RDC, Me Martin Milolo Nsenda : « Certaines missions d’observation fantaisistes ont couvert plusieurs irrégularités »


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Me Martin Milolo Nsenda
Me Martin Milolo Nsenda

Les élections en RDC, on en parle encore et toujours. Ce qui devait être un moment de fête démocratique s’est transformé en un véritable chaos qui semble voulu et organisé à dessein. C’est, en tout cas, ce qui se dégage des propos de Me Martin Milolo Nsenda, avocat au barreau de Kinshasa/Matete et militant des droits humains, qui a bien voulu se prêter, une nouvelle fois, à nos questions.

Dans un entretien accordé à Afrik, une semaine avant le scrutin du 20 décembre 2023, vous aviez été très clair en affirmant que de bonnes élections ne pourraient être organisées le 20 décembre 2023. À l’arrivée, les faits vous ont entièrement donné raison…

Le chaos électoral était prévisible pour tout observateur sérieux du processus électoral. Les acteurs politiques le savaient aussi et ont accompagné la Commission électorale nationale indépendante (CENI) dans le piège de son arrogance. Techniquement, la CENI n’était pas prête pour organiser les élections, le 20 décembre 2023, avec un personnel non formé et un défi logistique énorme dans un pays où le réseau routier est totalement en dégradation pendant la période pluvieuse. Nous avons assisté à une élection jamais vue en Afrique et même dans le monde. Au lieu d’un jour comme la loi l’exige, le vote s’est déroulé pendant une semaine à huis clos, sans oublier les votes à domicile et les bourrages d’urnes à grande échelle.

Selon vous, à qui peut-on réellement imputer la responsabilité dans ce chaos électoral ?

À la CENI, le gouvernement, certains candidats députés et certaines missions fantaisistes d’observation électorale. La CENI savait qu’à la veille du jour de vote, elle n’avait déployé que 20% du matériel électoral et n’a fait aucune sensibilisation sur l’usage de la machine à voter en plus de la distribution de la machine à voter aux candidats par certains de ses agents comme elle l’a reconnu, dans sa dernière décision d’invalidation de certains candidats que la population a attrapés avec la machine à voter dans leurs domiciles en train de voter. En ce qui concerne le Gouvernement, il n’a pas assuré la sécurisation du scrutin étant donné que tous ses membres étaient des candidats, donc préoccupés par leur élection et la réélection du Président en fonction, Félix Tshisekedi, qui est l’autorité morale de leur plateforme politique.

Les candidats députés ont profité de la désorganisation de la CENI et de la brèche de la fraude pour faire ce que beaucoup de politiciens savent très bien faire au Congo : tricher aux élections. Certaines missions d’observation fantaisistes ont aussi couvert plusieurs irrégularités qu’elles ont qualifiées d’incidents mineurs alors qu’il s’agissait de faits graves de fraude. Parmi ces missions, il faut citer la mission de l’Union Africaine et de la SADC, les missions créées par certains conseillers du président de la République et ses proches pour contrecarrer la mission d’observation de l’église catholique et protestante jugée hostile à l’égard du régime au pouvoir.

Vous aviez dit que le fait pour l’opposition d’aller aux élections en rangs dispersés est pour elle un « échec stratégique », et qu’en procédant ainsi, elle ouvrait « la voie à la victoire du Président candidat ». C’est ce qui s’est effectivement produit. Le Président Félix Tshisekedi s’est fait élire sans aucune difficulté. Pensez-vous que la non-désignation d’un candidat unique de l’opposition est la seule raison qui pourrait justifier la débâcle électorale de l’opposition ?

Non. Il y a plusieurs autres éléments qui justifient la déroute électorale de l’opposition. C’est notamment les contradiction internes de l’opposition et l’égoïsme de ses principaux leaders sans oublier les bâtons qui lui ont été mis dans la roue pendant la campagne. L’opposition a commencé à refuser de continuer dans le processus électoral si certaines réformes n’étaient pas opérées, notamment le changement des membres de la Cour constitutionnelle, du bureau de la CENI, l’audit du fichier électoral et la publication de la cartographie électorale avant la tenue du scrutin. Sans qu’aucune de ces réformes ne soit réalisée, une partie de l’opposition a tourné casaque pour participer aux élections laissant l’autre partie (le FCC de l’ancien Président Joseph Kabila) dehors ; l’un des leaders de l’opposition est même allé aux élections seul pendant que sa plateforme avait refusé de déposer les candidatures à la députation nationale faute de l’audit du fichier électoral.

