Révélations dans la filière café-cacao en Côte d’Ivoire : trois journalistes en garde à vue


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Les journalistes Saint Claver Oula, Stéphane Guédé et Théophile Kouamouo du quotidien ivoirien Le Nouveau Courrier sont en garde à vue depuis ce mardi 13 juillet. Ils sont accusés de « vol de documents administratifs » pour avoir publié les extraits d’un document remis au président ivoirien, Laurent Gbagbo, qui revient sur les malversations perpétrées dans la lucrative filière café-cacao en Côte d’Ivoire.

« Dès aujourd’hui, mardi 13 juillet, et jusqu’au samedi 17 juillet, le quotidien Le Nouveau Courrier publie une série explosive de cinq articles sur le « dossier chaud » de la filière café-cacao, remis par le procureur Raymond Tchimou au président Laurent Gbagbo le jeudi 24 juin dernier », promettait Le Nouveau Courrier, journal lancé en mai 2010, pour assurer la promotion du premier épisode de ses révélations. Cette publication a conduit les journalistes Saint Claver Oula, rédacteur en chef, Stéphane Guédé, directeur de publication et Théophile Kouamouo, directeur de rédaction, dans les geôles ivoiriennes. Les trois hommes sont en garde à vue depuis ce 13 juillet. Selon leur avocat, cité ce mardi par une source familiale proche de Théophile Kouamouo, elle pourrait durer « 72h ». Raymond Tchimou Fehou, procureur de la République du tribunal de première instance d’Abidjan, a demandé à ce dernier de révéler ses sources, ce que le journaliste a refusé de faire. Il a donc été interpellé et placé en garde à vue. Ses deux collègues l’ont rejoint plus tard dans la journée. Ils devraient être présentés devant un juge pour « vols de documents administratifs ». Les locaux du Nouveau courrier ont été perquisitionnés.

« Ils ont appelé (Théophile Kouamouo) au journal et lui ont demandé de se rendre dans les bureaux du procureur, dans le cas contraire, ils feraient une descente au journal », explique la source familiale. Les évènements se sont déroulés « mardi en fin de matinée – début d’après-midi », précise-t-elle. Si les trois hommes n’ont été, pour l’heure, « victimes d’aucune brutalité, ils dorment, assis, dans des conditions difficiles à la police criminelle, dans des cellules surpeuplées qui accueillent une trentaine de personnes ».

Modus operandi

L'objet du Le quotidien ivoirien a publié les extraits d’ « un réquisitoire judiciaire supervisé par le doyen des juges Ladji Gnakadé, qui court sur 137 pages et qui est accablant ». Ils décriraient « par le menu les faits sur lesquels les « barons » de la filière, notamment les figures de proue Henri Amouzou et Lucien Tapé Doh, sont accusés d’avoir commis des incroyables forfaitures, aux fins de soustraire des dizaines de milliards de F Cfa des caisses de la filière ». Le rapport, « classé secret d’Etat », n’était en possession que trois personnes, à savoir, « le président ivoirien Laurent Gbagbo, le juge d’instruction et le procureur lui-même », rapporte l’AFP en citant l’avocat des journalistes.

L’ONG de défense de la liberté de la presse, Reporters sans frontières, a dénoncé ce mercredi « des méthodes » qu’elle « n’(avait) pas observées en Côte d’Ivoire depuis de nombreuses années et indiqué que « l’accusation de vol ne tient pas la route ». RSF rappelle, dans son communiqué, « que la protection des sources est un principe fondamental de la pratique du journalisme, principe qui a tout son sens dans une affaire aussi sensible que celle de la filière café-cacao ».

D’autant plus que la filière avait fait l’objet d’une opération « mains propres » en 2008. Lucien Tapé Doh et Henri Kassi Amouzou, alors respectivement président du conseil d’administration de la Bourse du café-cacao (BCC) et président du Fonds de développement pour la promotion des activités des producteurs de café-cacao (FDPCC), dont il est question dans le document publié, ont été incarcérés pour, entre autres, « malversations et détournements de fonds ». L’opération avait ainsi conduit à l’arrestation d’une vingtaine de responsables de la filière au total et donné naissance par décret, le 18 juin 2008, à un comité de gestion de la filière café-cacao.
Néanmoins, les « prisonniers du cacao » attendent toujours d’être jugés. Leur cas devrait être porté devant la cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

Un filière café-cacao vénéneuse pour les journalistes

La filière café-cacao a fait également l’objet d’une mission d’audit de la Banque Mondiale début 2010. Cette dernière appelle, depuis 2008, à une réforme du secteur. « Les rapports provisoires des audits sur les anciennes structures de gestion de la filière sont à l’étude par les autorités, indique-t-on à la Banque mondiale. Certaines études et audits techniques complémentaires sur la commercialisation, le recensement des agriculteurs, et les coûts d’intervention dans le secteur sont encore en cours. La nouvelle réforme, elle-même, est toujours en cours de préparation et devrait être bouclée avant la fin de l’année ».

En attendant, s’intéresser à la filière café-cacao en Côte d’Ivoire s’avère un exercice périlleux pour les journalistes, quand bien même les informations publiées n’ont rien d’inédit. Le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, spécialisé dans les matières premières, a été enlevé le 16 avril 2004 alors qu’il enquêtait sur cette filière. Un rapport de l’Union européenne, publié fin 2005, faisait état de détournements de fonds par le régime du président Gbagbo. Le café et le cacao sont les principaux produits d’exportation de la Côte d’Ivoire.

Journaliste et blogueur émérite dans le monde francophone, Théophile Kouamouo, d’origine camerounaise et résident en Côte d’Ivoire, a reçu de nombreux messages de soutien sur sa page Facebook et de la part de la communauté internationale de blogeurs à laquelle il appartient. Tout comme RSF, elle appelle à la libération des trois journalistes.

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