Rommy Roméo : « Il n’y a pas que la guerre en Afrique »


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Rommy Roméo

Rommy Roméo est une des étoiles montantes de la télévision ivoirienne. Le jeune animateur, gouverneur de la Prudencia, le concept musical et culturel à la mode à Abidjan, a des idées plein la tête. De passage à Paris, il nous fait part de ses aspirations et de sa vision de la célébrité. Zouglou, Coupé décalé, Prudencia, Atalaku, il nous livre son analyse sur la musique de Côte d’Ivoire. Interview.

Vidéos à la carte, Le Bal de V2 et Public show. Rommy Roméo est l’un des grands animateurs en vogue à Abidjan. Figure de la nouvelle génération, il présente pas moins de trois émissions sur TV2, la seconde chaîne nationale. L’ancien animateur radio, aujourd’hui Gouverneur de la Prudencia, le nouveau concept culturel et musical du moment, a décuplé sa notoriété avec son arrivée à l’écran. Un succès face auquel il garde la tête froide. Il revient sur ses ambitions et dresse un bilan du monde de la musique dans un pays en crise.

Afrik : Comment s’est déroulée ton entrée dans le milieu de la télévision ?

Rommy Roméo :
Un jour, j’ai vu sur une affiche un casting pour être animateur sur TV2. Nous étions plus de cent à postuler. Nous n’étions que trois à avoir été retenus. L’aventure a commencé en juin 2000, où j’ai commencé ma première émission, trois jours après l’appel des responsables. Je crois que c’est vraiment Dieu qui voulait que je fasse de la télévision. Depuis tout jeune, je savais que je serai sur le petit écran.

Afrik : Le regard des gens sur vous a-t-il changé avec cette transition médiatique de la radio à la télévision ?

Rommy Roméo :
Il est très dangereux de quitter la radio pour la télévision. Le regard de la foule change forcément. A la télévision, il y a la dimension de l’image. Vous devenez tout de suite beaucoup plus médiatique. On vous reconnaît dans la rue, les gens viennent vous saluer, vous demandent pourquoi vous avez fait telle ou telle chose. A la radio, c’est plus difficile. On ne sait pas qui anime. On connaît juste votre nom.

Afrik : N’est-il pas dangereux pour l’ego d’être du jour au lendemain sur le devant de la scène ?

Rommy Roméo :
Cela concerne uniquement ceux qui ne savent pas d’où ils viennent. Quand on sait d’où on vient, quelle que soit sa notoriété, on reste humble, modeste et respectueux. On garde la tête sur les épaules. C’est d’ailleurs mon cheval de bataille. Quand j’ai commencé ma carrière, je me suis dis : « Tu va faire de la radio, de la télévision. Tu seras un homme public. Mais n’oublies pas que tu viens d’une famille modeste ». Je suis issu d’une famille nombreuse, alors je sais ce que sont les relations humaines. Je voudrais ici dire merci à toutes les personnes qui me soutiennent et qui m’apprécient. Si je deviens un nom dans le milieu de l’audiovisuel, c’est grâce à eux. C’est grâce au public, c’est grâce aux téléspectateurs que nous existons. Ce sont eux qui nous font. Sans eux nous ne sommes rien.

Afrik : Existe-t-il un décalage entre Rommy Roméo à la ville et Rommy Roméo à l’écran ?

Rommy Roméo :
Le public a envie de vivre dans le rêve, chaque jour. Le problème est qu’une fois que vous avez une certaine notoriété, vous devez maintenir votre standing à l’extérieur. Alors quand vous donnez du rêve à la télévision et que le lendemain on vous voit circuler en woro woro ou monter dans un gbaka (les taxis communs), qui coûtent 100 F CFA, il y a quelque chose qui dérange les gens. Ils ont du mal à accepter le décalage. Ils risquent alors de ternir votre image. On est obligé de suivre. Même si cela ne me pose pas de problème de vivre modestement et de monter dans les transports en commun.

Afrik : Estimez-vous avoir rôle ou un devoir médiatique dans l’actuelle crise politico-militaire que traverse actuellement le pays ?

Rommy Roméo :
Cela ne m’intéresse pas de faire une émission à caractère politique ou une émission à thème pour parler des problèmes sociaux. Ce n’est pas mon devoir. Si nous décidons d’apporter de la bonne humeur à la population, je crois que nous sommes mieux que ceux qui se font la guerre. Je préfère apporter de la joie et de la chaleur aux gens plutôt que leur parler du nombre de personnes qui ont été tuées à Bouaké ou au Nord (zone sous contrôle des ex-rebelles, ndlr).

Afrik : Y a-t-il un ralentissement de l’activité culturelle à Abidjan, depuis la crise ?

Rommy Roméo :
Oui. L’artiste a besoin d’être dans des conditions optimales pour créer. Or, quand on doit rester chez soi, en sachant que dans la rue des gens se battent, qu’il y a des cargos de militaires qui circulent, que sa région est assiégée par des rebelles, on n’a pas la tête à la création. Abidjan est pratiquement, par ailleurs, la capitale de la culture en Afrique de l’Ouest. Mais aujourd’hui, beaucoup moins d’artistes font le déplacement pour se produire chez nous à cause de la guerre.

