Rencontre Bédié – Soro : lecture profane


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FOUA Ernest De Saint Sauveur

L’Editorial de FOUA Ernest De Saint Sauveur, Ancien président de l’Association des Écrivains de Côte d’Ivoire

La scène politique ivoirienne bruit, ces derniers temps, d’une grande densité d’agitations, telle que cela ne peut laisser indifférent tout politologue ou observateur attentionné de l’actualité du Quadrilatère éburnéen. Au sein des différentes chapelles, c’est sur fond d’invectives et apostrophes rudes, exemptes parfois d’aménités, que les principaux acteurs du landernau se laissent aller à configurer, sans doute à leur corps défendant, aux yeux du monde, le spectre de recompositions ou de repositionnements douloureux. À droite comme à gauche, l’on entend monter des échos et frémissements caractéristiques des fêlures majeures. Comme quand, l’heure des dissensions et de la mésintelligence venue, les couples ou les familles se fracturent et se désagrègent.

À gauche, dans le pré de l’opposition, il y a belle lurette que le désamour s’est installé, fracassant en deux entités irréconciliables, la grande famille des Refondateurs. Même la mort qui, avec une sorte d’acharnement, a fauché aveuglement, ces derniers temps, des têtes importantes, au sein du groupement politique du FPI, ne réussit pas à rapprocher les partisans d’Affi Nguessan et ceux du défunt Abou Dramane Sangaré. Les derniers cités, rangés désormais derrière l’ex Première dame, Simone Ehivet, que le pouvoir Ouattara a élargi récemment, ont gardé intacte leur animosité à l’encontre des sympathisants d’Affi. Renfermés dans cette haine fraternelle, tous ont à présent le regard tourné vers La Haye, où la perspective de la relaxe d’un célèbre prisonnier, sonne comme une exigence impérative : celle de rebattre les cartes ; c’est-à-dire, de remettre les choses en place.

À droite, à bord du navire des gouvernants, la chose est maintenant actée : en effet, le divorce est consommé, à l’intérieur de la coalition au pouvoir du RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix), entre les deux gros ténors de cette plateforme qui dirige la Côte d’Ivoire depuis avril 2011 ; à savoir, le RDR et le PDCI-RDA. À défaut de s’être accordés sur la question de l’alternance au pouvoir en faveur d’un cadre du parti doyen, à la présidentielle à venir de 2020 – selon ce que l’on a cru comprendre de leurs récriminations et explications publiques respectives –, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié se sont donc tournés le dos.

Mais, pour quel motif profond et rédhibitoire, la trahison, le regret et la colère en sont-ils venus à fracasser leur heureux attelage et la marche sûre vers l’émergence qu’ils imprimaient, solidairement accrochés à son gouvernail, au navire Ivoire, en 2018 ? Comment ces deux grands hommes d’État en sont-ils arrivés à ce divorce ? Après qu’ils ont conçu à Paris en 2005 le projet de gommer leur mésintelligence de 1993 et se sont alliés pour servir harmonieusement la Côte d’Ivoire ? Après que, dans ce noble dessein, ils sont allés soumettre leur alliance, peu avant la présidentielle de 2010, à la bénédiction d’outre-tombe de Félix Houphouët-Boigny, au pied même de son caveau, à Yamoussoukro ? Après que, acculés et reclus au Golf Hôtel, sous la menace des bombes de Gbagbo, ils ont « synergisé » leurs forces pour mettre fin aux nuisances du « père » de la Refondation ? Ce dirigeant obscurantiste éliminé, le RHDP qu’ils ont assis avec d’autres partis pacifistes ne leur était-il pas déjà un creuset et un levier fort pour bâtir la Côte d’Ivoire et l’élever au rang des nations majeures ? Ce RHDP ne se présentait-il pas d’emblée dans le format d’un parti unifié ? Quelle autre exigence ou nécessité appelait-elle la formalisation, au pas de course, de ce nouvel ensemble ? Ces interrogations méritent d’être analysées. C’est ce à quoi nous nous attèlerons, dans une prochaine tribune.

