Rosan Monza : « Le gwoka, c’est le blues de la Guadeloupe »


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Pochette de l'album
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Rosan Monza est l’une des figures du gwoka, musique traditionnelle de la Guadeloupe. Ce n’est qu’en 2009, après des années de pratique au sein des cercles d’initiés, qu’il a publié son premier album : Kaléidoscope . Un disque qui a reçu le Prix Sacem 2010 dans sa catégorie. L’artiste voudrait que le gwoka soit entendu et apprécié de tous, au-delà de son île natale. De passage à Paris, où il se produit ce week-end, il nous a accordé un entretien.

Originaire du Baillif, une commune de la Basse-Terre, l’île volcanique de la Guadeloupe, Rosan Monza (Wozan Monza, en créole), 43 ans, a été initié à la musique gwoka dès l’enfance. Titulaire d’un doctorat en Géopolitique et diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes Internationales, il a préféré revenir travailler sur son île plutôt que de poursuivre une carrière internationale. Attaché à ses racines et à sa culture, il les défend et les enrichit en développant son art. Il se produit les 25 et 26 septembre au New Morning, dans le cadre du Festival Gwoka / Jazz de Paris.

Afrik.com : Qu’est-ce que la musique gwoka ?

Rosan Monza : C’est l’une des dernières traces, l’une des dernières racines, que nous avons conservées de notre déportation. Des enfants d’Afrique, des hommes et des femmes africains ont été déportés. Par le jeu du commerce triangulaire, ils ont été emmenés vers les Amériques et les Antilles où ils ont connu une vie de souffrance et de misère. Et la culture, c’est tout ce qui leur est resté, malgré le travail d’aliénation qu’ils ont pu subir pour être plus proches des Occidentaux. On a gardé le tambour, cet instrument qui servait jadis sur notre continent d’origine à communiquer… Sur le mot gwoka, il y a beaucoup d’interprétations. Les esclaves ont construit d’abord le tambour « bois-fouillé », creusé dans un tronc d’arbre comme en Afrique, puis l’ont remplacé par le tonneau (utilisé aujourd’hui, ndlr), le gwoka. Quand ils n’avaient pas le droit de jouer du tambour, ils en reproduisaient le son avec leurs bouches. Les gens chantaient dessus, c’était une façon de détourner l’interdiction… Le gwoka, c’est le blues de la Guadeloupe. Il est issu de la même histoire, il a subi les mêmes adaptations. Le gwoka a la même trajectoire que le blues.

Afrik.com : Quels sont les chanteurs, les musiciens gwoka qui vous ont influencé ?

Rosan Monza : J’ai eu la chance d’avoir un grand père, Guillaume Monza, qui a su m’insuffler cette manière authentique de jouer cette musique et le blues gwoka, sans passer par des enregistrements. Car à l’époque, il n’y en avait pas. Par contre, il y avait des soirées où les musiciens se retrouvaient et les gens s’amusaient jusqu’à l’aube. Mon grand-père a vraiment joué un rôle fondamental dans mon parcours. Ensuite, il y a naturellement eu les maîtres gwoka, tels que Robert Loyson dont je reprends pas mal de chansons, et Christen Aigle, que j’ai pu enregistrer en live. En faisant l’alchimie de tout ce beau monde, j’ai trouvé ma voie. Et puis il y a des nouveaux qui viennent pour transformer le gwoka. J’ai été moi-même reconnu par mes pairs pour avoir apporté des innovations dans le monde gwoka.

Afrik.com : Vous êtes originaire de la Basse-Terre. Cette partie de la Guadeloupe a-t-elle un style particulier ? Qu’est-ce qui la différencie de la Grande-Terre ?

Rosan Monza : Ce qu’il y a de spécial dans cette région, c’est qu’y étaient établis des systèmes d’habitation moins âpres, moins durs qu’en Grande-Terre où il y avait de grandes plantations de cannes-à-sucre. Il y avait plus de paternalisme, de proximité entre maîtres et esclaves en Basse-Terre. C’est plus ouvert en Basse-Terre au niveau de la musique. L’on y trouve par exemple des femmes qui chantent a-capella. En Grande-Terre, c’est plus âpre, les chants de veillées sont très développés…

Afrik.com : Pourquoi avez-vous mis tant de temps à sortir votre premier album ?

Rosan Monza : C’est une histoire d’opportunité, je n’ai jamais pensé que j’allais faire un album. Beaucoup de personnes m’ont dit que j’avais le potentiel. Si j’avais eu l’opportunité plus tôt, je l’aurais fait. J’ai rencontré des musiciens, en l’espace d’un mois on a fait l’album car j’avais les moyens d’en réaliser un. Il n’y avait personne pour m’aider à produire ce disque. Actuellement je suis en studio, le prochain album devrait sortir en décembre ou en janvier.

Afrik.com : Le gwoka se joue normalement avec des tambours. Or, vous y avez ajouté des instruments harmoniques modernes. Pourquoi ne vous contentez-vous pas de la tradition pure et dure ?

Rosan Monza : Tout simplement parce que j’ai une démarche d’ouverture, et que je veux faire progresser le gwoka.

Afrik.com : Quel avenir envisagez-vous pour la musique gwoka ?

Rosan Monza : Plus on va l’ouvrir, plus on va faire ce travail technique et d’instrumentalisation, et plus on va la rendre accessible à d’autres oreilles dans le monde, et plus elle sera écoutée. La musique de Kassav’ et le zouk love, par exemple, c’est du gwoka qui a été adapté sous d’autres formes. Ce sont des dérivés. Moi, je continue à faire le travail tout en restant proche de l’originel.

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