Révolutions dans le Maghreb et le Golfe : les institutions arabes et l’UA doivent être en première ligne


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La déchéance des dictatures est toujours une bonne nouvelle pour l’éclosion des libertés, comme cela a été le cas en Tunisie et en Egypte, même si pour l’instant, c’est loin d’être irréversible.

Alors que Ben Ali et Moubarak ont été déchus assez rapidement, l’armée ayant décider de ne pas tirer sur les manifestants, d’autres mouvements populaires, en Algérie, à Bahreïn, en Iran, au Yémen et en Libye, n’ont pas encore abouti à l’instauration de régimes politiques assurant le respect des droits fondamentaux nécessaires à toute vie démocratique.

Les Etats occidentaux qui se sont longtemps accommodés de ces régimes autocratiques, au nom de la contention de l’islamisme radical, de la confrontation idéologique Est-Ouest, mais également d’intérêts purement économiques, sont en réalité embarrassés par ces soulèvements populaires.

Il a fallu la folie criminelle de Mouammar Kadhafi qui a lancé l’armée libyenne contre une partie de son propre peuple, pour que le Conseil de sécurité des Nations unies, avec l’impulsion décisive des gouvernements de la France et du Royaume uni de Grande-Bretagne, adopte une résolution 1973 qui autorise les Etats membres à instaurer une zone d’exclusion aérienne pour interdire tous vols dans l’espace aérien libyen, afin d’aider à protéger les civils, et faire cesser les hostilités, au besoin par toutes mesures nécessaires.

La croisade, un symbole dangereux

Malgré la légitimité de l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité, les opérations militaires contre le pouvoir de Kadhafi, même limitées à l’emploi des moyens aériens et navals, risquent d’être à nouveau perçues par les peuples de la sphère arabo-musulmane, et même au-delà, comme une croisade des Européens contre un Etat « frère » peuplé de musulmans.

La politique est aussi une affaire de symboles et la bataille de la communication qui est tout aussi importante, paraît engagée de manière délicate, au regard de la rhétorique contre les occidentaux, les colonialistes, et autres mécréants que le pouvoir de Mouammar Kadhafi ne manque pas déjà de mobiliser.

Même si les Etats de la coalition s’évertuent à mettre en exergue la composante arabe qui la compose, et insistent sur l’objectif de la libération de l’expression démocratique du peuple libyen, chacun sait que c’est la France et le Royaume uni ont été à la pointe de l’offensive diplomatique qui a permis d’arracher l’adoption de la résolution 1973.

Alors que l’initiative d’un projet de résolution appartient aux membres permanents et non permanents du Conseil de sécurité, cette résolution a été présentée uniquement par la France, le Royaume uni, et les Etats unis d’Amérique, associés à un seul Etat arabe, le Liban, mais sans aucun Etat africain, alors que parmi les dix membres non permanents qui ont pris part au vote, figuraient notamment trois pays africains, et non des moindres : l’Afrique du Sud, le Gabon et le Nigeria…

Le sommet de la coalition après l’adoption de la résolution onusienne s’est tenu en France, certainement pour espérer tirer de bénéfices politiques intérieurs, alors qu’il aurait pu avantageusement se tenir au siège de la Ligue des Etats arabes ou à celui des Nations unies.

Par ailleurs, était-il nécessaire de mettre en avant la part prépondérante prise par les occidentaux dans le traitement de la crise, alors qu’existent des systèmes régionaux de sécurité collective ?

De la prudence de l’Union africaine et de la Ligue arabe

Le résultat est qu’on en vient presque à oublier que la Libye est située sur le continent africain et se considère comme un Etat arabe.

La Libye est membre de l’Union Africaine, qui est pourvue depuis 2002 d’un système de sécurité collective, chapeauté par un Conseil de paix et de sécurité, qui prévoit , en partenariat précisément avec le Conseil de sécurité des Nations unies, une réaction aux situations de conflit et de crise en Afrique, avec l’aide d’une force africaine prépositionnée, pour intervenir dans un Etat membre, dans des circonstances graves de crimes de guerre, de génocide, et de crimes contre l’humanité.

Il est vrai qu’au début de la crise en Libye, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine s’était limité, comme beaucoup d’autres, à une préoccupation face à la grave menace sur la paix et la sécurité.