Pour l’heure, nous notons qu’entre les présidents Ouattara et Bédié, la fracture est à l’ordre du jour. Irrémédiable ? Si, sur cette posture, le premier garde un silence prudent, le second, quant à lui, est toutes voiles dehors, claironnant partout où il juge utile d’être entendu (au siège du parti, à Cocody ; dans sa ‘’principauté’’ de Daoukro, devant les chefs baoulé et affiliés akan ses parents ; sur les médias étrangers) qu’il s’est mépris à aider Ouattara à monter sur le trône d’Éburnie, et qu’il le regrette. Mais il n’a pas suffi que le prince Nambê dise aux gens de sa concession PDCI de quitter le domaine RHDP, pour que ceux-ci le suivent aveuglement. Au contraire, dès l’instant où il leur a signifié sa rupture d’avec Ouattara et a sonné le tocsin du retrait des siens du RHDP, les Pédécéistes de sa fratrie ne laissent pas passer de jour sans renâcler et crier leur envie, à eux, de demeurer à l’intérieur du fort de la grande famille des Houphouétistes.

Une première grosse vague de ces militants Pédécéistes, conduite par Kobenan Adjoumani (ministre, dans le Gouvernement Ouattara), a d’abord manifesté sa volonté ferme d’aller « Sur les traces d’Houphouët », en désobéissance au mot d’ordre du Sphinx de Daoukro ; avant que n’émerge, ces jours-ci, une seconde autre. Menée par François Amichia (autre ministre de Ouattara), cette deuxième lame de fidèles du parti à l’éléphant, brandissant l’oriflamme du « PDCI Renaissance » n’entend pas, elle non plus, rompre les amarres et quitter la barque aux félicités du RDHP.

Voilà ce qui me semble être l’état des lieux, « la carte de nos remous politiques domestiques », jusqu’au 17 décembre 2018. C’est-à-dire, jusqu’à l’instant où intervient l’événement qui constitue, en réalité, la matrice de ma tribune du jour : la rencontre, à Daoukro, entre Henri Konan Bédié et Guillaume Kigbafori Soro. Cet évènement, en lui-même, n’a rien de singulier ; ces deux personnalités politiques partageant, régulièrement, une proximité et une familiarité que ne dément pas le mot par lequel le premier a déjà désigné, publiquement, le second : « mon protégé ».

La réception de Guillaume Soro par le président Bédié, en son fief princier de Daoukro, ne manquera certainement pas d’alimenter les analyses et autres réflexions des chroniqueurs et observateurs de la vie politique nationale. Elle est intéressante, en ce qu’elle intervient à un moment clé. Celui où, le prince Nambé est éperonné sur sa droite par les coups portés par son allié d’hier, Alassane Ouattara, désireux pour sa part d’aller à marche forcée au parti dit du RHDP unifié. Celui encore où, l’homme est bousculé sur sa gauche par les ruades de ses propres « suiveurs » du PDCI-RDA (comme il les appelait à l’époque) ; lesquels, sensibles au chant des sirènes « ouattaraïstes », et comme un abcès dans son propre flanc, le harcèlent et même le somment de revenir sur sa parole du divorce.

Ainsi donc, au moment où elle tient place, cette entrevue de la capitale de l’Iffou apparaît comme une bouffée d’oxygène, pour un HKB alors méchamment malmené, comme nous le montrions tantôt. Et l’on peut croire que le maître des lieux, d’ordinaire très avare en gestes et en paroles, pour ne pas faire mentir son surnom de Sphinx (sauf en ces dernières semaines où il est rudement éprouvé), n’a pas dansé pour rien ; si ce n’était pour exprimer la joie d’un répit salutaire et réconfortant, que venait lui apporter le chef de notre Représentation Nationale. D’autre part, l’on se souvient, n’est-ce pas, que la veille de ce rendez-vous, HKB avait déclaré, urbi et orbi, avec le journaliste de France 24 pour relais, qu’il avait eu l’assentiment de Guillaume Soro de rejoindre sa plateforme anti-RHDP ; celle-là même qu’il s’activait à rassembler en y incluant le parti de Gbagbo, dans le but de reconquérir le fauteuil présidentiel en 2020. Alors, de recevoir la visite de Soro, son « protégé », dans la foulée de cette annonce, lui a fait, on peut le penser, grandement chaud au cœur.

Mais, ce jeune patron du Parlement ivoirien, qu’a-t-il à se précipiter à Daoukro, danser et festoyer, la main dans la main, avec le prince Nambê ? Si, si, la question peut être posée. En tout cas, c’est sous cet angle d’une éventuelle « impasse » (pour son avenir politique personnel, s’entend) dans laquelle il se serait ainsi engagé, que je veux analyser, ici, le déplacement de GKS, à Daoukro, ce 17 décembre 2018. Nous sommes en politique, ne l’oublions pas ; et le contexte de ce rendez-vous, marqué par de nombreuses considérations non dénuées d’importance, peut donner, à juste titre, de s’interroger sur la pertinence du pas de deux auquel Soro s’est livré, il y a peu, avec le président Bédié, à Daoukro.