Ces contradictions internes de l’opposition ont été considérées par la CENI et le camp présidentiel comme le cautionnement des actes de tout le processus électoral, y compris les actes de fraude. Par la suite, leur tentative de  négociation pour désigner un candidat unique a échoué à cause de l’intransigeance de chacun des trois principaux leaders de l’opposition : Moïse Katumbi comptant sur la validation de sa candidature de la dernière chance alors qu’elle avait été rejetée en 2018, et son argent ; Martin Fayulu comptant sur sa victoire volée en 2018, et Denis Mukwege comptant sur sa crédibilité et son prix Nobel, ont ouvert la voie de la victoire au Président Félix Tshisekedi, même si celle-ci n’est pas totalement honnête.

Les manœuvres visant à réduire la mobilité des leaders de l’opposition ont fait qu’aucun d’entre eux n’a sillonné les 26 provinces de la RDC, pendant que le Président candidat a fait les 26 provinces avec la facilité de l’ensemble des services publics mobilisés pour sa campagne.

La CENI a cité 82 candidats aux Législatives identifiés comme étant coupables d’actes frauduleux durant le scrutin. Ce genre de dénonciation semble être une première en RDC, à en croire certains acteurs politiques. N’est-ce pas un motif suffisant pour saluer cette action de la CENI de Denis Kadima ?

Non. Les 82 candidats ont servi de boucs émissaires pour détourner l’attention de la grande fraude commise notamment à l’élection présidentielle. Le dossier des 82 candidats est une boîte de pandore ; si la CENI veut aller jusqu’au bout de cette logique, elle annulera l’ensemble du scrutin, car la fraude va au-delà des actes des 82 candidats. D’ailleurs, ces derniers ont aussi dénoncé certains de leurs co-auteurs dans la fraude, notamment le secrétaire général du parti présidentiel et le ministre de l’Intérieur.

La suite de ce dossier des 82 candidats, ce sont les actions de la justice qui doivent être enclenchées à leur encontre. Pensez-vous que la justice de votre pays prendra effectivement en charge ce dossier pour punir les fautifs conformément à la loi ?

Globalement, la justice de la RDC est décevante, même le président de la République, Félix Tshisekedi, a déploré le travail de cette justice. Elle a rendu beaucoup d’arrêts et jugements sur « commande ». Mais, comme les 82 servent de boucs émissaires, tout pourra être mis en œuvre pour que leur sanction soit exemplaire, au prix même du sacrifice de leur présomption d’innocence. D’ailleurs, certaines décisions judiciaires ont déjà commencé à tomber, leur recours en annulation de la décision de la CENI devant le Conseil d’État a été rejeté.

Pensez-vous que les nombreux cas de fraude détectés ont pu infléchir la tendance des résultats en faveur du Président Tshisekedi, comme le soutiennent les leaders de l’opposition de votre pays ?

C’est incontestable, il s’agit d’un scrutin combiné. Les fraudeurs qui sont majoritairement de l’Union sacrée de la nation (USN), plateforme présidentielle, fraudaient pour eux-mêmes aux Législatives et pour le Président candidat.

Felix Tshisekedi réélu, qu’attendez-vous de lui pour ce second mandat, en tant que militant et activiste des droits humains ?

Je reste personnellement dans la résistance contre la fraude électorale réalisée par la CENI qui a conduit à la publication des résultats frauduleux des élections. Mais, en tant que républicain, j’espère que le Président Tshisekedi donnera le ton pour la réconciliation et la cohésion du peuple congolais, aujourd’hui divisé notamment à cause de sa gestion, et qu’il engagera une véritable lutte contre la corruption qui a mis le pays à genoux. Surtout, je lui conseille de ne pas s’engager dans la voie d’une révision constitutionnelle que proposent certains de ses collaborateurs pour s’éterniser au pouvoir.

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Historien, Journaliste, spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne
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