main à la pâte », indique l’homme marié et père de trois enfants.

Routes rafistolées« Chaque fois, je mets la main à la poche pour acheter du ciment, du béton et du sable », poursuit-il. En effet, devant son atelier de vulcanisation, un tas de sable et un autre de béton sont perceptibles, environ un mètre-cube chacun. « Pour cette fois, j’ai eu un appui d’un frère basé aux Etats-Unis, qui, informé de mes nombreuses initiatives de boucher les nids de poule sur ce tronçon, a décidé de prendre en charge les frais d’acquisition du ciment. C’est un geste important et je le remercie au passage », reconnaît Babacar Diouf, qui est parfois aidé par ses apprentis ou les réparateurs de motos à côté de son atelier.

« Boye Ndiaye, prends deux pneus et va les disposer à hauteur des policiers, juste avant le rond-point, sinon, les automobilistes risquent de gâter tout ce qu’on vient de faire », lance Babacar à un jeune venu lui prêter main forte. « Tout ce que je suis en train de faire, c’est juste pour écarter les dangers, réduire les accidents », lance-t-il, la mine soudainement triste. « Il y a cinq ans de cela, il y eut, ici-même, un accident mortel, lié à ces nids de poule. Deux conducteurs de moto-Jakarta ont eu un choc frontal, en voulant éviter ces trous sur la route. Le choc était trop violent », rappelle-t-il.

« Et depuis ce jour, je passe le clair de mon temps à boucher ces trous, me sentant responsable de ce qui pourrait arriver comme drame, juste devant moi, si je ne faisais rien », indique le quinquagénaire, qui confie s’être aussi « donné pour mission d’aider les élèves des écoles environnantes à traverser cette route dangereuse. Je le fais chaque matin, à la descente, vers 13 heures, dans l’après-midi et en début de soirée. Si je dois m’absenter, je délègue cette tâche à quelqu’un d’autre. Mais je m’assure que les élèves sont aidés dans la traversée de cette route accidentogène ».

Routes rafistolées« Pour ce qui est des trous à boucher, je fais avec ma méthode. Par exemple, quand il pleut, je mets juste des gravats dans les trous, pour amoindrir les chocs lors des passages des voitures. Une fois que la pluie s’arrête, c’est là que j’interviens avec un mélange de sable, de ciment et de béton. Seulement, ce que je trouve curieux est que cette route a été réfectionnée par Ageroute, deux jours avant la visite du Président Macky Sall, ici à Thiès, alors qu’il devait procéder à l’inauguration de l’ISEP (Institut supérieur de l’Enseignement professionnel) », dénonce celui qui est par ailleurs à la tête d’un mouvement politique, And Xékhal Askan Wi (aux côtés des luttes du peuple, en wolof).

Le 29 juin dernier, le chef de l’Etat sénégalais avait en effet effectué une visite à Thiès pour les besoins de cette inauguration. A cet effet, quelques petits travaux avaient été effectués, notamment des réparations de quelques segments de route. « Visiblement, cela a été très mal fait. Nous avons un problème ici au Sénégal : il nous manque un suivi. Nous vivons un éternel recommencement. En lieu et place d’établir un plan d’entretien, on préfère recommencer à refaire les routes, une fois qu’elles seront complètement abîmées », déplore Babacar Diouf.

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Journaliste pluridisciplinaire, je suis passionné de l’information en lien avec l’Afrique. D’où mon attachement à Afrik.com, premier site panafricain d’information en ligne
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