Des considérations simples, évidentes ; que l’on peut énoncer simplement, avec évidence. Premièrement, on le sait : GKS est « ressortissant » de la case du RDR ; mieux, il siège au sein de cette formation politique au rang de Vice-président. C’est au nom du RDR, le parti présidentiel, qu’il dirige la deuxième plus haute institution du pays, l’Assemblée Nationale. Et jusqu’à ce jour, il n’a aucunement émis le souhait ou exprimé le désir de sortir du RDR ou de la coalition du RHDP. Par ailleurs, l’opinion admet, de par leur lointaine proximité et la lutte qu’ils ont menée ensemble pour mettre fin à la calamiteuse régence de Gbagbo, que GKS est le « fils » d’ADO. « Fils naturel » ou « fils adoptif » ? C’est un autre débat, qui pourrait être tenu, en d’autres circonstances, et donner à argumenter à ceux qui pensent que Laurent Gbagbo est bel et bien le « père » de GKS, pour l’avoir élevé et nourri idéologiquement, depuis ses années d’étudiant et de leader de la FESCI.

Deuxièmement, on le sait aussi : Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié ne parlent plus le même langage et ne regardent plus dans la même direction. Certes, par éducation ou par pur formalisme, ils se prennent encore au téléphone, mais c’est clairement en tant que rivaux qu’ils se posent désormais, l’un en face de l’autre ; prêts à user de tous les coups (c’est, semble-t-il, la philosophie de la politique) pour se détruire mutuellement. Dans cette donne nouvelle, comment Guillaume Soro peut-il se laisser percevoir comme le « fils » d’ADO et celui de HKB, en même temps ? L’ennemi de mon père est mon ennemi ; les amis de mes ennemis sont mes ennemis. Depuis que le monde est monde, n’est-ce pas cette philosophie qui signe les rapports entre les hommes, les communautés ? GKS est-il bien avisé d’aller prendre ses aises et même de gambiller gaiement, dans une maison rivale de la sienne ? De courir se jeter dans les bras du voisin abhorré, quand nul ne l’a chassé de la concession paternelle ? Ouvert et attentif à tous les échos, j’entends ici des voix inconditionnelles du natif de Kofiplé s’écrier : quoi, on ne l’a pas chassé de la maison paternelle ? Et ces attitudes d’ôter à sa vue et de tous les recoins du domaine, les escabeaux où il pourrait reposer son séant ? Si ce n’est pas là, chasser un fils de la cour familiale, qu’est-ce que c’est ? Et ces élans de le contrer, d’entraver sa marche, chaque fois qu’il va ? Vous n’avez pas noté, comment l’ayant vu esquisser des pas vers ses compagnons de la FESCI d’hier, les gens de sa maison paternelle ont, à leur tour, suscité un regroupement d’anciens fescistes ? Du reste, est-ce un péché d’ouvrir ses bras et ses services à la cité, quand l’on s’est aguerri et affirmé impeccablement dans le giron familial ?

Ces remarques s’entendent, n’est-ce pas ? Parce que, c’est vrai, tout second personnage de l’État qu’il soit, Guillaume Soro a subi bien des avanies, de la part même des gens de sa case, au cours de l’année 2018. Cela est connu de tous et nous les avons déjà évoqués, ces tracas ; mais d’y revenir en une sorte de rappel n’est pas superfétatoire, surtout à l’heure où, une nouvelle année survenant, l’on peut esquisser une sorte de bilan : limogeages, intimidations et harcèlement contre les cadres des Forces Nouvelles fidèles à GKS, tant au gouvernement que dans l’Administration ; arrestation puis incarcération abusive de son fidèle lieutenant Soul to Soul, qui sera relaxé purement et simplement quelques mois plus tard, sans le moindre procès ; pressions contre lui, afin qu’il ne candidate point à la Présidentielle de 2020 ; assassinat, par des gens du clan Gon Coulibaly du jeune Soro Kognon, membre du RACI, à Korhogo. Excusez du peu ! Et puis, comment ignorer l’état de services de GKS ? De ses années campus et son passage à la tête du syndicat estudiantin de la FESCI, en 1992, jusqu’à ce jour, l’homme justifie de 27 années pleines d’expérience militante, militaire et politique : secrétaire général de la FESCI ; candidat à la députation en 2000, à Port-Bouët ; patron des Forces Nouvelles, gestionnaire parfait de la rébellion et de l’ancienne zone CNO d’environ 60% du territoire national ; plusieurs fois ministre et Premier ministre, sous Gbagbo puis ADO ; Président de l’Assemblée Nationale ! Avec une telle somme d’expériences, GKS n’est-il pas légitimé à porter plus haut, jusqu’à la magistrature suprême, sa quête de servir la nation ivoirienne ?

