Sénégal : 19 mars sous haute tension


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Les jeunes du mouvement Y en a marre, l’opposition et le groupe de presse Walfadjri ont annoncé leur intention de manifester demain. De leur côté, les partisans d’Abdoulaye Wade ne savent pas sur quel pied danser pour célébrer l’anniversaire de son arrivée au pouvoir.

« Demain le chaos ? », s’interroge aujourd’hui en une le quotidien Kotch. La journée de samedi s’annonce en effet agitée à Dakar et nourrit autant d’espoirs que de craintes. Date symbolique, le 19 mars marque au Sénégal l’anniversaire de « l’Alternance ». L’élection d’Abdoulaye Wade en 2000 face à Abdou Diouf avait mis fin à quarante ans de régime socialiste et suscité l’enthousiasme dans le pays. Onze ans plus tard, de nombreux Sénégalais jugent que les promesses de l’Alternance n’ont pas été tenues. Chômage de masse, vie chère, délestages interminables, les Sénégalais souffrent. Et, en cette année post-électorale, les mécontents ont décidé de profiter du 19 mars pour faire entendre leurs griefs.

Vu l’ampleur de la contestation, le pouvoir s’est finalement résolu à autoriser les manifestations. Le ministre de l’Intérieur, Ousmane Ngom, a mis fin au suspens jeudi. « Le 19 mars, cette liberté de manifestation s’exercera dans sa plénitude car le président de la République a décidé qu’aucune manifestation déclarée ne sera interdite », a-t-il indiqué prévenant toutefois que les forces de l’ordre ne tolèreront « aucun dérapage, aucune violence, aucune dégradation ».

30.000 plaintes recueillies par Y en a marre

Le mouvement Y en a marre a été le premier a donné de la voix. Lancé par quelques rappeurs, les membres du mouvement sillonnent Dakar et sa banlieue depuis plusieurs semaines pour faire signer une « plainte contre le gouvernement du Sénégal » aux habitants. Ils auraient déjà recueilli plus de 30.000 signatures et ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. « Même s’il y a une frange de la population qui veut s’approprier cette date, le 19 mars appartient aux Sénégalais », estime Thiat, membre du groupe de rap Keur Gui. « 50 ans après notre Indépendance, les musiciens changent mais c’est toujours la même musique. Les deniers publics sont gaspillés et les populations laissées en rade ».

Y en a marre appelle à un grand rassemblement à partir de 15h sur la place de l’Obélisque à Colobane. « Le but est de créer un nouveau type de Sénégalais, explique Fadel, l’un des initiateurs du mouvement. Les jeunes doivent être plus conscients, s’intéresser à la gestion des affaires de l’Etat, prendre leur destin en main et mettre de côté la fatalité. »

Walfadjri et l’opposition emboîtent le pas de la contestation

De son côté, Sidy Lamine Niass, le PDG du groupe de presse Walfadjri, entend également protester demain contre une décision de l’Agence nationale de régulation des postes et télécommunications (Artp) qui lui réclame 241 millions de francs CFA (environ 368.000€). Un sit-in est prévu de 10h à 13h sur la place de l’Indépendance, qu’il a rebaptisée pour l’occasion « place Tahrir », du nom de la place cairote d’où est partie la Révolution égyptienne. Sa chaîne de télévision et sa radio diffusent d’ailleurs des spots depuis plusieurs jours pour mobiliser les auditeurs. Le mot d’ordre : « Justice pour tous et équité ! ». Une trentaine de cars devraient venir de Kaolack, ville natale du patron de Walfadjri, pour le soutenir.

À côté de ces mouvements, les partis d’opposition regroupés au sein de la coalition Bennoo Siggil Senegaal n’entendent pas être en reste. Plusieurs manifestations sont ainsi annoncées dans le pays. Dans une déclaration faite mercredi, le parti socialiste « invite le peuple sénégalais à faire du 19 mars 2011 le début du compte à rebours pour le départ d’Abdoulaye Wade ».

Cafouillage au sommet de l’Etat

Au sommet de l’Etat, c’est pour l’instant la cacophonie qui règne. Face à cette vague de protestation, les libéraux jouent profil bas. Mardi, la Présidence s’est fendue d’un communiqué pour annoncer l’annulation des festivités prévues par le Parti démocratique sénégalais (PDS) et le gouvernement pour le 19 mars. Elle invoque « l’austérité » pour justifier cette interdiction. Etonnant lorsque l’on sait que les libéraux organisent quasi quotidiennement des meetings dans le pays depuis l’accession du « Vieux » au fauteuil présidentiel… Malgré cette interdiction, le comité directeur du parti et l’ Alliance « Sopi pour toujours », coalition qui regroupe les partis de la mouvance présidentielle, ont annoncé qu’ils allaient bel et bien célébrer le 19 mars.

Le Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye, également directeur de campagne du candidat Wade pour la présidentielle de l’an prochain, invite les militants à bander les muscles. « Le 19 mars est pour nous une date symbolique, c’est pourquoi, nous devons tous nous mobiliser à Dakar devant la poste de Médina pour entreprendre une marche qui devra nous conduire devant les grilles du Palais où nous serons reçus par le président de la République, a-t-il lancé, mercredi soir à la permanence du parti. Il faut bien que les forces qui appellent à la désobéissance civile sachent que nous qui étions là pour porter Me Wade au pouvoir sommes encore présents et, nous serons là le 19 mars pour démontrer que nous sommes tous derrière lui et que nous gagnerons avec lui ! »

À la veille de ces différents rassemblements, une frange de la population semble inquiète par d’éventuels débordements. Sur les devantures de plusieurs commerces, on peut par exemple lire des affiches qui annoncent une fermeture exceptionnelle ce samedi. La France va même jusqu’à demander à ses ressortissants de ne pas sortir pendant la journée.

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