RDC : quand les enseignants, épuisés par la misère, troquent la craie contre la houe


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Enseignant
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Dans une République Démocratique du Congo qui proclame l’éducation comme une priorité nationale, la réalité du terrain donne une image bien différente. À Mambasa, en Ituri, au moins 38 enseignants ont abandonné les salles de classe depuis la rentrée scolaire 2025–2026. Fatigués d’attendre des salaires décents, ils ont choisi de se consacrer à la culture du cacao, jugée bien plus rentable que la noble mission d’instruire la jeunesse.

Ils sont les artisans de la formation des citoyens dans tous les pays du monde. Et pourtant, leur rémunération leur permet très peu souvent de mener une vie décente à la hauteur du sacerdoce que constitue leur métier. Fatigués de continuer à végéter, une trentaine d’enseignants congolais en service dans des écoles primaires à Mambasa dans la province de l’Ituri ont décidé de rompre les amarres et de se tourner vers la terre pour produire du cacao. Une décision qui, en principe, devrait amener les dirigeants à changer leur fusil d’épaule. En matière de politique éducative.

Enseigner ou survivre ?

« Imaginez : 38 abandons volontaires, ce sont 38 salles de classe laissées à l’abandon. Les enfants passent toute la journée à jouer, avant d’être renvoyés chez eux », alerte Michel Nesapongo Ipunio, chef de la sous-division éducationnelle Mambasa II, qui s’est confié au média actualite.cd. Derrière ces chiffres, c’est tout un système éducatif qui se délite. La gratuité de l’enseignement, instaurée en 2019 et présentée comme un acquis social majeur, se retrouve ici vidée de sa substance faute d’enseignants motivés et correctement rémunérés.

Le départ des enseignants ne relève pas d’un simple caprice mais d’un choix de survie. Avec des salaires dérisoires, les instituteurs de Mambasa n’arrivent pas à nourrir convenablement leurs familles ni couvrir leurs besoins vitaux. « C’est non seulement un signe de désintérêt croissant pour la profession enseignante, mais aussi une conséquence directe de la précarité salariale », reconnaît Michel Nesapongo.

Dans une région où le cacao est devenu une véritable manne économique, le contraste est cruel : la terre offre des revenus que l’État refuse de garantir à ceux qui façonnent l’avenir du pays. Le métier d’enseignant, autrefois porteur de respect social, se trouve aujourd’hui réduit à un poste ingrat que beaucoup abandonnent dès qu’une alternative se présente. Et en cela, la RDC ne fait pas figure d’exception.

Un sacrifice banalisé et oublié

En renonçant à la craie pour la machette, ces 38 enseignants posent un acte lourd de symboles : celui d’une profession sacrifiée, méprisée malgré son rôle central dans la formation des citoyens de demain. Et pourtant, quelques décennies en arrière, l’instituteur, le maître de l’école était un personnage respecté et adulé dans les écoles africaines. Reconnu comme l’acteur principal de la formation des élites de la nation, le « maître » était choyé par les parents des élèves dont il avait la charge et bénéficiait, par ricochet, de la considération de toute la société.

Aujourd’hui, dans la plupart des pays africains, l’instituteur est descendu de son piédestal et suscite très peu de vocation au sein de ses propres apprenants plutôt aguichés par des professions plus rémunératrices. L’image des enfants errant dans les cours d’école pendant que leurs maîtres cultivent du cacao en dit long sur les priorités d’un pays qui, faute de revaloriser ses enseignants, compromet son propre avenir. Cela pose un réel problème, non seulement en RDC, mais dans la majorité des États africains où les classes dirigeantes se plaisent souvent à proclamer du bout des lèvres l’éducation comme la priorité des priorités.

Une chose est sûre : tant que l’éducation sera gérée comme une charge secondaire et que ses acteurs végéteront dans la précarité, la RDC et la grande majorité des pays africains continueront d’hypothéquer leur propre développement.

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Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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