Oui, cela s’entend. La vie et son destin personnel, visiblement, ont élevé, façonné et maturé le fils de Lafokpokaha, de sorte à l’offrir à la société, au monde, dans la dimension d’un guide sûr et inspirant. En conséquence de quoi, il ne saurait rester confiné dans le domaine parental. À 46 ans, aujourd’hui, il est manifeste que l’ancien syndicaliste estudiantin s’est projeté, par une pratique et un exercice constants de la chose publique, dans la sphère des hommes d’État. Ainsi donc, est-il logique et normal que, plus souvent qu’à son tour, Soro lorgne avec un intérêt certain vers l’horizon 2020 et la présidentielle prévue en cette année-là. Publiquement, il n’a encore rien dit à ce sujet, rien dévoilé de ses ambitions. Mais les actes qu’il pose, les élans de rapprochement ou de regroupement qu’il initie, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, sont assez éloquents. Comme le sont aussi les actes de ses partisans : tous ceux qui lui sont restés fidèles, depuis l’épisode de la rébellion et des Forces Nouvelles ; mais également la masse de ceux qui, ces dernières années, lui ont vu et reconnu une posture d’homme d’État.

Prenez, par exemple, la plateforme que dirige, avec une belle constance, le député Soro Kanigui. Originellement connue sous le sigle de RACI, au sortir de la rébellion, cette plateforme porte encore à ce jour la même dénomination ; sauf qu’elle a muté, passant d’une forme un peu vague à une autre plus précise. En effet, initialement identifiée comme étant le Réseau des Amis de la Côte d’Ivoire, elle se présente depuis peu comme le Rassemblement pour la Côte d’Ivoire. En gagnant en ampleur, au fil des ans, en se consolidant de lots de sympathisants « racolés » à droite et à gauche, l’on a bien vu le RACI prendre la coloration d’un parti politique. Lequel saura, de toute évidence, mettre sa percussion au service de qui l’on sait, le moment venu. Et ce moment, il n’est pas évident, contrairement aux supputations de HKB et à l’annonce qu’il en a faite à Jeune Afrique, des mois en arrière, que les gens du RACI l’escomptent, pour leur « leader générationnel », en 2030 et pas en 2020.

Toutes ces considérations prises en compte, l’on se rend à l’évidence que la rencontre Bédié-Soro du 17 décembre dernier, à Daoukro, suscite plus d’interrogations qu’elle n’apporte d’assurances. Oui, c’est vrai, HKB a accueilli chez lui, au pas de danse, son « protégé » GKS. Il l’a même présenté aux siens, les chefs du pays baoulé et leurs alliés akan, comme étant son « fils ». D’un ton de jubilation et d’exclusivité donnant à comprendre qu’il ne fallait pas lui trouver un « père » ailleurs que dans l’Iffou, à cet enfant prodige. Si vous voyez ce que je veux dire…

Mais c’est, justement, dans la façon qu’a eue le président Bédié de présenter ce « fils » aux siens que je trouve, moi, matière à m’inquiéter de l’issue heureuse du cousinage politique de ces deux dirigeants. Il en a parlé, on l’a entendu, comme d’un ancien chef de guerre ou de vainqueur de la guerre. Or cette allusion n’évoque pas, chez les hôtes du jour, le peuple baoulé, que des souvenirs heureux. Et nous le verrons plus loin. En sus, vous vous souvenez, n’est-ce pas, que le maître du PDCI-RDA avait déjà posé ce rituel de présenter à ses parents du pays baoulé, dans cette même ville de Daoukro, un allié célèbre, pour qui il avait appelé instamment à voter. Malgré la tiédeur de ces parents-là et leur inclination (nourrie par un vieux fond de tribalisme) à penser que cet allié n’était pas un « fils » d’Houphouët ni même un oint de l’ivoirité, ils avaient suivi le mot d’ordre de leur prince. Par deux fois ; d’abord en 2010, pour le premier mandat du récipiendaire, puis en 2015, pour le second. Et puis, que s’est-il passé, par la suite ? Cet allié en question – ADO, pour ne pas le nommer – n’a-t-il pas payé en retour le prince Nambê d’ingratitude ? N’a-t-il pas foulé au pied sa promesse de lui faire la courte échelle, afin d’acter le retour aux affaires nationales du PDCI-RDA ? Pire, n’est-il pas, ce prétendu ami, actuellement en train de s’atteler à démanteler et à disperser le parti créé par Houphouët ?