Enfin le Conseil avait rejeté de toute intervention militaire étrangère en Libye, quelle qu’en soit la forme, et avait condamné la transformation de manifestations pacifiques en rébellion armée…

De toute évidence, cette institution n’a pas été imaginée pour promouvoir et protéger des soulèvements populaires survenant à l’intérieur des Etats membres.

Rappelons-nous que Mouammar Kadhafi qui était encore à la tête de l’Union africaine en février 2010, a été remplacé par Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, président de la Guinée Equatoriale, qui y a accédé au pouvoir par un coup d’Etat, il y a plus de 30 ans, qui réprime sévèrement toute aspiration démocratique dans ce pays.

Mais l’implication significative des Etats arabes et africains devrait être d’autant plus fondée que le pouvoir en Libye viole précisément la Charte africaine de la démocratie qui reconnaît que les peuples en Afrique ont le droit de se libérer de leur état de domination en recourant à tous moyens reconnus par la Communauté internationale.

De plus, la Libye, bien qu’actuellement suspendue d’activités, est également membre de la Ligue arabe dont les Etats membres, hormis l’Algérie et la Syrie, ont appelé le Conseil de sécurité des Nations unies à imposer une zone d’exclusion aérienne au dessus de la Libye, sans intervention militaire sur le sol libyen.

Enfin, la Libye est également membre de l’Organisation de la conférence islamique qui a également appelé à l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne, mais sans opération militaire pour défaire l’armée libyenne.

Le fait est que pas un seul Etat africain , ni aucun des Etats arabes d’importance n’ont annoncé leur participation aux opérations militaires contre la Libye.

Il apparaît que le texte même de la résolution va au-delà des positions de la Ligue arabe et de l’Union africaine, qui ont pensé, ou on fait mine de croire que l’usage de la force armée devait se limiter à l’arrêt de l’offensive des militaires de Kadhafi sur Benghazi.

C’est ainsi que la Ligue arabe critique maintenant les bombardements sur la Libye, pour des considérations d’opportunité de politique intérieure des Etats membres, qui font également face à des revendications liées à l’aspiration à la liberté et à la démocratie.

Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, après l’engagement des opérations militaires en Libye, déclare rejeter toute intervention militaire étrangère , et mandate des comités pour des consultations sur une solution pacifique à la crise, alors 3 de ses Etats membres ont voté pour l’adoption de la résolution pour l’emploi de la force armée.

Les présidents des Etats africains, et les dirigeants des Etats arabo-musulmans, qui comptent parmi les plus infectés par le virus de la dictature, et dont plusieurs se maintiennent irrégulièrement depuis plus d’une vingtaine d’années au pouvoir ,doivent être mis à contribution.

Même si l’Union africaine est encore dans une phase d’apprentissage, car composée d’Etats étranglés par des dettes importantes, d’armées peu équipées ; même si les Etats de la Ligue arabe disposent de capacités opérationnelles, logistiques très limitées, ces organismes régionaux auraient dû être utilement présentés en première ligne, soutenus par les Nations Unies , pour les amener à prendre leur part de responsabilité.

C’est très important, d’une part ,pour qu’ils aident à la solution d’une crise régionale, et d’autre part, qu’ils aient conscience que la résolution 1973 qui appelle à des réformes globales et des changements pour répondre aux aspirations à la liberté du peuple en Libye peut s’appliquer à leurs Etats respectifs, et faciliter ainsi des transitions pacifiques dans les différents pays .

D’autant que certains régimes autocratiques n’hésitent pas à solliciter à leur profit l’activation, comme à Bahreïn, du système régional de sécurité collective, en obtenant l’intervention sur son territoire de la police et de l’armée de l’Arabie saoudite pour mater les revendications populaires internes.

Pour faire litière à la rhétorique d’une nouvelle croisade de l’Occident contre un pays africain, un Etat arabe, la coalition gagnerait à plus de visibilité de ses différentes composantes arabes et africaines qui soutiennent les aspirations à la démocratie dans un pays de la région, et adhèrent à la fin de l’impunité des massacres des populations sous le huis clos des frontières nationales, par des dirigeants qui tentent de perpétuer la confiscation à leur guise du pouvoir politique dont le peuple est le seul détenteur légitime.

Par Edgard Kiganga Siroko

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