
L’annulation d’une interview de l’eurodéputée franco-palestinienne Rima Hassan sur Med1 Radio révèle les contradictions de la diplomatie marocaine. Accusée d’être « au service de l’Algérie » par des influenceurs royalistes, c’est en réalité d’abord son engagement pour la Palestine qui dérange un royaume désormais allié d’Israël. Une censure qui expose le fossé grandissant entre les choix du Palais et le sentiment populaire marocain.
L’eurodéputée franco-palestinienne Rima Hassan ne parlera finalement pas sur les ondes de Med1 Radio. La station marocaine a cédé jeudi aux pressions d’influenceurs royalistes qui l’accusent d’être « au service de l’Algérie » et a déprogrammé l’interview de l’eurodéputée française. Mais derrière cet argument de façade se cache une réalité plus dérangeante : c’est son engagement inlassable pour la Palestine qui gêne véritablement le royaume chérifien, désormais allié d’Israël.
L’accusation algérienne : un prétexte commode
Les milieux royalistes marocains ont orchestré sur X (ex-Twitter) une campagne virulente contre la venue de Rima Hassan. Leur angle d’attaque ? La députée européenne serait une « agent de l’Algérie« , œuvrant contre les intérêts du Maroc. Pourtant, rien dans le parcours de cette juriste née dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie ne témoigne d’un quelconque soutien au régime d’Alger sur des sujets allant à l’encontre de la politique marocaine.
Cette accusation apparaît d’autant plus artificielle que Rima Hassan n’a jamais pris position publiquement sur le contentieux algéro-marocain ou sur la question du Sahara occidental. Son combat, documenté et constant depuis des années, porte exclusivement sur les droits des Palestiniens et la dénonciation de l’occupation israélienne.
L’annulation qui révèle les tabous du royaume: le véritable motif, un engagement palestinien qui dérange
La réalité est plus simple et plus embarrassante pour Rabat. En septembre 2024, Rima Hassan a directement interpellé le roi Mohammed VI sur Twitter, l’exhortant à rompre les accords de normalisation signés avec Israël en décembre 2020. Cette prise de position frontale touche un nerf sensible de la diplomatie marocaine.
Depuis les Accords d’Abraham, le Maroc a en effet opéré un virage stratégique majeur. En échange de la reconnaissance américaine de sa souveraineté sur le Sahara occidental, le royaume a normalisé ses relations avec l’État hébreu. Cette alliance, orchestrée par Washington, a créé une fracture profonde entre la position officielle du Palais et le sentiment populaire marocain, massivement pro-palestinien.
Une militante trop visible pour être tolérée
Le profil de Rima Hassan cristallise toutes les tensions. Élue députée européenne en juin 2024 sous la bannière de La France Insoumise, le parti de Jean-Luc Mélanchon, elle incarne une voix palestinienne forte et institutionnelle. Fondatrice de l’Observatoire des camps en 2019 et du collectif Action Palestine France en 2023, elle n’a cessé de dénoncer la situation à Gaza et de défendre le droit à la résistance palestinienne.
Des déclarations qu’elle pourrait renouvellée sur Med1 Radio ce qui, dans le contexte de rapprochement maroco-israélien, est explosif.
La censure révélatrice d’un malaise profond
L’annulation de l’interview par Med1 Radio, sous la pression de quelques influenceurs royalistes, met en lumière plusieurs fragilités du système médiatique et politique marocain :
- Une liberté d’expression à géométrie variable : Une eurodéputée démocratiquement élue se voit interdite de parole, non pour ses positions sur l’Algérie (inexistantes), mais pour son soutien à une cause que la majorité des Marocains partagent encore. Mais ce ne n’est bien sur pas la première fois que le Royaume censure des eurodéputés, seulement les fois précédentes c’était sur la question du Sahara occidental.
- Le pouvoir des réseaux royalistes : Quelques tweets suffisent à faire plier une radio d’envergure nationale, révélant l’emprise de ces cercles sur l’espace public marocain. La santé déclinante du Roi laisse prospérer de nouveaux groupes de pression qui veulent orienter le pays pour les prochaines années.
- Un décalage croissant entre élites et population : Alors que la rue marocaine continue de manifester sa solidarité avec Gaza, les cercles du pouvoir s’alignent sur une diplomatie pro-israélienne dictée par des considérations géopolitiques.
L’Algérie, bouc émissaire pratique
Invoquer l’Algérie permet aux royalistes marocains d’éviter le vrai débat. Accuser Rima Hassan de servir les intérêts d’Alger, c’est esquiver la question qui fâche : comment justifier auprès de l’opinion publique marocaine une alliance avec Israël alors que Gaza se meurt ?
Cette stratégie de diversion révèle l’embarras du pouvoir face à ses propres contradictions. Plutôt que d’assumer ouvertement le prix diplomatique de la normalisation avec Israël, on préfère agiter l’épouvantail algérien, ennemi traditionnel plus consensuel. Mais surtout Alger est depuis le début du conflit le premier soutien de la Palestine dans le monde arabe !
Un précédent inquiétant pour le débat démocratique
Au-delà du cas Hassan, cette affaire pose des questions fondamentales sur l’état du débat public au Maroc. Si une députée européenne peut être censurée pour ses positions sur la Palestine, qu’en est-il des voix marocaines qui voudraient questionner les choix diplomatiques de leur pays ?
L’incident montre que désormais la normalisation avec Israël est un sujet tabou, comme le Sahara occidental ou la succession de Mohammed VI. Impossible à débattre sereinement. Toute voix critique, même venue de l’extérieur, est immédiatement suspecte de trahison ou de manipulation étrangère.
En cédant aux pressions royalistes, Med1 Radio a peut-être évité une polémique immédiate, mais au prix d’un renoncement plus grave : celui du pluralisme et du débat contradictoire. L’affaire Rima Hassan révèle que le Maroc n’a pas encore trouvé les moyens de concilier ses nouveaux engagements diplomatiques avec les convictions profondes de sa population.