Dans la tête des dignitaires traditionnels à qui Bédié présente Soro, en ce lundi 17 décembre 2018, au chef-lieu de l’Iffou, voilà sûrement le genre de réflexions qui se bousculent. Et vous voulez, à la suite de cela, qu’ils accueillent, à bras ouverts et toutes dents dehors, le nouvel allié de leur parrain ? Certes, ils riaient, à l’instant où le « fils rapporté » a pris la parole pour remercier son hôte et esquisser, à leur endroit, une amorce de pardon. Mais l’autre – pas dupe pour un sou – a bien vu que leurs sourires traduisaient davantage la moquerie que le contentement. Et il l’a relevé, de lui-même. Alors, dites-moi : pour quelle bonne raison ces gens-là mettraient-ils leur confiance (et leurs précieuses voix, à l’occasion) sur ce « fils » aux deux « pères » ? Ce « fils » dont l’autre « père » est dorénavant l’ennemi de la tribu ?

L’homme du terroir, le paysan, on le sait, a la généralisation facile et la rancune tenace. Ces chefs baoulé et autres alliés akan n’échappent à la règle. De surcroît, n’y a-t-il pas, en défaveur de Guillaume Soro, d’événement de nature à fortifier leur rancœur ? Un événement douloureux, qu’ils n’ont pas oublié, qu’ils ne peuvent pas oublier ? Comme le massacre, aux premières heures de la rébellion, des danseuses d’adjanou de Sakassou ! Pour lequel, jusqu’ici, ils n’ont perçu aucune démarche de contrition, de la part des anciens rebelles et de leur chef. En sorte que s’ils riaient à écouter parler GKS, c’était comme pour lui dire : « Cause toujours, nous savons, pour notre part, à quoi nous en tenir… »

Voilà esquissés, les écueils qui pourraient nuire, de notre point de vue, à l’entente cordiale scellée ou réaffirmée, le 17 décembre 2018, à Daoukro, entre Bédié et Soro. Si elle n’a pour débouché, cette entente, que d’accompagner HKB ou de l’aider à ravir de nouveau le trône d’Éburnie (pour son compte personnel ou celui de son parti, le PDCI-RDA) en 2020, en attendant que GKS prenne des ans et de la maturité pour briguer la magistrature de 2030, selon le pronostic de son « père » de Daoukro, ce serait parfait.

Parfait, pour le Sphinx, bien sûr, et ses « suiveurs » du parti doyen. Mais, quid du monde du RACI et de tous ces admirateurs déclarés ou non du Chef du Parlement ivoirien ? Cet ajournement d’ambition que leur propose Bédié sera-t-il de nature à éteindre leur soif et leur impatience de voir leur « leader générationnel » couronné, ici et maintenant ? Les choses vont si vite, dans le monde actuel ; et ce que l’on peut réussir aujourd’hui, on n’a aucune assurance de pouvoir le réussir demain.

Pour conclure, disons que GKS n’a pas eu tort d’aller à Daoukro ; ce faisant, il reste conforme à son vœu de pardon, de concorde et de réconciliation, au sein des habitants du Quadrilatère ivoirien. Il avait déjà annoncé qu’il prendrait langue avec tout le monde, y compris le « prisonnier » de Scheveningen. Il est en marche, vers cet objectif de rassemblement et de paix. Et pour réussir cette gageure, il devra être vigilant à ne rien négliger, à l’heure où il se met en mouvement à la rencontre des uns et des autres : ni des meurtrissures et douleurs du passé, ni des incertitudes et postures du présent, ni des efforts et promesses qu’annonce le futur. Partout où il ira, aux quatre points cardinaux de l’Éburnie, y compris chez ses parents naturels du RDR (où, on peut le croire, tout le monde n’approuve pas les misères qui lui sont faites), il devra, plus qu’il ne le ferait pour les esprits, entreprendre davantage les cœurs. De la façon dont il sait être : empathique, solidaire et attentif ; naturel, en somme. Sans chercher à verser dans la surenchère verbale, à hurler avec les loups.

FOUA Ernest De Saint Sauveur

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