Sénégal : appel contre la condamnation d’une mineure pour abandon du domicile conjugal


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Le procureur général du Sénégal a fait appel de la condamnation d’une mineure à six mois de prison ferme et une amende de 100 000 FCFA pour abandon du domicile conjugal. La sentence, rendue le 27 juillet par le tribunal départemental de Velingara (Sud-Est), est jugée excessive par plusieurs associations de femmes. L’adolescente, qui n’a que douze ans selon son acte de naissance, pourrait recouvrer la liberté dès ce mardi.

La nouvelle se répand comme une traînée de poudre au Sénégal. Un article du journal Walf Grand Place publié, mercredi dernier, a révélé que, le 27 juillet dernier, une mineure avait écopé de six mois de prison ferme et une amende de 100 000 FCFA (environ 150 euros) pour abandon du domicile conjugal. Une décision qui ne satisfait pas le procureur général, qui a fait appel du jugement du tribunal départemental de Velingara (Sud-Est). Il n’a pas souhaité nous accorder un entretien, mais, selon nos informations, l’affaire suit son cours au parquet général de la cour d’appel de Dakar. La démarche, soutenue par plusieurs associations de femmes qui trouvent la sentence sévère, pourrait déboucher sur la libération de l’adolescente dès mardi.

Selon Moussa Sibo M’ballo, l’auteur de l’article parue dans Walf Grand Place, la condamnée est une Peul qui se nommerait Amsatou Baldé. Elle aurait rejoint son mari dans un village de Gambie avant de s’enfuir après des maltraitances. Mais, parce qu’elle aurait accusé son époux « sans en apporter la preuve », la justice aurait tranché en faveur du plaignant. A noter que, selon une source du tribunal départemental de Velingara que nous avons jointe, « elle n’avait pas d’avocat et que le droit sénégalais n’interdit pas le jugement d’une personne non défendue ». Un responsable du ministère de la Justice nous a confié que la jeune fille était sous mandat de dépôt, donc incarcérée, à la prison de Velingara.

Condamnée trop jeune, sentence trop dure

Au ministère de la Justice, une source contactée en début d’après-midi restait sur ses gardes. « Aucun de nos textes ne permet la condamnation d’un mineur car, en dessous de 13 ans, il est jugé irresponsable de ses actes. Il est donc impossible que sur la base de nos textes que l’adolescente ait été poursuivie et condamnée. »

Côté associatif, le dossier ne laisse pas indifférent. Plusieurs associations féminines et certains hauts responsables de ministères, interrogés par Afrik, se renseignent sur cette affaire. Deux paramètres les interpellent. Tout d’abord, la sévérité du verdict choque. « C’est la première fois en 23 ans que je vois une condamnation ferme, affirme Maître Nafissatou Diouf Mbodj, présidente de l’association Femmes juristes du Sénégal. Ici, certaines femmes quittent leur domicile conjugal pour retourner chez leurs parents. D’habitude, on leur donne une peine avec sursis pour les dissuader, pas une peine ferme ! Tous les jours on poursuit des hommes qui ne paient pas leur pension. C’est considéré comme un abandon de domicile, mais ils n’écopent que de sursis. »

Par ailleurs, la juvénilité de la condamnée suscite une levée de boucliers. « Si la médiation n’aboutit pas, c’est au tribunal pour enfants de traiter d’une telle affaire. C’est à lui de décider si la jeune fille retourne avec ses parents ou si elle est placée dans un centre pour enfants en difficultés, indique un membre du Comité de lutte contre les violences faites aux femmes. « Une décision de justice certifie qu’elle a douze ans. C’est le mari qui devrait être poursuivi pour pédophilie. Il n’aurait pas dû pouvoir porter plainte et encore moins obtenir une condamnation », poursuit Me Nafissatou Diouf Mbodj, qui explique s’être informée auprès du juge. Car selon l’article 300 du code pénal « quiconque, lorsqu’il s’agit de la consommation d’un mariage célébré selon la coutume, aura accompli ou tenté d’accomplir l’acte sexuel sur la personne au-dessous de 13 ans accomplis, sera puni de deux ans à cinq ans d’emprisonnement ».

Le juge aurait reçu l’extrait de naissance après le verdict

L’avocate, qui souligne que son association « fera tout pour libérer la jeune fille », estime que les parents sont eux coupables. « S’appuyant sur les principes fondamentaux consacrés par la Loi Fondamentale de notre République, notamment en ses articles 7 et 18 afférents au respect de l’intégrité physique de la personne humaine et à l’interdiction du mariage forcé (…), je compte susciter une action pénale auprès des parents de la fille concernée », précise-t-elle dans un courrier qu’elle a fait parvenir à Afrik.

Car dans le droit sénégalais, le mariage n’est pas légal avant 16 ans. Or, 16 ans, c’est l’âge que la condamnée a déclaré avoir lors de l’audience. « C’est après la décision du juge que les parents de la fille ont déposé son extrait de naissance indiquant qu’elle est née en 1984, rapporte notre source du ministère de la Justice, qui explique avoir joint le procureur plus tard dans l’après-midi. On ne peut pas faire de reproche au juge. Si l’extrait avait été déposé pendant l’audience, sa décision aurait sûrement été toute autre. » Mais pour Me Nafissatou Diouf Mbodj, même si elle a plus de 12 ans, la condamnation de l’adolescente est « disproportionnée ».

« Libérée et placée en liberté provisoire mardi »

Le responsable du ministère de la Justice explique que les autorités ont réagi rapidement. « Dès que l’information concernant l’âge légal leur est parvenue, elles étaient scandalisées et le procureur a récupéré le dossier et fait appel dans le courant de la semaine dernière. La chambre de conseil va se réunir cet après-midi (lundi) ou demain matin pour éviter d’attendre la prochaine audience. Elle va très certainement casser le jugement du tribunal départemental de Velingara et la jeune fille devrait être libérée et placée en liberté provisoire au plus tard à midi mardi. »

Le mariage précoce tend à reculer au Sénégal. Notamment suite à l’action des ministères concernés, de la société civile et des associations. Toutefois, « si de plus en plus de parents refusent de marier leurs filles jeunes, on constate que des milliers de filles fuient leur mariage forcé », avance Binta Sarr, présidente de l’Association pour la promotion de la femme sénégalaise. Dans ce cas, les familles des époux essayent plutôt de s’arranger à l’amiable. « Il existe des médiations pour que la femme regagne le foyer. Mais dans certains cas des femmes sont rejetées par leur famille et ne peuvent plus y retourner », poursuit-elle. Le Président Abdoulaye Wade dénonce lui-même la pratique. Début juillet, le chef de l’Etat, qui avait comparé la coutume à un viol, a déclaré : « C’est inacceptable de marier des filles à 13 ans et je ferai appliquer la constitution qui interdit formellement de tels mariages ».

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