Savate éculée et petite corruption


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En République démocratique du Congo, tout comme au Burundi, les salaires ne permettent pas aux fonctionnaires de joindre les deux bouts, les contraignant à monnayer leurs services. Exaspérés, ils en viennent aux grèves au Burundi tandis qu’en RDC, ils misent sur un recensement précis pour que leur situation s’améliore. C’est la grande déchéance des fonctionnaires congolais et burundais.

Par Didier Kebongo et Jacques Bukuru (Journalistes, The Post, Kinshasa)

Les enseignants burundais ont déclenché une grève depuis le 27 juin 2005, à l’appel de leur syndicat (STEB). Ils menacent de ne pas faire passer d’examens aussi longtemps que les salaires négociés avec le gouvernement ne leur seront pas payés. Outre des avancements en grade, primes et indemnités diverses, ils devaient percevoir une augmentation des salaires de l’ordre de 30 à 40 %, selon les grades. Les enseignants burundais avaient déjà observé un arrêt de travail de deux mois en février et mars 2004 pour réclamer l’application de ces accords, négociés depuis 2000, que le gouvernement tarde à mettre en oeuvre. Entre mars et avril 2005, c’est la fonction publique qui a arrêté de travailler à son tour, suivie par la magistrature et une partie du personnel soignant (infirmières). Tous réclament une augmentation substantielle de leurs salaires, régulièrement payés mais insignifiants par rapport au coût actuel de la vie.

En République démocratique du Congo voisine, pas de grèves pour l’instant, en dépit d’une situation encore plus difficile… mais un espoir. En effet, une vaste opération de recensement des fonctionnaires a été lancée à Kinshasa et va s’étendre à l’ensemble du pays. Objectif visé : maîtriser les effectifs de la fonction publique afin de mieux payer ses agents. Ce contrôle a déjà commencé à donner ses premiers résultats. Sur 170 661 fonctionnaires figurant sur les listes de paie dans la capitale, près de la moitié (70 000) étaient des agents fictifs. « Ce recensement est capital pour nous, reconnaît un agent un peu plus confiant en l’avenir. Il y va de notre survie. »

Salaires de misère

Les fonctionnaires congolais espèrent que cette remise en ordre va permettre l’application du nouveau barème salarial négocié avec le gouvernement. Celui-ci prévoit 208 dollars pour l’huissier et 2008 dollars pour le Secrétaire général. Actuellement, l’huissier touche, quand il est payé, 6 000 francs congolais (15 dollars) et le Secrétaire général 30 000 Fc (75 dollars). Autant dire rien !

Chaussures éculées, haillons sur le dos et une éternelle chemise fade jaunie sous les aisselles, l’image des fonctionnaires congolais n’est donc pas reluisante. Sur le chemin du travail, ils sont traités comme des pestiférés dans les transports en commun. « Ils n’ont jamais 100 Fc pour payer la course », raconte un receveur (percepteur de ticket de bus). « C’est grâce aux relations que le fonctionnaire congolais vit, explique Pambi Yoka du Syndicat national des travailleurs du Congo (Syntraco), qui totalise 26 ans de carrière publique. Nous séchons chaque jour le travail entre 13 et 14 heures pour aller chercher de l’argent de gauche à droite. »

Au Burundi, le salaire tombe tous les mois mais ne permet pas de vivre correctement. Car le franc burundais a été dévalué de 500% par rapport au dollar durant les dix dernières années, alors que les salaires sont restés les mêmes. Ils varient de 30 000 à 100 000 Francs burundais (30 à 100 dollars) du moins gradé au plus gradé. « Sans avoir rien déboursé pour l’habillement, les soins médicaux et d’autres dépenses d’ordre social, je suis déjà insolvable… », explique Augustin Ndizeye qui touche 70 000 Fbu (moins de 70 dollars).

La corruption, en attendant

Dans un pays comme dans l’autre, les fonctionnaires monnayent désormais le moindre service qu’ils rendent au public pour nourrir leurs familles. Difficile d’obtenir une signature au bas d’un document sans un pourboire. Au Burundi, cela peut aller d’une secrétaire qui ne peut délivrer une attestation de service sans contrepartie officieuse, jusqu’à une infirmière qui retrousse ses oreilles pour ne pas entendre les gémissements d’un patient qui n’a pas le sou, en passant par un directeur d’école qui doit offrir une place de redoublement… « La corruption est devenue systémique », déclare la Secrétaire exécutive de l’Observatoire de l’action gouvernementale (OAG) au Burundi, Annonciate Ndikumasabo. Nombreux sont aussi ceux qui délaissent leur service une partie du temps pour gagner de l’argent ailleurs. Dans une conférence de presse tenue fin juin à Bujumbura, le ministre burundais des Finances, Athanase Gahungu, a clairement indiqué qu’il est hors de question d’augmenter les salaires. Même s’il y a effacement de la dette d’ici fin 2006…

A Kinshasa, où le gouvernement a annoncé le 28 juin une légère amélioration des salaires pour juillet 2005, la fonction publique, autrefois la fierté de ceux qui y travaillaient, n’attire plus grand monde, sinon des vieux. Les jeunes n’y vont que faute de mieux. « Quel avenir y a-t-il à y travailler ? », questionne Mbangi qui préfère encore « cirer les chaussures… ».

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