Retour à Bamako


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Le Mali a prévu de rapatrier 10 000 de ses ressortissants de Côte d’Ivoire. Vendredi 22 novembre, 1060 d’entre eux, répartis dans 11 cars, sont arrivés épuisés au Stade Modibo Keita de Bamako, après 9 jours de voyage depuis la région de Daloa. Ils racontent tous la même histoire : des assassinats, des champs brûlés, des rackets par les autorités ivoiriennes.

 » On a quitté Daloa jeudi dernier pour arriver à Bamako seulement aujourd’hui, vendredi. Il n’y a pas eu de problème sur la route depuis la Côte d’Ivoire jusqu’au Mali, mais les gens sont fatigués », explique le jeune convoyeur de l’un des cars, 20 ans au compteur. Pourtant, sur le chemin, les passagers ont été rançonnés.

 » On nous a pris tout l’argent qu’on avait sur nous. A Daloa, beaucoup de Maliens ont été tués. Quand les assaillants sont venus, on a dit qu’ils étaient cachés chez nous. On a commencé à tuer les jeunes et les vieux Maliens. Beaucoup de personnes sont mortes. Quand la communauté malienne nous a demandé si on voulait revenir au Mali, on a accepté, et on ne nous a pas demandé d’argent pour prendre le car « , précise Sira Diarra, inquiète pour ses parents restés à Daloa, car, dit-elle,  » la ville n’est pas sûre ». Elle est rentrée au Mali avec ses six enfants et attend son tour dans la file des femmes pour se faire enregistrer auprès des agents de police qui ont installé plusieurs tables à l’ombre, à quelques mètres des bus.

Dur d’être Dioula

Chaka Touré était commerçant à Daloa. D’après lui, en Côte d’Ivoire, les rebelles n’ont « jamais touché quelqu’un, même pas un cheveu d’un civil. Mais lorsque les loyalistes sont rentrés, ils ont commencé à tout gâter. Il suffit que tu sois un Dioula, on te demande de l’argent et on peut te tuer. Un jour ils sont entrés au marché, ils ont cassé la porte des gens, et ont pris les marchandises. Ils ont tué l’un des mes petits frères « . Chaka souhaite que son gouvernement fasse tout pour encourager les Maliens à sortir de Côte d’Ivoire.

Lui aussi se plaint d’avoir été fouillé en quittant ce pays :  » A l’entrée d’Abidjan, les loyalistes ont fouillé les gens, ils nous ont dit de descendre des cars. Ils ont giflé certaines personnes pour leur prendre 5 000 F CFA. Ils ont soutiré jusqu’à 50 000 F CFA à d’autres « . Très ému, il ne sait pas comment exprimer son soulagement d’être arrivé sain et sauf à Bamako, même s’il est ruiné.

Tout peut arriver

Si l’on demande à Lanciné Koné, petit planteur de café et de cacao, qui revient lui aussi de Daloa, ce qui s’y passe, il répond que  » la situation y est très mauvaise. Ça faisait déjà six mois qu’on ne pouvait plus aller dans nos champs, ils ont pris toutes nos plantations. Au moment des événements, dans notre village, les Bétés, ceux du Président de Côte d’Ivoire, ont brûlé nos champs, nos maisons, et tous nos biens. Si on est étranger là-bas, on risque la mort à chaque instant. Pour sortir du pays, il a fallu trois jours, et à chaque barrage il fallait payer ».

Assa Cissé, 20 ans, était vendeuse de riz cuisiné à Daloa. Son mari, planteur de café y est resté, mais compte la rejoindre bientôt au Mali. Elle dit que pendant le couvre-feu, à partir de 18 heures,  » même si tu es rentré à l’heure chez toi, tout peut encore t’arriver, la sécurité n’est pas assurée « . Le fils d’Awa Touré, commerçante, témoigne :  » Le 13 octobre 2002, la guerre est arrivée à Daloa. Les Maliens ont été pris pour des rebelles et ils ont été tués. C’est l’armée ivoirienne qui tue, les rebelles n’ont jamais tué un civil « . Il demande de l’eau, car depuis leur halte du matin à Sikasso, ville-étape sur la route de Bamako, les réfugiés n’ont reçu ni eau ni nourriture. Ils ont fait une halte à Ouagadougou, au Burkina Faso, où le gouvernement burkinabé les a bien accueillis,  » c’était formidable « , dit la maman, entourée de ses trois garçons. Son mari est resté lui-aussi à Daloa pour s’occuper de ses champs de maïs, d’igname et de manioc, mais devrait bientôt revenir au Mali. Toute la famille était installée en Côte d’Ivoire depuis 1978.

Un seul malade

Le millier de réfugiés a été séparé en deux groupes : ceux qui ont des parents à Bamako qui pourront les loger et ceux qui doivent en principe être reconduits dans leur région d’origine dans les 24 heures. Sur l’ensemble du convoi, les infirmiers n’ont recensé qu’un malade, un enfant qui s’est fracturé la jambe en tombant du car.

L’Etat malien a prévu pour cette opération de rapatriement volontaire une enveloppe de 356 millions de F CFA. Le coût d’un rapatrié est estimé à 30 000 F CFA. Samedi 16 novembre, un premier convoi de 841 personnes réparties en 10 cars était arrivé au Mali. Un troisième convoi de 4 cars de 137 étudiants est attendu dans les prochains jours à Bamako. Une quatrième vague doit suivre dans une semaine.

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