Afrik : Abidjan ne risque-t-elle pas de perdre son statut de leader culturel à cause de la guerre, au profit de Dakar, par exemple ?

Rommy Roméo :
C’est ce que nos détracteurs et ceux qui souhaitent enfoncer la Côte d’Ivoire veulent. Parce qu’ils connaissent notre notoriété. Ils savent que nous sommes les premiers, et de loin, dans toute la sous-région. Mais nous sommes optimistes. Nous savons qu’un jour Dieu nous donnera la paix. Et la Côte d’Ivoire sera encore plus forte.

Afrik : Vous êtes le gouverneur de la Prudencia, le nouveau concept musical à la mode à Abidjan. Comment se porte le mouvement ?

Rommy Roméo :
Aux premières heures de la Prudencia, concept inventé par Don Mike, j’ai tenu à mettre cette musique à l’antenne car je voyais qu’il y avait un potentiel sain derrière. Les Ivoiriens ont apprécié. Depuis, la Prudencia se porte très bien. Ce mouvement est bien né, vu l’atmosphère et le climat d’insécurité qui règnent dans le pays. Et il va prospérer parce qu’il est basé sur de bonnes idées. Le thème central reste la prudence. Qui que l’on soit, il faut être prudent dans son comportement quotidien. Plusieurs artistes ont sorti des albums «spécial Prudencia» ou y font un clin d’œil. A l’image de Don Mike, DJ Luciano (le secrétaire général et président des DJ de Côte d’Ivoire), DJ Jeff (l’un des meilleurs DJ du pays) et bien d’autres. Meiway sort son album le 15 juin, avec un titre Prudencia exceptionnel. Moi-même, je prépare mon premier album prévu pour début juillet.

Afrik : La diaspora ivoirienne est très importante et très active. Comment participe-t-elle à l’essor du phénomène ?

Rommy Roméo :
Pour que la Prudencia touche la diaspora en Amérique du Nord, en Asie ou en Europe, ce sont nos collaborateurs et les journalistes qui jouent un rôle crucial. Car si la télévision ivoirienne ne parvient pas dans toutes les régions du pays, ce n’est pas sur ces continents que les gens sauront que le mouvement existe. Il est déjà bien implanté en Grande Bretagne et commence à arriver en France.

Afrik : Entre le zouglou, la Prudencia, le Coupé décalé, et consort, comment cohabitent les différents courants musicaux en Côte d’Ivoire ?

Rommy Roméo :
La nouvelle musique de Côte d’Ivoire : c’est le zouglou. Il a engendré des tentacules. Il y a plusieurs mouvements comme le Coupé décalé, la Prudencia. Ce qui est bien en Côte d’Ivoire, c’est que les DJ mélangent toutes les ambiances. Sur un même morceau zouglou ils feront des ambiances coupé décalé, prudencia, et faro-faro (même famille que la prodada). Les mouvements vont de pair.

Afrik : On voit le phénomène des atalakus (animateur) arriver en force en Côte d’Ivoire. Les Ivoiriens ont-il copié les Congolais ?

Rommy Roméo :
Pour mieux sauter que l’autre, il faut d’abord le battre sur son terrain avant de lui montrer ce dont tu es vraiment capable. Mais de toutes les façons la musique congolaise est actuellement en perte de vitesse. On ne les écoute pratiquement plus en Afrique. A part les grands leaders, les artistes congolais ne déclenchent plus d’euphorie comme dans le début des années 90. Le terme atalaku, qui signifie crieur, griot, est bien d’origine congolaise, je ne le nie pas. Mais l’essence du mot est africaine. Nous sommes tous des griots, et donc des atalakus. Il faut que les gens sachent ce que c’est que l’atalaku : c’est faire des éloges. Dans toutes les régions, on fait des éloges, il y a des spécialistes pour ça. Chez les Mandingues, il y a les meilleurs atalakus qui puissent exister. Il n’y a qu’à voir les griots qui viennent avec leur cora lors des mariages. Ce que nous avons pris aux Congolais, c’est le timbre qu’ils ont pour faire les atalakus. Mais cela a changé. Il y a désormais des DJ dans des boites de nuits ou dans les maquis qui font des atalakus en langue nationale, en attié, en baoulé, en bété.

Afrik : Certaines personnes sur le continent rêvent de conquérir la sous-région, l’Europe et même les Etats-Unis. Quelles sont tes ambitions en tant qu’homme de médias ?

Rommy Roméo :
En tant qu’animateur, ma première ambition est de devenir producteur de mes émissions. J’ai envie de créer des concepts et de les mettre à l’antenne. D’abord en Côte d’Ivoire, puis dans toutes les télévisions de la sous-région, car je n’ai pas envie de m’éterniser sur une seule chaîne nationale. Je souhaite monter ma propre structure de production et travailler à mon compte dans le secteur privé. J’envisage également des partenariats avec des télévisions européennes intéressées par des produits africains. C’est d’ailleurs pourquoi je suis en congé en Europe. Je veux comprendre comment leurs chaînes fonctionnent, voir ce dont elles ont besoin, discuter, me faire des relations… Mon objectif est d’apporter aux Africains ce qu’il y a de mieux en Europe et vice versa. Il n’y a pas que la guerre en Afrique, il y a du potentiel.

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